Pauvre... Canada

MEECH - 20 ans plus tard...


Chaque fois que j'explique à des collègues belges que les Québécois vivent depuis 28 ans dans un pays dont ils n'ont jamais adopté la Constitution, ils me regardent avec des yeux exorbités. Une telle obscénité qui a permis en 1982 à neuf provinces anglophones d'imposer de force leur volonté à la nation québécoise serait inimaginable dans la plupart des grandes fédérations modernes, et à plus forte raison en Belgique. Même les Catalans et les Basques ont adopté démocratiquement par référendum la Constitution de leur pays.
Vous comprendrez alors ma perplexité quand je lis dans la presse canadienne qu'il faudrait se désoler du sort de la «pauvre Belgique»* où les Flamands viennent de plébisciter un parti indépendantiste. La «pauvreté» n'est pas là où on le croit. S'il y a un pays qui n'a pas de leçon à donner à la Belgique, c'est bien le Canada, qui semble génétiquement incapable de renouer le moindre fil constitutionnel entre les deux principales nations qui le composent.
Le hasard veut qu'au moment où nous commémorons les 20 ans de l'échec de l'accord du lac Meech, qui visait à réintégrer les Québécois dans la famille canadienne «dans l'honneur et l'enthousiasme», les Belges sont à l'aube de leur sixième lac Meech. En 40 ans, c'est peut-être beaucoup, mais c'est tout de même mieux que le grand vide canadien. La presse internationale a eu beau annoncer régulièrement l'éclatement de la Belgique, rien n'indique qu'il soit imminent. Le raz-de-marée provoqué par le leader indépendantiste Bart de Wever et son parti, la Nouvelle Alliance flamande (N-VA), n'annonce pour l'instant qu'une nouvelle ronde de négociations. Celle-ci a d'autant plus de chances de déboucher sur un accord que, pour la première fois depuis trois ans, les partis francophones ont annoncé leur intention de s'asseoir à la table.
D'un côté, la N-VA n'est pas un parti indépendantiste radical, comme ne cesse de le répéter son leader. Bart de Wever rêve d'une confédération qui mènerait à terme à l'«évaporation» de la Belgique dans l'Union européenne. Mais il reste ouvert aux compromis, pourvu qu'ils fassent progresser les revendications autonomistes qui font l'unanimité parmi une majorité de Flamands. De Wever serait probablement prêt à signer un accord qui accorderait des pouvoirs significatifs à la Flandre dans les domaines fiscal, judiciaire et de l'immigration. Il n'est pas erroné de comparer les revendications flamandes au défunt rapport Allaire issu du Parti libéral au début des années 90.
Du côté francophone, un accord n'est pas impossible non plus. En abandonnant le statu quo, les partis francophones pourraient même arracher quelques gains. Par exemple, un meilleur financement pour la région de Bruxelles, qui en a cruellement besoin. Des concessions pour les francophones de l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvoorde, qui devront bien se résoudre un jour à respecter les frontières linguistiques du pays — le compromis belge est à ce prix. On peut même imaginer des pouvoirs économiques supplémentaires pour une Wallonie qui montre enfin quelques signes de dynamisme économique.
Tout n'est pas rose évidemment, et un blocage provoquant l'éclatement de la Belgique est toujours possible. Quoi qu'il arrive, comment ne pas se réjouir de voir le nationalisme belge enfin libéré du Vlaams Belang? Ce parti extrémiste qui a fait son beurre sur le dos des immigrants monopolisait depuis des années le drapeau indépendantiste. Au contraire, la semaine dernière, la N-Va s'honorait de présenter à Bruxelles des candidats d'origine pakistanaise, congolaise et marocaine.
Le père de l'accord du lac Meech, l'ancien premier ministre Robert Bourassa, était loin de mépriser la Belgique. Féru de politique européenne, il enseigna même à Bruxelles après sa cuisante défaite de 1976. Bourassa se passionnait alors pour la construction européenne, mais aussi pour le sens du compromis dont faisaient preuve les Belges. Il pensait à tort pouvoir importer cet esprit au Canada. Malheureusement, Bourassa connaissait mieux la Belgique que le Canada anglais, comme le prouvera la suite des choses.
Le «plus beau pays du monde» n'a pas de raison de pavoiser à côté de la Belgique, lui qui a érigé l'immobilisme en symbole national. Au Québec, Robert Bourassa n'a jamais eu de successeur. Il y a longtemps que la pensée constitutionnelle qui rêvait de faire coexister nationalisme et fédéralisme est morte au Québec. Ce courant, qui fut représenté par des hommes aussi prestigieux que Robert Bourassa, Claude Ryan, Jean-Claude Rivest, André Laurendeau et Léon Dion, est aujourd'hui totalement anéanti. Dernier des Mohicans, l'ancien ministre des Relations fédérales-provinciales Benoît Pelletier le déplorait récemment dans une entrevue accordée à L'Actualité.
Force est de conclure que le père de l'accord du lac Meech s'était finalement trompé de pays. Si son esprit survit, c'est probablement quelque part dans le plat pays belge.
***
* Titre d'un pamphlet de Charles Baudelaire.


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