On dit parfois que la science n’est rien d’autre qu’une « série d’erreurs rectifiées » et que sa richesse provient de son aptitude à tenir compte de ses erreurs pour échapper aux illusions passées et ainsi s’approcher un peu plus du vrai. On aimerait parfois qu’il en soit de même pour cet art qu’est la politique et auquel les diverses associations étudiantes ont dû recourir tant de fois ces derniers mois : parfois avec beaucoup de bonheur, parfois moins.
Comment expliquer en effet qu’aux lendemains de ce sommet sur l’enseignement supérieur de février 2013 le gouvernement du PQ semble —au moins pour l’instant— s’en être si bien sorti, laissant l’impression qu’il a réussi à imposer à peu de frais la solution de la taxation tout en s’étant bien gardé de répondre aux si vives attentes étudiantes du printemps ; attentes sur lesquelles pourtant – arborant carrés rouges et jouant de la casserole— il avait allégrement surfé à l’époque.
Certes beaucoup pourront faire contre mauvaise fortune bon coeur et dire comme le fit non sans raison Françoise David, qu’il faut exprimer sa reconnaissance aux étudiants pour avoir provoqué une telle prise de conscience au sein de la société québécoise. Mais cela n’empêchera pas les interrogations de fond : comment expliquer qu’un mouvement social si puissant —du jamais vu au Québec depuis des lustres— n’ait pas avancé plus ? Comment, en ayant par ailleurs gagné autant d’appuis dans la société civile, n’a-t-il pas pu, après près de 4 mois de grève et de manifestations journalières, obtenir gain de cause vis-à-vis d’une revendication somme toute assez modérée et autour de laquelle s’était rallié l’ensemble de organisations étudiantes. Ne l’oublions pas la revendication du gel possédait —en termes politiques— de nombreuses vertus : non seulement elle avait permis de rassembler autour d’elle une vaste coalition de forces étudiantes comme de la société civile (des plus modérées aux plus radicales), mais encore par son caractère réaliste et « transitoire », permettait d’envisager de cheminer vers la gratuité, en questionnant au passage la logique néolibérale de l’utilisateur-payeur et en gardant le cap sur l’idée d’une université envisagée comme un véritable service public.
Le point aveugle
Il y avait donc —contrairement aux affirmations dignes de la novlangue de Pauline Marois— toute la différence du monde entre la taxation et le gel, aussi minime soit par ailleurs l’écart en termes de coûts occasionnés au départ pour les étudiants (70$ de plus pour la première année). L’une inscrivait le financement de l’enseignement supérieur du côté de la logique néolibérale, l’autre se donnait les moyens d’y échapper, ne serait-ce que progressivement. Et c’est un peu le point aveugle dans toute cette affaire. Comment se fait-il que les organisations étudiantes n’aient pas suivi comme au printemps la même lancée, continuant à se serrer les coudes autour de cette revendication de base, comme s’ils avaient su si bien le faire à l’époque ? Et cela non seulement en se retrouvant à manifester ensemble dans la rue, mais aussi en se faisant entendre d’une même voix à la table de négociation ? N’avaient-ils pas déjà au printemps accepté de négocier, et pour beaucoup moins que cela, avec le gouvernement ? Et cela ne leur avait-il pas servi, montrant justement la mauvaise foi du gouvernement libéral, tout comme la volonté étudiante de contester en profondeur le cours marchand pris par l’éducation au Québec ?
L’unité la plus large
Or le sommet sur l’enseignement supérieur n’était rien d’autre que la table de négociation dressée par le PQ pour régler « la crise » du Printemps Érable. Tout le reste n’était qu’à côtés ! En la désertant, sous prétexte que le gouvernement ne voulait pas formellement parler de gratuité, l’actuelle direction de l’ASSE a sans doute pu faire connaître son souci « théorique » de la gratuité, mais elle n’a pas aucunement aidé à ce que le principe de la gratuité puisse commencer « en pratique » à devenir réalité. Quant à la FECQ et la FEUCQ, en ne se battant pas becs et ongles pour que l’ASSE puisse être présente à leurs côtés au sommet (comme elles l’avaient fait au printemps) elles se sont affaiblies en devenant beaucoup plus vulnérables aux sournoises manoeuvres gouvernementales. Dans tous les cas, les 3 organisations étudiantes ne se sont pas données les moyens –en cas de refus définitif du PQ d’envisager le gel— de lui en faire payer politiquement le prix fort, lui qui n’a pas cessé de jouer sur l’ambiguité, en clignotant à gauche comme on dit, et en virant ensuite à droite. Et elles auraient pu le faire par exemple en cherchant ensemble à faire du gel un préalable à toute autre discussion au sommet, ou encore en travaillant à des alliances fermes avec les acteur syndicaux présents et en organisant une sortie collective du sommet en cas de blocage de la direction péquiste. Faisant ainsi clairement voir aux yeux de tous et toutes que la page du printemps Érable ne pouvait pas facilement se tourner, quand on est et reste tous ensemble.
Certes la bataille pour la gratuité est loin d’être terminée et l’on peut imaginer qu’il y aura à l’avenir d’autres batailles décisives sur ce thème. Mais on aurait déjà avancé beaucoup, si on pouvait tirer leçon de ce sommet –somme toute assez décevant— et se souvenir pour les luttes à venir qu’en cette période de néolibéralisme conquérant, la seule parade efficace pour les mouvements sociaux, est l’unité la plus large d’autant plus si on aspire à une rupture réelle avec le néolibéralisme. Saura-t-on en faire une préoccupation centrale des luttes à venir ?
Pierre Mouterde
Sociologue essayiste
Dernier ouvrage (en collaboration avec Patrick Guillaudat) Hugo Chavez et la révolution bolivarienne, Promesses et défis d’un processus de changement social, Montréal, M éditeur, 2012.
SOMMET DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : ERREUR TACTIQUE ?
Tribune libre
Pierre Mouterde18 articles
Sociologue essayiste
Auteur de "La gauche en temps de crise, contre-stratégies pour demain", Liber, Montréal, 2011
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4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
28 février 2013Je corrige mon erreur.La Commission d'enquête sur la construction avait été créée avant le printemps érable. Sauf que traînait, dans la population, une méfiance chronique à l'égard de la machine libérale et de la corruption.
Alors, l'an dernier, à l'insatisfaction des étudiants face à l'augmentation des frais de scolarité se sont ajoutées 2 autres causes: un écoeurement face à l'atmosphère de corruption et de la réprobation face à l'administration libérale usée.D'où les casseroles et les manifs.
Un an plus tard, il y a la Commission Charbonneau pis le PLQ est dans l'opposition. Pis les représentants des associations étudiantes,sauf l'ASSÉ, sont allés s'asseoir à la table du Sommet. Pourquoi sont-ils allés? Parce qu'il était évident que la mobilisation s'avérait ardue, très ardue. Les "indiens" étaient essoufflés. À preuve:les étudiants du cégep local, qui avaient suivi le mouvement l'an dernier, sont restés bien tranquilles cette semaine.
En fait, l'ASSÉ représentait une minorité.
Archives de Vigile Répondre
28 février 2013Vous écrivez:" comment expliquer qu’un mouvement social si puissant —du jamais vu au Québec depuis des lustres— n’ait pas avancé plus ?".
Deux raisons, à mon humble avis.
La première:l'an dernier, il y avait plusieurs facteurs réunis pour expliquer la contestation. Non seulement il y avait les frais de scolarité, mais il y avait en sus un mécontentement très fort contre le régime libéral ainsi que le refus de ce dernier de déclancher une Commission d'enquête sur la construction( c'est venu sur le tard). Charest avait prévu faire son élection sur le dos des étudiants en reliant "carrés rouges" avec violence et avec PQ.
Par chance, Gabriel Nadeau Dubois, en démissionnant, a désamorcé le tout.
D'autre part, il faut rappeler que les associations étudiantes(sauf la CLASSÉ) avaient proposé une solution de compromis: les étudiants renonçaient au crédit d'impôt et Charest renonçaient à sa hausse. Charest a refusé.
La 2e raison:la lassitude chez les étudiants et le radicalisme de l'ASSÉ. Comme je l'ai démontré ci-haut, bon nombre d'étudiants contestataires de l'an dernier ne veulent plus revivre les fruits d'une grève:reprise de session dans un laps de temps très court avec un horaire chargé, perte d'un emploi d'été ou perte de semaines de travail...etc.Dans certains cas, perte de session avec abandon.
Quant à l'ASSÉ, elle est associée, dans la population,à l'extrémisme et à la violence.Ce n'est pas pour rien que les autres associations ont pris leurs distances avec l'ASSÉ.
Archives de Vigile Répondre
28 février 2013Les seuls partis qui prônent la gratuité sont ceux qui ne peuvent pas prendre le pouvoir:QS et ON. Facile de promettre la lune par magie.
D’autre part, l’ASSÉ a commis une erreur monumentale en ne se présentant pas au Sommet: peu “d’indiens” ont suivi leurs porte parole. Cette association,au style anarcho comuniste des années 68-72, est complètement déconnectée du monde du 21e siècle où il faut bouger vite. Leurs représentants ne sont que des faiseux de commissions: démocratie directe.
Les autres associations ont bien compris que leurs membres n’étaient pas prêts à revivre une autre printemps érable. De toute façon, elles ont gagné le retrait de la hausse draconnienne des frais ,en plus de la bonification de l’aide financière aux études consentie par le PLQ(pour contrecarrer la hausse des frais) que le PQ n’a pas abolie.
Même les cégeps de Valleyfield et du Vieux Montréal n’ont pas débrayé. D’autre part, je m’interroge sur la démocratie étudiante.
Au cégep local, il y a environ 2 400 étudiants. A l’assemblée générale, quelque 200 personnes se sont présentées( il faut dire que la Direction avait refusé de lever les cours).
Le vote électronique tenu par la suite a donné lieu à 1 772 réponses; 1 068 contre, 583 pour et 121 bulletins annulés. Donc environ 628 personnes n'ont pas voté, soit environ 26% des étudiants.Que 26% des étudiants ne se donnent même pas la peine de voter alors que cela est facilement accessible via l'internet...eh bien je trouve cela très déplorable au plan démocratique! Cela donne un signal!
112 votes annulés plus 628 abstentions: 30% des étudiants se sont montrés désintéressés. Cela est significatif d’une lassitude! 583 étudiants( sur 2400) ont voté pour la grève soit 24% de tous les étudiants. Or, les étudiants du cégep local furent du lot qui ont "grèvé" longtemps, l'an dernier.
http://www.laction.com/Actualit%C3%A9s/Actualit%C3%A9%20r%C3%A9gionale/2013-02-25/article-3184001/Les-cegepiens-disent-non-a-la-greve/1
Alain Maronani Répondre
27 février 2013Voici ce qu’on peut lire dans le Cahier de Congrès annuel 2011 de l’ASSÉ
http://www.scribd.com/doc/127113545/Association-pour-une-Solidarite-Syndicale-Etudiante-ASSE-Cahier-de-Congres
au sujet du salaire des employés qui sont embauchés par l’association étudiante:
CHAPITRE 4 – CLAUSES SALARIALES
4.1 TAUX SALARIAL
Le salaire de base de l’employé-e est fixé à 15,00$ de l’heure le 25 avril 2011. À tous les ans, ce salaire sera réajusté selon une indexation au coût de la vie (selon l’indice des prix à la consommation du Canada, selon Statistiques Canada) allant entre zéro et cinq pour cent (0% et 5%).
Si l’ASSÉ prévoit indexer le salaire de ses employés selon l’inflation, on peut aussi présumer que, pour maintenir le même niveau de service, elle ne pourra pas geler les cotisations payées par ses membres. Un jour ou l’autre, elles devront forcément être augmentées si on veut continuer à payer le personnel.
Si ce genre de raisonnement est valable pour l’ASSÉ, pourquoi ne l’est-il pas pour les universités ?
La PM a réussie à faire ce qui lui tenait a coeur...
Isoler l'ASSE bien trop radicale pour elle...démarrer je ne sais combien de chantiers, moins chers que ceux de la construction ?...faire un exercice de relation publique qui permettra de peindre toute contestation comme la responsabilité d'extrémistes....