Urgences, le film

À première vue, rien n'a changé en 10 ans. Mais les infirmières que nous avons contactées sont catégoriques: c'est pire.

Commission Castonguay



En 1998, la cinéaste Tahani Rached a passé un mois à filmer le travail des infirmières de soir à l'urgence de l'hôpital Pierre-Boucher, à Longueuil. Le documentaire, intitulé Urgence! Deuxième souffle, repasse demain soir à TV5. À première vue, rien n'a changé en 10 ans. Mais les infirmières que nous avons contactées sont catégoriques: c'est pire.

L'attente de trois ou quatre heures qui les inquiétait déjà à l'époque atteint aujourd'hui sept à neuf heures. Vous ne trouvez pas normal d'arriver à l'urgence à 16h et d'y être encore à minuit? L'infirmière qui vous a accueilli au début de son quart et qui vous voit encore sur votre chaise en partant non plus. Elle a beau savoir que ce n'est pas sa faute s'il manque de personnel, de lits et même de matériel, elle est inquiète. «Souvent, on rappelle à 1h du matin pour demander à une collègue de vérifier quelque chose», nous a raconté Louise Lemay.
On réalise, en voyant le documentaire, à quel point le débordement chronique de l'urgence mine ceux qui y travaillent. «À 20 ans, je pensais que ça allait s'améliorer. Ça ne s'améliore pas. Le poids de la responsabilité augmente parce qu'il manque de personnel», résume Line Lafrenière. Elles ne vous en parleront pas en prenant votre pression, mais elles savent que le rythme effréné accroît le risque d'erreur médicale. Le poste le plus stressant? Le triage, là où on priorise les patients selon la gravité de leur cas. Celles qui y travaillent ne sont pas vraiment mieux payées et pourtant, c'est elles qu'on pointe du doigt lorsqu'un patient meurt après que son état ait été mal évalué.
Nous savions que le système était tenu à bout de bras par ses professionnels. Nous avons constaté, en retraçant les protagonistes du film, à quel point ce fragile équilibre est en train de s'effriter. On y voit l'urgentologue Claude Rivard, dont tous les médias ont parlé il y a quelques semaines lorsqu'il a démissionné de guerre lasse. Seulement quelques infirmières, dont la passionnée Marie-Jeanne, font encore partie de l'équipe de soir. Certaines travaillent de jour, plusieurs ont quitté les urgences. L'une a pris sa retraite, un autre est allé en salle d'op après un détour par le privé et la plus jeune, Line Lafrenière, a quitté la profession. Même Louise Lemay, qu'on n'aurait pas imaginée ailleurs, en a eu assez. Elle est maintenant aux soins intensifs. Comme les infirmières chevronnées ne veulent pas aller à l'urgence, celles qui partent sont remplacées par des jeunes et des employées d'agence, moins expérimentées ou moins familières avec les lieux. Rien ne garantit qu'elles y seront encore dans cinq ans!
Une chose en fait a changé. Au moment du tournage, les hôpitaux venaient d'abolir des centaines de postes d'infirmières. Aujourd'hui, ils en ont des dizaines qu'ils n'arrivent pas à combler. On comprend pourquoi. Comme les médecins, les gens qui oeuvrent dans le secteur des services et beaucoup d'autres travailleurs, les infirmières ne bossent pas seulement pour un chèque de paie. Elles carburent aussi à la satisfaction du travail bien fait, un sentiment intangible mais bien réel dont le patient est le premier bénéficiaire. Tant que le système de santé laissera les conditions de pratique se détériorer dans les hôpitaux, il aura du mal à recruter.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé