Yves Michaud c. l'Assemblée nationale

Affaire Michaud 2000-2011


Québec -- La Cour supérieure a commencé à entendre hier Yves Michaud, qui soutient que l'Assemblée nationale n'avait pas le pouvoir constitutionnel d'adopter, le 14 décembre 2000, une motion de blâme pour des propos «inacceptables» sur la communauté juive tenus par l'ancien député, journaliste et diplomate lors des audiences des États généraux sur le français.
Son procureur, Me André Bois, a présenté hier sa plaidoirie devant le juge Jean Bouchard afin d'obtenir un jugement déclaratoire à l'encontre de cette motion de blâme. «Ça déshonore l'Assemblée, ces députés qui se lèvent comme des automates» pour voter, sans tenir de débat, en faveur d'une motion sur des propos qu'ils n'ont pas lus, a dit Me Bois. Il n'y a aucun précédent voulant qu'un Parlement démocratique adopte une motion pour blâmer un simple citoyen pour ses propos sans que les privilèges de l'Assemblée ou de ses membres aient été violés, a-t-il dit.
Cette motion de blâme, c'est «le sommet de la dérision», a dit M. Michaud, maintenant âgé de 74 ans. L'Assemblée nationale, si elle détenait le pouvoir de se livrer à tout bout de champ à «des séances de flagellation» menant à «l'excommunication» de citoyens pour des propos qui n'auraient pas plu à tel ministre ou à tel député, se transformerait en un tribunal digne de «l'Inquisition espagnole», a-t-il dit dans son style imagé.
En matinée, M. Michaud fut interrogé par Me Raynold Langlois, l'avocat qui représente l'Assemblée nationale, et son président, Michel Bissonnette. Juriste chevronné et éminent, Me Langlois est par ailleurs lié au Parti libéral du Québec : il était le président de la Commission constitutionnelle du PLQ, qui a produit, en 1980, le fameux livre beige de Claude Ryan. M. Michaud a parsemé ses réponses de citations latines, dont «Audi alteram partem» (il faut entendre la partie adverse), rendue célèbre par Bernard Landry, et une citation de Pagnol avec l'accent du Midi : «L'honneur, c'est comme les allumettes, ça ne sert qu'une fois.»
D'ailleurs, Yves Michaud n'a jamais pu savoir quels étaient les propos exacts qui avaient justifié «l'opprobre» dont l'Assemblée nationale l'a accablé. Il n'a jamais parlé de «communauté juive», comme la motion de blâme l'énonce, mais de «peuple juif», ce qui se rapporte à une réalité historique, a-t-il précisé. Lors des États généraux sur le français, Yves Michaud a eu des propos «laudatifs» envers le peuple juif en citant le chanoine Groulx qui louangeait l'«âpre volonté de survivance», «l'invincible esprit de solidarité» et «l'impérissable armature morale» du peuple juif, a-t-il rappelé, tout comme l'a fait Me Bois dans sa plaidoirie.
Certes, une semaine avant sa comparution devant les États généraux, M. Michaud avait relaté, lors d'une entrevue à la radio, une conversation qu'il avait eue avec un de ses voisins et sénateur libéral de confession juive. Dans cette conversation amicale, M. Michaud avait soutenu que le peuple juif n'était pas le seul peuple qui avait souffert dans l'histoire de l'humanité. «C'est un constat historique. Ça n'a rien d'antisémite.» Il s'est dit d'ailleurs «prosémite», signalant que son épouse et lui étaient marraine et parrain d'enfants de confession juive.
Comme il fallait s'y attendre, Me Langlois a signifié qu'il plaidera l'irrecevabilité de la requête. En raison de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), le principe sur lequel l'État s'appuie, les tribunaux ne s'immiscent pas dans les procédures de l'Assemblée nationale, a-t-il expliqué. Les députés jouissent de l'immunité et peuvent exprimer leurs opinions sans crainte d'être poursuivis. La liberté d'expression comprend également le droit à la dissidence que les députés, en adoptant la motion, ont exprimée, a ajouté Me Langlois.
L'audition de la requête se poursuit aujourd'hui au palais de justice de Québec.


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