Comme s'il anticipait le fait que l'opposition à notre présence militaire en Afghanistan ne sera plus gérable lorsque les Leclerc, Côté, Bertrand, Bergeron, Simard et autres, récemment déployés là-bas, commenceront à revenir en cercueil, Stephen Harper laisse maintenant entendre que le Canada mettra fin à sa mission de combat dans ce pays en 2009.
Nous sommes tous conscients que notre gouvernement est lié par certains engagements et ne doit pas se comporter de façon cavalière et irresponsable avec les pays alliés et à l'endroit du gouvernement afghan. Cependant, si nous assumons que notre intervention guerrière ne sera plus nécessaire après 2009, quel est notre argumentaire de fond pour soutenir le bien-fondé de la poursuite de cette action d'ici là? Comment démontrer que ce qui est requis aujourd'hui et qui justifie qu'on lui sacrifie des vies ne le sera plus après telle date en 2009? De quelle stratégie parlons-nous?
Nos soldats et le peuple afghan peuvent-ils être des partenaires dans la reconstruction?
Je ne suis pas analyste stratégique et je n'ai jamais fait la guerre. J'ai fait seulement un peu de coopération internationale. Je me demande toutefois comment on peut penser réaliser, comme on le prétend, des objectifs de reconstruction, de sécurisation, de développement et d'extension de la démocratie dans ce pays sans y mobiliser intensément la société civile. Ce qu'il nous est donné de voir sur les rapports entre la société civile afghane et les reconstructeurs militaires paraît à des années-lumière des discours du CAD (Comité d'aide au développement) de l'OCDE, de la Banque mondiale ou de l'ACDI sur l'indispensable et étroite «proactivité» de la société civile dans les projets de coopération au développement. Le cadre du déploiement militaire qu'on y aperçoit semble en effet assez loin des scénarios pédagogiques d'«empowerment» et des grands jeux participatifs d'éducation à la citoyenneté..
Je me retrouve dans un univers complètement surréaliste quand je vois à la télévision nos braves soldats, bottés, casqués, blindés, mitraillette au poing, globalement revêtus d'une carapace de protection à l'allure menaçante et spectrale, surgir dans le paysage rupestre des bleds montagneux de l'Afghanistan et tenter d'établir des complicités avec une population totalement étrangère à notre modernité américaine et occidentale, à 100 % musulmane, isolée dans une ruralité d'Ancien Testament, avec des réminiscences de culture tribale et probablement sous influence des seigneurs de la guerre. Il y a quelque chose de pathétique et d'affligeant à voir nos jeune soldats et soldates s'imaginer qu'avec un arsenal destiné à la chasse aux talibans, quelques secours matériels distribués en habits militaires et l'attrait de notre puissance et de notre consommation, nous allons, dans une grand raccourci par-dessus les siècles, l'histoire, les religions et les cultures, vaincre la résistance et nous gagner les reins et les coeurs de cette population. Même pendu et déboulonné, Saddam n'est-il pas en train de faire la nique à Bush en Irak?
Mettre en place une stratégie d'écoute de la société civile afghane
Un sondage réalisé auprès de 17 000 Afghans dans des districts du sud et de l'est du pays en mars dernier et rapporté dans le numéro de juillet-août du journal Alternatives, distribué en encart dans Le Devoir, révèle que 80 % des personnes interrogées considèrent que les troupes étrangères n'aident pas leur peuple.
Au lieu que ce soit M. Harper et les chefs militaires qui nous disent que les Afghans veulent nos soldats et nos tanks chez eux, ne serait-ce pas une bonne idée de nous organiser plutôt pour aller recueillir directement, dans une démarche civile de proximité et liée à ses organisations propres, l'opinion et les sentiments de la société civile afghane? Comptant sur notre expertise de coopération humanitaire acquise dans différents pays et sur le savoir-être accumulé au fil de l'expérience historique de milliers et de milliers d'ONG, on peut avancer l'hypothèse qu'il est possible de réussir dans des conditions acceptables une telle communication de base avec la population afghane.
Si la libération afghane est suffisamment importante pour que nous y investissions des milliards de dollars, pour que nous lui sacrifiions la vie de nos jeunes gars et filles, et qu'en fonction d'elle, nous changions même l'orientation historique de la politique canadienne d'intervention, n'est-il pas logique d'aller d'abord demander aux tout premiers intéressés comment ils voient cette libération et envisagent leur avenir?
Investissons nos milliards dans l'humanitaire
Mon hypothèse d'humble citoyen d'ici est que nous devons sortir nos militaires d'Afghanistan sans attendre 2009, en faisant les démarches nécessaires auprès du gouvernement afghan et des pays alliés. Ma perception est que nous ne sommes pas en train d'améliorer une situation de sorte que chaque moment additionnel de notre présence là-bas serait un gain pour la population afghane. Je crois plutôt que chaque rafale de mitraillette, chaque assaut blindé, chaque roquette empire et envenime la situation, faisant monter le niveau de violence. Plus vite nous serons sortis, mieux ce sera. Dans le contexte de cette république islamique, avec l'inquiétant Pakistan juste à côté, sans parler de l'énigmatique Iran, de l'hécatombe irakienne et de l'inguérissable plaie israélo-palestinienne, mon image de cette guerre est celle de gros enfants inconscients en train de jouer dans le cratère d'un volcan.
Les tenants de la guerre évoquent souvent à grands cris l'irresponsabilité lorsqu'il est question de sortir les militaires d'Afghanistan. La vraie responsabilité à assumer, c'est de remplacer les militaires par les humanitaires. Si on mettait autant de milliards, de conviction, d'astuce stratégique, de force diplomatique, de génie de négociation, d'énergie de persuasion auprès des pays partenaires, du gouvernement afghan et de ses voisins, pour développer en Afghanistan une vaste mobilisation humanitaire, en ayant sur le terrain des milliers et des milliers d'ONG et de projets d'éducation, de développement et de prise en main locale, qu'on en met pour l'oeuvre militaire, cela ne serait-il pas une bonne façon de remplir notre devoir de responsabilité et de solidarité auprès du peuple afghan et peut-être même de contribuer à changer un peu la face du monde? Les éperviers prétendent que les militaires sont nécessaires pour assurer la protection des humanitaires. Mais plusieurs observateurs disent qu'au contraire la présence militaire crée un rapport qui rend impossible le véritable travail humanitaire et de reconstruction. En pensant à l'Irak notamment, on peut difficilement contester une telle considération. Faisons donc le pari qu'il puisse exister des humanitaires prêts à risquer leur peau nue sans blindage, ni carapace et à chercher leur sécurité dans le développement de liens de solidarité avec le peuple afghan.
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Joseph Giguère, Montréal
Afghanistan - Sortez les militaires et rentrez les humanitaires!
NON à l'aventure afghane
Joseph Giguère4 articles
Membre du Conseil de pastorale des communautés Saint-Bernard et Saint-François d'Assise
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