Ce que cache le débat sur le « voile »

Laïcité et Québec Solidaire



Le débat sur les accommodements, les symboles religieux et la laïcité revient périodiquement depuis la période de psychodrame collectif en 2007 qui a conduit à l’élection de 41 députés de l’ADQ et à la commission Bouchard-Taylor. Ces enjeux constituent un défi pour la gauche, étant donné la complexité des enjeux qui s’y rattachent.
Notamment, on nous présente devant un choix à la Salomon : discriminer envers les membres de communautés minoritaires ou cautionner des coutumes patriarcales. Autrement dit, il semblerait qu’il faille se décider entre le sexisme et le racisme. La seule manière de ne pas tomber dans un de ces deux pièges est de saisir la dynamique d’ensemble de l’oppression, sous toutes ses formes, dans le contexte du capitalisme globalisé, donc de l’impérialisme. Autrement dit, il faut situer le débat dans son contexte pour mieux comprendre le sens réel des gestes qu’on pose ou qu’on se propose de poser.
D’abord, il convient de corriger une erreur de vocabulaire courante et pourtant évidente. En français, un vêtement qui couvre les cheveux et/ou le cou s’appelle un foulard. Un voile, c’est un vêtement qui cache le visage. Il s’agit d’une différence qualitative. Déjà, en entretenant la confusion entre ces deux accessoires fort différents, certains auteurs font minimalement preuve d’un manque de rigueur. Dans ce qui suit, je ferai référence au foulard islamique ou hijab. Les véritables voiles constituent une toute autre question, puisqu’ils entravent la communication et « cachent » véritablement celles qui les portent.
L’impérialisme : danger numéro un
Ce n’est pas un hasard si ce débat a surgi au Québec durant le premier séjour de six mois en Afghanistan du 22e régiment. Les pays occidentaux sont aux prises avec une vague islamophobe depuis que le Moyen-Orient musulman est devenu la principale cible des offensives impérialistes et néocoloniales, particulièrement depuis les attentats du 11 septembre. Les gouvernements occidentaux justifient des politiques comme le boycott du gouvernement Palestinien dûment élu en 2006, l’occupation qui s’éternise en Irak, l’escalade militariste et la corruption endémique en Afghanistan, les menaces constante contre l’Iran, en nourrissant l’idéologie orientaliste qui présente les peuples de cette région du monde comme barbares, arriérés, allergiques à la démocratie ou à la modernité. Ce sont pourtant les interventions précédentes de l’impérialisme, en alliance avec les forces réactionnaires locales, qui ont écrasé la gauche et pavé la voie à l’ultra conservatisme à saveur religieuse : sans l’appui des Britannique, pas de monarchie saoudienne ; sans ingérence américaine, pas de dictature du Shah ; sans rivalité russo-américaine en Asie Centrale, pas de guerre civile en Afghanistan et pas de Talibans, etc. C’est donc l’impérialisme lui-même qui est le danger principal pour la sécurité des populations du monde, et non une prétendue grande conspiration fondamentaliste.
Le sexisme des autres…
On se surprend de voir des politiciens de droite et de centre-droite se découvrir des affinités avec le féminisme…à condition que ce soit pour combattre le sexisme des « autres », de ces étrangers qui méprisent « leurs femmes ». Le port d’un foulard est vu comme une menace aux valeurs fondamentales de la « nation », mais on ne fait rien contre l’hyper sexualisation des adolescentes, la publicité sexiste, les coupures dans les budgets des groupes venant en aide aux femmes victimes de violence, etc. Au Québec, depuis vingt ans, 500 femmes et enfants ont été tué-e-s par un conjoint ou ex-conjoint ou un père violent. Est-ce qu’on met en cause le christianisme ? Est-ce qu’on interdit tout ce qu’il y a de sexiste dans la culture de la majorité ? Il faut comprendre que ce discours bien pensant contre le sexisme des autres se marie parfaitement avec l’idée antiféministe la plus courante : la libération des femmes, ici, en Occident, est un fait accompli. C’est la Fédération des femmes du Québec, le regroupement d’à peu près tous les groupes de femmes et de toutes les tendances du féminisme, qui a subi les foudres de tous les bien pensants quand elle a osé dire non à la fois à l’obligation de porter le foulard islamique, et à son interdiction. Pour la FFQ, il s’agissait de respecter les femmes qui portent le foulard et de les accompagner dans leurs efforts d’intégration et d’émancipation, plutôt que de les exclure et de les stigmatiser. Personne ne nie que l’islam soit une religion sexiste et patriarcale. Mais ce n’est pas en stigmatisant et en marginalisant les femmes musulmanes qui portent le foulard qu’on va les aider à se libérer.
L’islamophobie, une forme de xénophobie « acceptable »
L’autre élément de contexte qui échappe à la plupart des réflexions sur le sujet est celui de l’immigration, en période de crise de l’économie néolibérale. En Europe, les partis d’extrême-droite sont passés d’un discours simplement anti-immigration à une version particulièrement virulente d’islamophobie. Le Front National n’a plus besoin de faire campagne contre les Arabes, il peut s’attaquer aux Musulmans, avec la caution morale des partis traditionnels, sous le parapluie de la laïcité et des valeurs de la république… Plus près de nous, le Parti indépendantiste trouve le moyen de s’affirmer, dans le même article de son programme, pour la laïcité et la préservation de notre héritage chrétien ! La caricature des populations originaires d’Afrique ou d’Asie, parfois encouragée par des intellectuels originaires de ces mêmes continents partis en croisade contre les fondamentalistes, crée un climat justifiant toutes les petites discriminations, dans l’embauche, dans l’accès au logement. Si l’État donne l’exemple en interdisant le port du foulard pour le demi-million d’emplois des secteurs public et parapublic, comment peut-il mener avec la moindre crédibilité un effort contre le racisme ordinaire dont sont victimes les membres de ces mêmes communautés ?
Les femmes qui portent le foulard islamique devraient avoir le même droit au travail que les autres. Comme membre d’un syndicat du secteur public québécois et collègue d’une femme immigrante qui porte un foulard, je m’attends à ce que mon syndicat défende son droit à travailler et à se vêtir comme bon lui semble. L’État ne devrait pas décider du code vestimentaire pour 450 000 travailleuses et travailleurs à partir de critère idéologiques et arbitraires. Si on accepte l’interdiction du foulard, pour raison de laïcité, quelles autres restrictions allons-nous subir par la suite ? Interdit les t-shirt de Che Guevara ? Interdire à un enseignant de se porter candidat à des élections ?...
En conclusion, céder à la campagne de peur contre les Musulmans en interdisant le port de tout signe religieux dans le secteur public minerait nos efforts de mobilisation contre la guerre et l’impérialisme, pour la reconnaissance du sexisme encore bien réel dans « notre » société, contre la xénophobie et la discrimination envers les immigrantes et immigrants de diverses origines, ainsi que l’unité du mouvement syndical face à un employeur qui se prépare à nous faire payer le coût de la crise.
Benoit Renaud

Membre du collectif Socialisme international

Gatineau

27 octobre 2009

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Benoit Renaud - Secrétaire général de Québec solidaire, militant pacifiste, altermondialiste et antiraciste

Gatineau





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