Déprime indépendantiste

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Le pays qui ne se fait pas

Quand ça va mal, il fait bon de pouvoir se tourner vers de grands esprits qui ont connu, eux aussi, les affres d’une déception qui ressemble à la nôtre. Comment ont-ils vécu la traversée du désert ? Comment ont-ils surmonté ce sentiment débilitant qui nous assaille quand ce qu’on croit être la vérité se voit rejeté par la majorité de nos contemporains ?


Le regretté essayiste Pierre Vadeboncoeur (1920-2010) et la journaliste et biographe Hélène Pelletier-Baillargeon n’ont pas échappé aux tourments des militants obligés d’assister à la déconfiture de leur cause. Ardents partisans de l’indépendance du Québec, ils ont été assommés par la défaite du Oui au référendum de 1980. Pour le Québec, plaidaient-ils, la souveraineté était une question de vie ou de mort. « Ou bien nous tenterons que ce peuple vive, ou bien nous nous en moquerons », écrivait Vadeboncoeur en 1970, dans La dernière heure et la première, un classique de la pensée indépendantiste, réédité cette saison au Boréal. En 1980, les Québécois, en majorité, ont choisi de s’en moquer.


Fatigue culturelle


Dans Le pays qui ne se fait pas (Boréal, 2018, 304 pages), une correspondance qui débute en 1983 et se poursuit jusqu’en 2006, Pelletier-Baillargeon et Vadeboncoeur témoignent de leur consternation, que la défaite de l’option indépendantiste au référendum de 1995 ne viendra pas apaiser. Ce document, quoique déprimant et accablant, n’en demeure pas moins une oeuvre forte. Avoir ainsi accès au secret de deux grands intellectuels qui échangent leurs convictions en toute liberté s’avère une expérience de lecture saisissante et bouleversante. Nous sommes, ici, dans les coulisses de la pensée indépendantiste la plus exigeante et nous ne nous en sortons pas indemnes.


La défaite fait mal à Pelletier-Baillargeon, qui avoue, en 1998, ressentir la « fatigue culturelle » naguère diagnostiquée par Hubert Aquin. La militante, cependant, refuse de désarmer. Elle se présente à Vadeboncoeur comme « une incorrigible espérante » et explique le sens de son combat en invoquant la chèvre de M. Seguin. « Tenir jusqu’à l’aube, comme la vieille Renaude, sachant fort bien que le loup allait avoir le dessus et la mangerait, écrit-elle. Mourir en se battant, mourir en disant qu’on refuse de mourir. » Le Parti québécois(PQ) la déçoit souvent, mais elle ne le lâche jamais. « Malgré tout, le PQ » est son mot d’ordre.


Vadeboncoeur, beaucoup plus expansif que sa correspondante, n’est pas là pour lui remonter le moral. Envahi par le pessimisme, il accueille la déroute de l’indépendantisme comme une fatalité. « Je pense profondément que nous sommes vaincus et, plus superficiellement, qu’il nous faut en tout état de cause agir mais comme vaincus, c’est-à-dire, tout de même, exister le plus possible », confie-t-il à sa camarade en 1983.



 Nous, nous savons que, hors l’indépendance, les Québécois, comme nous l’avons dit mille fois, vont connaître un affaissement certain. Mais cette idée, même si elle est assez largement partagée, n’est pas une idée-force, c’est une idée négative en quelque sorte, soutenue par une appréhension, par une tristesse… 


— Pierre Vadeboncœur



À quelques reprises, il avoue même avoir « toujours douté » de la possibilité de réaliser l’indépendance, étant donné que « l’extérieur a une puissance démesurée » et que « notre personnalité de peuple, défaite par l’action de mille influences, est faible ». S’il a poursuivi la lutte, c’est, dit-il, parce qu’il croyait « que l’indépendantisme nous donnerait une force importante de négociation ».


La seule réponse


Le Vadeboncoeur défaitiste qu’on lit dans ces pages n’est pas l’essayiste qui continue, en public, de battre le tambour de la cause. Il ne s’épanche ainsi que parce qu’il se sait en privé. Il répète à son interlocutrice qu’il n’écrirait « pas publiquement ces choses » parce qu’il n’a pas « la vocation de décourager ».


Aussi, malgré son désarroi devant un Québec « voué à se dissoudre », il refuse d’abdiquer. Même si l’indépendance ne se fera peut-être jamais, il faut continuer de la vouloir parce que, insiste-t-il, elle « est la seule réponse possible (et ultime) aux forces de l’histoire qui menacent de provoquer pour nous le pire déclin et toutes les conséquences d’une défaite collective définitive ».


Admirateur de René Lévesque et partisan d’un « nationalisme politique polyvalent et flexible », Vadeboncoeur, souvent considéré comme un pur et dur de l’indépendance et de la gauche, étonne en se montrant très sévère à l’endroit des « ultras » de la cause — il vise notamment Denis Monière — et en s’en prenant sans ménagement à la gauche éternellement « délibérante » — il nomme Michel Chartrand, Paul Cliche et Françoise David —, qui n’a pas compris « qu’un peuple qui ne se bat pas pour des raisons nationales entraîne sa population dans une défaite nationale et sociale tout ensemble ».


> La suite sur Le Devoir.



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