Grosse fatigue

Cinéma québécois : crise de financement


On discute depuis plusieurs jours du cinéma québécois et de son financement, avec passion et démesure. Quel débat crève-coeur! Qu'il est triste de voir les membres d'un même milieu, des collègues, se tirailler ainsi... Apparemment, il faut que le méchant sorte. Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'on s'exprime sur ce sujet. Vrai que, quand Denise Robert, Fabienne Larouche et près d'une centaine d'artisans cinéastes, acteurs, producteurs, parmi lesquels Philippe Falardeau, Robert Lepage, Francis Leclerc, défendent bec et ongles leur gagne-pain et leur art, eux qui ont connu des succès éclatants ces dernières années, on tend l'oreille.

Quand j'ai appris que Robert Lepage refusait de faire son prochain film au Québec, et qu'il fermait sa boîte de production Ex-æquo (quel geste symbolique !), j'ai eu un choc. Il est incroyable que Robert Lepage, avec La Trilogie des dragons, une pièce qui a tourné autour du monde, n'ait pas encore réussi à recevoir le financement pour l'adaptation qu'il veut en faire au grand écran. Inconcevable, également, qu'il n'ait pas eu l'aide de mécènes : des gens riches existent au Québec, non ?
Que penser de tout cela ? Qu'il est décourageant que le Québec n'ait pas les moyens de se payer du cinéma à longueur d'année ? Que ce sont toujours les mêmes qui récoltent l'argent, comme l'ont déclaré de nombreux réalisateurs la semaine dernière ? Qu'on ne s'y trompe pas. C'est la même chose dans tous les domaines. Demandez à nos célèbres chorégraphes où ils bénéficient des meilleurs moyens pour créer. Ce n'est malheureusement pas au Québec !
En littérature, bien que ce soit à une autre échelle, le phénomène est aussi vrai. Bien sûr, les subventions permettent aux écrivains de prendre le temps de travailler, mais ça doit leur rapporter 50 ¢ l'heure, quand on compte ce qui leur reste dans les poches une fois le livre paru ! Je ne compte plus le nombre d'écrivains ou d'essayistes que j'ai interviewés au cours des années et qui m'ont confié, hors entrevue, bien sûr, ne plus vouloir écrire à cause du temps que cela prend (si l'on est sérieux) et du peu que l'entreprise rapporte, tant en argent qu'en reconnaissance. Chaque fois, ces confidences m'ont attristée. Ce qui est difficile à encaisser, c'est le fait que des artistes et des penseurs se sabordent eux-mêmes : tant qu'à se noyer, disent-ils, autant ne plus rien produire ici. C'est un peu ce que disent les artistes qui s'exilent, comme le fera Charles Binamé, qui tournera à Toronto, et comme le fait François Girard, depuis longtemps. Allons voir ailleurs si j'y suis...
Est-ce que ce n'est pas ça aussi, la fatigue culturelle ?
On entend souvent dire qu'un «vrai» créateur trouvera inévitablement les moyens d'arriver à ses fins, qu'un bon livre atteindra toujours son lecteur, que le talent finit un jour par être reconnu. Mais pour que ce destin s'accomplisse, il faut s'assurer que le public soit au rendez-vous.
Or rien n'est moins sûr. Vous avez sans doute déjà expérimenté la chose; prêtez à un ami un roman écrit et publié au Québec, et souvent il vous dira, la moue affligée : «Est-ce de la littérature québécoise ? Ah... mouais, t'as pas autre chose ?» Vous pouvez changer d'amis, mais le problème demeure. On connaît bien peu notre culture, son histoire, ses différentes périodes. On est très fort pour vanter le succès interplanétaire de Denys Arcand, mais les spectateurs québécois qui ont applaudi Les Invasions barbares sont-ils allés voir ce que leur réalisateur-vedette avait tourné auparavant ? Est-ce que ça les intéresse ?
Bien sûr, on doit attirer les gens aux guichets des cinémas. Faire vivre une industrie. Mais il faut aussi qu'on donne aux Québécois la curiosité, l'envie, le besoin d'aller voir «avant». Et les moyens. Avouons que l'oeuvre d'Arcand ne se trouve pas dans tous les clubs vidéo. Pourtant, il nous faut prendre la mesure de nos influences, de nos succès et de nos échecs.
Même chose en littérature : c'est bien de frissonner l'été en lisant le dernier Fred Vargas, mais soyons donc un peu plus curieux ! Allons lire ces livres et voir ces films qui font notre bagage, notre patrimoine (oui, un mot ronflant, mais qui veut dire ce qu'il veut dire), notre culture. Sinon, qu'aurons-nous à défendre ? Les artistes sortent, eux, pour dénoncer le sous-financement, mais le public se sent-il vraiment concerné ? Malheureusement, j'en doute.
Quand on aura le réflexe de nous battre collectivement pour notre culture, peut-être alors qu'on soutiendra plus volontiers notre cinéma ou les autres arts. Peut-être que l'on osera, sans se poser un milliard de questions, taxer les films américains et étrangers pour financer notre cinéma national, par exemple. Or, pour ça, il faut être fiers de nous.
Penser à réglementer l'industrie et à défendre notre propre culture ne nous empêchera jamais d'aller voir les films d'Ang Lee, de Ron Howard ou de Sofia Coppola. Mais il faut aussi penser à plus tard, avant qu'il n'y ait plus que leurs films à voir.


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