Power Corporation et Quebecor (2)

Guerre ou cinéma ?

Ne comptons que sur nous-mêmes, surtout pas sur le complexe médiatico-financier

L'affaire Desmarais

Dans un précédent article sur la rivalité entre Power Corporation et Québécor intitulé « Entre guerre et diplomatie », je citais une foule de sources, toutes tirées d’Internet, tendant à démontrer que Brian Mulroney, important associé principal chez Québécor, a maintenu et maintient toujours des liens très étroits et très solides avec la famille Desmarais.
Eh bien, si de très légers doutes subsistaient encore dans mon esprit, de nouvelles recherches n’ont pas tardé à les dissiper pour de bon.
Loin d’être inédites, mais fort peu étalées dans les grands médias, les nouvelles informations que j’ai dénichées tournent, pour la plupart, autour d’une société dont j’ai déjà parlé, mais pas assez, Barrick Gold.
Numéro un mondial dans le domaine de l’extraction de l'or, Barrick Gold a été fondée en 1983 par Peter Munk, un Hongrois débarqué au Canada peu après la Seconde Guerre mondiale . C’est en novembre 1993, cinq mois après avoir quitté la politique, que Brian Mulroney, à l’appel de Munk, entra au Conseil d’administration (CA) de Barrick Gold. Dès le début de 1994, l’ancien premier ministre emmena Munk et Paul Desmarais père en Chine et les rapprocha tellement l'un de l'autre, dit-on, que Barrick Gold et Power Corporation ne tardèrent pas à former une co-entreprise (joint-venture) pour prospecter au pays de Mao. On donna à la nouvelle entité un nom beaucoup plus explicite qu'original : Barrick Power Gold Corporation. L'année suivante, en mai 1995, Munk mit sur pied, chez Barrick Gold tout court, un Conseil consultatif international (CCI) auquel, outre Mulroney, se joignirent Papa Bush, à titre officieux, et Papa Desmarais, à titre officiel. Grâce à ces trois personnages, Barrick Gold obtint assez vite l’accord du président Suharto pour remuer de la terre et des cailloux en Indonésie. La minière leur dut aussi, pour une bonne part, son expansion en Afrique, en particulier au Congo, où elle aurait trempé dans de ténébreuses affaires, du moins si on en croit un livre, Noir Canada, dont elle obtint, en 2011, l’interdiction de vente au nord du 45e parallèle.

Mais trêve d’exotisme. Le père Desmarais fit partie du CCI de Barrick Gold jusqu'en 2005, à peine un an avant que, chez Power Corporation, il passe le flambeau à ses fils avec, dit-on, une habileté qui plongea Peter Munk en pleine extase. Déjà invité à Sagard à l'été 2003 pour les noces d'or de Paul et Jacqueline Desmarais, Munk est sûrement encore convié à y chasser le faisan. Aussi imagine-t-on assez bien André Desmarais le covoiturer de Toronto jusqu’au Domaine Laforest. Mais quand cela ? Eh bien, quelques fois par année, après les longues séances qu’ils passent tous les deux à somnoler au sénat, oui, au sénat du Conseil international du Canada (CIC), une sorte de ministère parallèle des Affaires étrangères grassement subventionné par Barrick Gold, Power Corporation et quelques autres bineries de même acabit.
S’étonnera-t-on alors que Barrick Gold soit aussi, et depuis très longtemps, l’un des plus gros bâilleurs de fonds du Canada China Business Council ou, en français, du Conseil commercial Canada-Chine (CCCC), cette autre espèce de simili-ministère du Commerce sino-canadien enfanté et contrôlé par Power Corporation ? Rien de plus normal, à vrai dire, surtout quand on sait qu’existe toujours la fameuse co-entreprise fondée en 1994 pour l’extraction de l’or en Chine, la bien nommée Barrick Power Gold Corporation, au CCI de laquelle le semi-retraité de Sagard a usé son fond de culotte jusqu’au 10 février 2010, apprend-on sur le site Internet du Groupe Bruxelles Lambert.
Aussi fou que durable, cet amour, ce grand, ce merveilleux amour entre Barrick Gold et Power Corporation, nul n’en est sûrement plus ému que celui qui en fut le cupidon, Brian Mulroney. Car, au moment où j’écris ces lignes, l’ancien premier ministre continue de siéger tant au CA qu’au CCI de Barrick Gold. Il a même le plaisir d’y bavarder avec un ancien membre du CCI de Power Corporation, le richissime homme d’affaire vénézuélien Gustavo Cisneros, ennemi du président Hugo Chavez. Ce Cisneros en profite-t-il alors pour décrire à Mulroney les parades militaires qu’il effectue avec les Desmarais chaque fois qu’il se rend, à titre de Grand ami international, aux réunions du vieux régiment des Voltigeurs de Québec ? Peut-être bien. En tout cas, l’un et l’autre ont assurément un tas de souvenirs communs à égrener.

Car, oui, oui, non seulement Brian Mulroney œuvre-t-il toujours au sein de Barrick Gold, une minière chère au cœur de Papa Desmarais, mais, tout comme son amigo Cisneros, il a déjà hanté, lui aussi, et pendant assez longtemps, les bureaux de Power Corporation. Et là, bien sûr, je ne parle pas de son rôle d'avocat négociateur pour la partie patronale lors de la grève de La Presse en 1971, mais de quelque chose de beaucoup plus récent.
Y a-t-il, sur Internet, un secret mieux gardé que la liste des membres du CCI de Power Corporation ? J’en doute. Mais avec beaucoup de patience, non moins d’astuce et un peu de chance, j’ai fini par trouver quelque chose. Pas exactement ce que j’aurais voulu, soit la liste de 2011, à défaut de celle de 2012, mais au moins celles, en français s’il vous plait, de 1997, de 1998 et de 1999, puis celles, in english only, de 2001, de 2002 et de 2003. Sur chacune figure, eh oui, le nom du très honorable Brian Mulroney, juste en-dessous de celui de l’un de ses anciens ministres, le non moins honorable Donald F. Mazankowski. et, ordre alphabétique oblige, bien au-dessus, jusqu’en 1999, de celui d’un autre très honorable dont les initiales résument bien toute l’œuvre politique, Pierre Elliott Trudeau lui-même. On remarquera aussi la présence, au sein de ce CCI, de Dwayne Andreas. Eh bien, ce Dwayne Andreas est l’oncle de G. Allen Andreas, l’ancien grand patron de Archer Daniels Midland, présent à la fameuse réunion de Larry’s Gulch, en juillet 2002, avec Mulroney, Papa Bush, Paul Desmarais fils (tiens donc !), Pierre-Karl Péladeau (tiens donc !) et trois autres gros bonnets, dont l’un de Barrick Gold. C’est fou ce que le monde est petit !

Donc, pendant au moins sept ans, de 1997 à 2003 inclusivement, Brian Mulroney a bel et bien mis sa vaste expérience au service aussi bien de Power Corporation que de Québécor. Notons qu’il pouvait facilement, le cas échéant, se rendre d’un siège social à l’autre sans trop user les semelles de ses Gucci. Situés au 612, rue Saint-Jacques, les bureaux de Québécor se trouvent vraiment, comme on dit, à deux pas de ceux de Power Corporation, au 751, rue du Square-Victoria. Ainsi, par exemple, durant l’automne 2011, c’est littéralement sous les fenêtres de nos deux gros empires médiatiques qu’ont campé les Indignés de Montréal.

Situation cocasse, quand même, et à plus d’un égard. Durant toute cette période, le vieux Desmarais bénéficia des conseils de celui qui était non seulement l’associé principal d’un important concurrent, mais aussi l’adversaire politique du père de sa bru, lequel était devenu à son tour premier ministre à Ottawa. On a beau la repousser, ici, l’image des larrons en foire décolle mal de l’esprit.
Cela dit, et hormis l'épisode de 1971, Mulroney a-t-il pacagé chez Power Corporation avant 1997 ? S’y est-il incrusté, tel Mazankowski, après 2003 et jusqu’à aujourd’hui ? Cela, pas moyen de le savoir, en tout cas pas à partir d’Internet. Power Corporation a mis en ligne la plupart de ses rapports annuels postérieurs à 2003, mais elle n’y dévoile plus la composition de son CCI, seulement celle de son CA. L’aurait-elle même dissout, son CCI ? Peut-être, mais peu probable. Sans doute a-t-elle préféré l’enfouir dans l’ombre la plus épaisse.
Au fond, qu’importe ? À ce jour, Brian Mulroney n’a pas cessé d’engraisser chez Barrick Gold où, en compagnie de Gustavo Cisneros et surtout de Peter Munk, il continue de baigner dans une atmosphère dont l’odeur ressemble fort, cela crève le nez, à celle de Power Corporation. Voilà l'essentiel. Par ailleurs, le réseau de Mulroney, on l’a vu, recoupe tellement celui des Desmarais que rien ne permet sérieusement de croire à une récente rupture entre l’ancien premier ministre fédéral et les pachas de Sagard. Alliés ils furent, alliés ils sont toujours. À la vie, à la mort.

Mais alors, se demandera-t-on en se grattant la tête, comment expliquer la récente campagne médiatique lancée et menée tambour battant contre Power Corporation par cet autre empire, Québécor, dans la hiérarchie duquel Brian Mulroney trône assez haut ? Cela, n’étant point dans le secret des dieux, je l’ignore. Rappelons-nous seulement que cette campagne médiatique porta surtout sur les séjours à Sagard du président de la Caisse de dépôt, Michael Sabia, et du premier ministre du Québec, John James Charest. Peut-être ne s’est-il agi que de souligner à gros traits tout ce qu’avait de problématique, pour un dirigeant de société d’État comme pour un élu, le fait d’accepter une invitation à Sagard, même si cela n’a pas surpris grand monde de la part de ces deux laquais-là.
Peut-être, en effet, ne faut-il y voir rien de plus. Je dis bien : peut-être. Mais peut-être pas non plus. Car, après tout, il y a lieu de douter que Mulroney ait délibérément voulu être complice d’une attaque en règle contre le chef d’un parti auquel lui et son épouse Mila versent toujours, nous apprend le DGEQ, de généreuses contributions. Des contributions dont une partie – qui sait ? - est peut-être affectée à la fameuse rallonge salariale du premier ministre… D’ailleurs, selon certaines sources, ce pourrait être en partie sous l’influence de Mulroney que Charest aurait nommé Sabia à la CDPQ. On parle d’une filière conservatrice, de Paul Tellier, ancien greffier du Conseil privé sous Mulroney et dont Sabia fut déjà l’adjoint, tant à Ottawa que, plus tard, au CN. Est-ce à dire, pour autant, que Mulroney, associé principal chez Québécor, a bien pistonné Sabia auprès de Charest ? Cela, à ce jour, rien ne le prouve hors de tout doute raisonnable. Mais convenons que ce n’est pas impossible et que la simple plausibilité de cette hypothèse jette sur la récente affaire Sagard un drôle d’éclairage et montre bien ce que signifie l’expression « comble de l’ironie ».

En tout cas, après toutes mes recherches, une vague inquiétude m'habite. Nous savons qu'ici comme un peu partout en Occident, il n'y a plus ou presque plus d'action politique qu'à travers les médias. Or, ceux-ci appartiennent de plus en plus à quelques empires financiers dont la rivalité n'exclut pas toujours des allures de cartel. D'où ma crainte que nous soyons à plus ou moins court terme les victimes d'un de ces coups bas, de ces coups fourrés, de ces coups de Jarnac dont les forces fédéralistes, toujours en osmose avec l'Argent, ont l'habitude.
Aussi, quand, à l'émission Le Match, sur les ondes de TVA, propriété de Québécor, on présente à tours de bras un certain Claude Rousseau comme un «homme neutre», cela n'a rien pour me rassurer, bien au contraire. Surtout après que Pierre-Karl Péladeau lui-même se soit réjoui que le maire Labeaume ait choisi ce Rousseau comme conseiller spécial pour le projet de futur amphithéâtre à Québec. Neutre, Claude Rousseau ? Vraiment ? Non mais, de la gueule de qui se fout-on ? De la nôtre oui !

Claude Rousseau est le président des Remparts de Québec, une équipe de hockey junior dont l’un des co-propriétaires s’appelle... André Desmarais, aussi co-président de Power Corporation. Allô, neutralité ! Que même Québécor y croie, à cette neutralité, et en cultive le mythe, cela laisse plutôt songeur. Mais qui sait ? En ce bas monde, des rivalités, il y en a deux sortes : les réelles et les autres.

Serais-je trop méfiant ? Je le souhaite. Tant mieux si l'épée de Damoclès que je redoute n'existe pas ou si les traquenards préparés contre nous par le complexe médiatico-financier ne s'avèrent que pétards mouillés. Mais je reste méfiant et préfère même l'être trop que pas assez. La méfiance, paraît-il, serait un facteur de longévité.
En ultime conclusion, un cliché, éculé certes, mais toujours plein de sagesse : mieux vaut prévenir que guérir.
Luc Potvin


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    17 mars 2012

    Monsieur Potvin,
    Merci pour tous ces détails, j'oserai dire pour toutes ces preuves, qui viennent confirmer ce dont nombre de québécois se doutent déjà, à voir aller la convergeance et le message fédéraliste des médias télévisuels, imprimés et électroniques de ces hommes d'«affaires».
    On fini par comprendre que quelque chose est anormal quand sur chaque chaîne québécoise de télévision dite de langue française on ne voit plus sans cesse que les mêmes visages de «stars du p'tit écran» qui, avec les lecteurs de pseudo nouvelles, radottent perpétuellement le même message multiculturaliste de fausse ouverture à l'autre.
    Mais voilà des détails qui confirment les doutent.
    Tout un travail !

  • Normand Paiement Répondre

    16 mars 2012

    Monsieur Potvin,
    Je retiens ceci de votre recherche et de votre brillante analyse: "Ne comptons que sur nous-mêmes"!
    Nous avons l'Internet et les médias sociaux.
    Ils ne peuvent pas (encore) nous les enlever, alors servons-nous-en comme vous le faites avant qu'il soit trop tard!
    Normand PAIEMENT