Halte aux donneurs de leçons!

L'affaire de la "reine-nègre" - VLB



Il est de mise par les temps qui courent de faire la morale à la majorité historique du Québec. Il y a deux semaines, le rapport Bouchard-Taylor pointait directement cette majorité inquiète et nostalgique, apparemment réfractaire à la doxa pluraliste. La semaine dernière, c'était au tour du psychiatre et poète Joël Des Rosiers de s'en prendre aux philippiques de VLB contre la «reine-nègre» et d'en profiter pour faire la leçon aux Québécois qui osent critiquer la gouverneure générale Michaëlle Jean. Des mises au point s'imposent...
Représenter la reine
Présenter Michaëlle Jean comme une «reine-nègre» était inutilement polémique, mais cela ne saurait justifier les arguments tendancieux avancés par le poète. Contrairement à ce qu'avance M. Des Rosiers, Michaëlle Jean ne représente pas la «nation canadienne-française», ni même le Canada, lorsqu'elle se déplace en France ou ailleurs dans le monde. Elle représente la reine d'Angleterre.
La gouverneure générale n'est pas non plus le successeur de Samuel de Champlain, mais des représentants de Sa Majesté qui ont dirigé l'Amérique du Nord britannique depuis 1760. Elle est notamment le successeur de James Craig, de John Colborne et de Lord Durham, qui, tour à tour, emprisonnèrent des Canadiens sans mandat, brûlèrent leurs villages en 1838 ou proposèrent de les assimiler.
Qu'elle le veuille ou non, Mme Jean représente, pour bon nombre de Québécois, un monarque étranger. Le fait qu'elle se soit très bien intégrée à la société québécoise et qu'elle s'exprime avec distinction n'y change absolument rien. Les institutions, et l'histoire qu'elles incarnent, pèsent plus lourd que les individus.
Ce qui en dérange plusieurs, cela dit, c'est moins l'institution qu'elle représente que ce qu'elle dit. Il faudrait être distrait, ou bien naïf, pour ne pas voir dans ses discours un condensé de l'idéologie officielle de l'État canadien: le multiculturalisme.
Aussitôt arrivée en poste, Mme Jean réduisit la dualité nationale du Canada -- les «deux solitudes» -- à du «chacun pour soi», les combats politiques du Québec à des «blessures» qu'il fallait apprendre à guérir. Dans L'Actualité du 15 novembre 2005, elle déclarait: «Je n'ai jamais pu me sentir à l'aise dans un sentiment étroit, nationaliste, dans cette pensée unique de l'enfermement.»
«Mon pays, c'est le monde»
C'est que la vice-reine ne manque pas une occasion de se présenter comme le symbole d'un «nouveau» Canada, celui d'une humanité réconciliée avec elle-même. Dans ses discours, le Canada forme un seul et même «peuple», mais d'avant-garde. Les Canadiens seraient, comme elle, des êtres hybrides, dotés d'identités multiples, tournés vers l'avenir. «Mon pays, c'est le monde», déclarait-elle à L'Actualité. «Des exilés, des métèques, des nomades, le monde n'est fait que de ça», ajoutait-elle. Et le Canada symboliserait cette rencontre des différences, cette harmonie enfin retrouvée. Oser critiquer ce Canada, ce serait aller à l'encontre du progrès et de l'histoire.
On retrouve là le registre du multiculturalisme dans sa version trudeauiste la plus pure. Depuis 1982, cette idéologie s'appuie sur une charte, constitutionnalisée sans le consentement du Québec, faut-il le rappeler, et sur une série d'autres institutions étatiques. [...]
Que la citoyenne Michaëlle Jean ait été convaincue des bienfaits de cette idéologie, cela la regarde. Qu'elle utilise sa nomination pour s'en faire la propagandiste, qu'elle fasse la leçon aux Québécois qui souhaitent pour leur nation une vraie reconnaissance politique, c'en est une autre. Si Mme Jean souhaite faire de la politique, qu'elle descende de son trône et se présente sous la bannière du Parti libéral du Canada.
Entreprise de culpabilisation
Mais ce qui surtout dérange dans le texte de Joël Des Rosiers, c'est le lourd soupçon de xénophobie, sinon de racisme, qui pèse contre ceux qui osent contester les discours de Mme Jean, ce sont les liens qu'il établit entre ces critiques légitimes et une pensée soi-disant «néocoloniale».
Tout se passe en effet comme si, en s'attaquant aux idées de Mme Jean, on s'en prenait à toute la communauté haïtienne. Au lieu de discuter des idées, on disqualifie moralement les adversaires en évoquant, au passage, un passé esclavagiste, ce terrible «crime contre l'humanité». Ce sombre passé, laisse entendre M. Des Rosiers, devrait inciter à la «repentance» plutôt qu'à la critique.
Je ne suis pas le seul à penser que cette entreprise de culpabilisation de la majorité, tout à fait conforme à l'esprit du rapport Bouchard-Taylor qui soulignait à grands traits l'inquiétude des Québécois d'ascendance canadienne-française, a quelque chose de parfaitement insupportable.
Les Québécois issus de la majorité historique n'ont de leçons de tolérance à recevoir de personne, pour peu qu'on jette un bref regard vers le passé. Oui, il y eut ici de l'esclavage et, parfois, de l'antisémitisme, mais cela n'avait rien à voir avec ce qui se passait ailleurs. L'histoire québécoise est parsemée de gestes d'ouverture. [...]
Terre d'accueil
Le Bas-Canada fut la première colonie de l'Empire britannique à accorder l'égalité civile et politique aux juifs, en 1832. Quelques années plus tard, plusieurs familles canadiennes-françaises adoptèrent de jeunes Irlandais qui fuyaient la famine et qui avaient perdu leurs parents durant la terrible traversée. Les archives montrent que l'Église catholique de l'époque ne ménagea aucun effort pour assurer à ces orphelins un gîte et aux Irlandais affamés et malades de la Grosse-Île des soins essentiels.
Après avoir accueilli des juifs de l'Europe de l'Est qui fuyaient les pogroms, des Italiens qui rêvaient d'une vie meilleure, des Chinois qui avaient travaillé pour la construction des chemins de fer mais qui ne se sentaient pas les bienvenus en Colombie-Britannique, les Québécois reçurent des Grecs, des Portugais et de nombreux dissidents du bloc de l'Est.
Humanisme
À la suite du coup d'État d'Augusto Pinochet, un vaste rassemblement de Québécois envahit le Forum de Montréal afin de faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il accélère l'émission de visas destinés aux victimes de la junte militaire.
Il y a 30 ans cette année, des milliers de Québécois, émus par le drame des «boat people», acceptèrent de parrainer des réfugiés vietnamiens qui fuyaient la tyrannie communiste des Khmers rouges. Ces généreux Québécois n'étaient pas seulement des citadins branchés, qu'on dit plus ouverts au cosmopolitisme. Non, ces Québécois habitaient Val-d'or, Jonquière, Matane, peut-être même... Hérouxville!
Le grand coordonnateur de cette opération humanitaire était Jacques Couture. Grand humaniste, jésuite de coeur, le ministre de l'Immigration d'alors était aussi un «nationaliste» dont le gouvernement venait d'adopter la Charte de la langue française. Pour lui comme pour les Canadiens français du XIXe siècle, «l'ouverture à l'autre» n'était pas incompatible avec l'attachement à un patrimoine, comme les idéologues de l'inter/multiculturalisme tentent de nous le faire croire depuis 1995.
Certes, l'intégration politique et économique des nouveaux arrivants reste un défi de tous les instants. Mais dans la mesure où l'on respectait leur culture et leurs valeurs occidentales, les Québécois ont toujours été des gens «acc'modants». Tenter de leur faire croire le contraire, les inviter à accepter passivement une idéologie conçue pour les anesthésier devant les défis que pose encore et toujours une présence française en Amérique, c'est plier l'échine et renoncer sans bruit à une grande espérance.
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Éric Bédard, Historien et professeur à la TELUQ-UQAM


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