Il y a peu de causes au monde qui se repaît d'autant de chimères que la cause autochtone, aucune si bucolique d'apparence, aussi champêtre. On associe aujourd'hui les amérindiens aux bruits de chute d'eau, aux ramages des oiseaux et au crissement des pas sur la neige. À cet égard leur culture est aimée par les bonnes âmes comme les disques audio reproduisant des ruissellets, des murmures de rivière que l'on vend dans les rayons « musique subliminales » ou « Nouvel-Age » de la plupart des grandes surfaces.
Il n'y a pas de groupe humain qui, en vertu de la lignée, engendre des amis de la biosphère. Au cours des millénaires un groupe ethnique peut connaître plusieurs types de civilisation. Rien ne dit que des communautés amérindiennes n'auraient pas connu un stade qui les eut fait sortir d'une organisation basée sur la subsistance agraire et sur la chasse pour devenir technologique. L'ethnologue Claude Lévi-Strauss a déjà écrit que « ce que nous nommons l'exotisme traduit une inégalité de rythme, significative pendant le laps de quelques siècles. »
Comme il y a des communautés amérindiennes près de chez moi j'ai eu l'occasion de fréquenter des loges de sudation où on suit le rituel qui consiste à faire chauffer des pierres et à les arroser d'eau. Celui qui se nomme le jongleur invoque les points cardinaux. Ce trait qui fut largement répandu semble-t-il dans plusieurs hameaux autochtones n'est pas en soi particulier à l'Amérique. Beaucoup de peuplades répertoriées à travers le monde associaient les points cardinaux à des qualités magiques.
Comme les agglomérations dépendaient de la chasse et qu'on y mourrait en général fort jeune, les vivants voyaient les morts, autant ceux des nations animales que les défunts de la tribu comme les représentants de la majorité silencieuse. Aujourd'hui les jongleurs parlent encore de la nation de l'ours associé au Nord. Le sorcier met en jeu tous les moyens magiques pour que les vibrations de la majorité silencieuse soient positives et ne se transforment pas en cercles ennemis. Le rituel des pierres chauffées, lesquelles sont censées contenir l'esprit de plusieurs ancêtres, fait plus que se perpétuer aujourd'hui. Les touristes européens les prisent fortement. J'y ai rencontré, outre des Mohawks, des Allemands et des Français. Le jongleur qui se faisait l'interprète du discours des âmes défuntes, les fois où j'y ai assisté, passait souvent à l'anglais. Je trouvais ce détail ironique car le jongleur était d'origine huronne. Je m'inquiétais que l'au-delà s'anglicise ainsi alors même que le monde ici-bas se transformât en machine à consommer et en machine à produire.
Le concept de « premières nations » est en fait très moderne et tributaire davantage de la culture juridique contemporaine que d'un quelconque esprit ancestral. Il s'est depuis quelques décennies formé une nouvelle classe de droits qu'on pourrait appeler le droit des origines. Il y a des cabinets d'avocats à Montréal ou à Vancouver spécialisés dans la filière autochtone. Des avocats y font carrière espérant aller jusqu'à l'âge de la retraite. Le droit des origines est en fait une transposition juridique d'une cause qui, elle, est issue d'un contexte culturel bien particulier tout à fait étranger à la justice. Aucun avocat au monde ne peut comme à Montréal ou au Canada réclamer pour son client, une localité de quelques milliers d'habitants, des territoires qui sont de huit à vingt fois plus grand que le territoire d'Israel. En 1997, la cour suprême validait comme preuve l'histoire orale des Autochtones.
Les localités dites de lignée amérindienne se sont découvert des ancêtres avec un esprit de géomètre et un compas bien large dans l'œil. Dans les faits les histoires recensées dans les hameaux, avant que cela ne deviennent un outil dans des procès, relataient des périples de chasseurs. Ces derniers étaient concentrés sur leur proie et obligés de la rechercher. La distance entre le chasseur et le produit de la chasse était une donnée primordiale. Plus le territoire à parcourir était petit pour chasser fructueusement mieux c'était, alors que devant les tribunaux modernes plus il est grand, mieux c'est.
Le droit moderne des origines voudrait que tous les changements de terrains connus par les ancêtres lors des transhumances de la chasse tombent sous la coupe des localités de lignée sanguine reconnue. Le droit ne fait ainsi qu'ouvrir un statut extravagant de propriétaire dont l'apogée n'est jamais atteint. Si les ancêtres étaient intéressés au partage entre le cercle des chasseurs et de répartir les fruits de la récolte, ils sont mués en arpenteurs dans la nouvelle version à l'usage des tribunaux. Les ancêtres amérindiens remerciaient l'orignal d'avoir sacrifié sa vie pour lui. L'espace était un champ vibratoire où les arbres étaient des peuples, où les pierres et les montagnes concentraient des esprits qu'il ne fallait pas déranger. Plusieurs peuplades voyaient le continent comme étant le dos d'un gigantesque animal. Ils se voyaient comme des insectes microscopiques sur la coupole d'un mammifère nouveau dont l'épiderme était vivante. Dans les rites mohawk on appelle encore le continent nord-américain la Grande Tortue.
Les droits des origines résultent moins d'un esprit de fidélité au passé qu'à la nécessité toute moderne du Canada de resituer les deux bords de la différence après avoir trompé les Québécois sur ce pays qui devait aboutir à une vraie confédération entre Etats égaux et librement associés. En disant réhabiliter les premières nations on faisait d'une pierre deux coups. Les francos devenaient les premiers caucasiens et la première incarnation de la colonisation blanche. Plutôt que fondateurs ils passaient symboliquement au rang de premier usurpateur du sol. Et on faisait du Canada une nation de nations sans avoir à reconnaître le foyer national québécois. Le Fédéral aimait mieux se faire l'interprète de hameaux nationaux auprès des provinces que de voir dans le Québec plus qu'une province.
Avec la nouvelle pratique du droit, la carapace de la Grande Tortue est devenue propriété collective à déterminer au gré des poursuites juridiques entamées par les hameaux. Et le hameau peut tirer toutes ses compétences de ce que l'on s'est raconté, les racontars sur l'âge d'or, sur l'Atlantide que l'on possédât jadis et qui n'attend plus qu'à redevenir bail territorial. Un porte-parole amérindien peut aller crier à l'injustice, s'improviser tambour de ville en Europe. Tout de suite on croira qu'il s'agit de mettre un royaume à l'abri de la pollution. La cause amérindienne dans l'imaginaire mondial est celui de l'homme cosmique et on interprète son histoire sur le modèle ségrégationniste d'Afrique du Sud. Ils veulent plus de territoire pour sortir de leur réserve, un cloisonnement dans lequel ils seraient cantonnés et privés de sauf-conduit.
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Nul ne saura contester le sort misérable de plusieurs communautés autochtones mais la sympathie internationale qui en résulte a donné lieu à une pratique abusive du droit. Le droit des origines est purement interprétatif. Il peut ouvrir sur l'usufruit de toutes les ressources exploitées, des redevances sur l'enrichissement collectif qui peut alimenter une filière infinie de réclamations. Puisque des rivières ont été harnachées pour produire de l'électricité, pourquoi une communauté ne pourrait-elle pas avoir un pourcentage sur l'aluminium exporté? De fil en aiguille l'avocat peut monter un carnet comptant tous les complexes industriels dépendant de l'électricité et pourquoi pas l'huile à chauffage puisque le mazout est le sang de la terre?
Cette nouvelle catégorie du droit profite au Fédéral et il assure la fortune de cabinets d'avocats. Le Fédéral aime bien se présenter comme l'interlocuteur de diasporas ethniques par-delà les provinces. Tout ce qui le confirme dans sa fonction de directeur est bien et souhaitable. En s'octroyant une juridiction sur un groupement humain, le Fédéral dès sa fondation établissait une jurisprudence. Sous les compétences fédérales, les communautés autochtones attendaient la manne de la pension, l'exemption fiscale et le droit de pêcher l'écrevisse. Comme dans le syndrome de Stockholm le féroce colonialiste s'est mué à leurs yeux en protecteur.
Matthew Coon-Come voyait dans le foyer national québécois un désastre et Ovide Mercredi en distingué patriote canadien découvrait l'inexistence de la nation québécoise. Je me demande parfois si leur idée n'était pas de faire monter la valeur de la cause amérindienne en présentant le foyer national québécois comme une banale impasse. On laisse certains tribuns amérindiens obtus jouer un peu tant qu'ils n'ont pas fini ce qu'on attend d'eux.
Ce qu'il faut bien comprendre c'est que dans la cause amérindienne le Fédéral est le chef de tout le monde et la province lui obéit dans ce domaine. Le Fédéral a affaire avec des centaines de hameaux qui ont déjà pratiqué des centaines de langues venant de très nombreuses souches linguistiques différentes. Comme Québécois, nous devons nous objecter à cette tendance à interpréter sous l'éclairage d'un nouveau couple d'opposés que seraient les blancs et les rouges. Nous ne voulons pas être considérés comme des Caucasiens et nous faire demander la sempiternelle question en Amérique du Nord : « What is your blood line. »
À long terme la cause amérindienne ne sera pas aidée par des avocasseries extravagantes. La population finira par se dire qu'une fermentation de marécage s'est déguisée en lutte pour les idéaux. Nous allons fêter les 400 ans de Québec et ses 400 ans ne sont pas une proto-histoire caucasienne que des juristes peuvent balayer du revers de la main. Le territoire québécois est aux Québécois qui veulent une approche commune. Il n'est pas un lingot originel à restituer à de nouveaux favoris d'un régime de droits improvisés au gré de traités éternellement négociables.
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