Le combat sur Internet

Chronique d'André Savard


On est toujours surpris quand arrive un changement crucial pour notre société. En premier, on se prédit des mers et des mondes. À l’arrivée du téléphone, on prévoyait la fin des guerres puisque les chefs d’Etat n’auraient qu’à s’appeler pour s’expliquer. Avec l’avènement de l’Internet, on a assisté à la levée d’un idéalisme aussi débridé.
Les nouvelles technologies changent certainement l’organisation de nos journées mais, tout compte fait, on en arrive à un bilan tristounet. Les grandes découvertes sont colonisées par nos vieux atavismes. L’Internet, cet univers que l’on dit sans frontière, déclenche plus souvent qu’autrement un esprit de clocher très mesquin.
Il suffit de voir l’évolution des forums de discussions pour constater que les meneurs cherchent à garder leur place en se carrant sur des positions pour que les adeptes se rallient. Pour se fondre dans le groupe, on essaie de représenter avec le plus de rectitude possible la quintessence de la cause, si bien que les forums de discussion se mettent souvent au service d’une poignée de personnalités obsessionnelles.
Que le forum de discussion porte sur Shakespeare, la politique ou les meilleurs vignobles de Nouvelle-Zélande, bien qu’en principe chacun soit libre d’exprimer son opinion, il en va comme de n’importe quel congrès humain. Il est très gênant d’être seul et de ne paraître écouté par personne. On sent qu’il y a la « bonne chose à dire » si on ne veut pas avoir le sentiment d’attendre devant la porte.
Un forum de discussion se présente vite comme un petit territoire à conquérir. Et on le fait en portant un étendard. Dans un forum sur Shakespeare, il y aura un rite d’initié, une foi particulière dans un sonnet négligé de l’écrivain, ou des négations à l’emporte-pièce sur le fait que Shakespeare a également écrit çà et là des œuvres mineures. Si c’est un forum d’œnologues, il y a tout autant une croyance plus ou moins fondée qui fait office de rite de passage.
Ce peut être, disons, la qualité maximale attribuée aux vendanges de 1992. Vous devez vite comprendre l’importance qu’on y accorde car le rite symbolise le consentement au groupe et, vite s’il vous plaît, ne jurer que par le grand cru de 1992. C’est l’apanage du connaisseur. Vous êtes censé le reconnaître. Vous témoignez ainsi de votre confiance dans le petit contrat social qui lie les membres du forum.
Il est très rare que les forums indépendantistes de discussion ne finissent par se durcir autour de quelques champions qui assoient leur autorité sur le principe qu’ils sont les seuls indépendantistes dignes de ce nom. On commence en voulant se donner de l’importance et, très souvent, à force de mimer une intelligentsia de rang supérieur, on finit par se convaincre que le Parti Québécois est néo-fasciste et que le forum rallie l’ultime îlot qui résiste toujours.
Généralement ces conclusions extrêmes viennent après tout un combat dont les messages lancés sur le forum ne sont qu’un motif. Un message est aussitôt environné. Si on redoute l’influence d’un membre du forum on mettra en appendice à chacun de ses messages des commentaires pleins d’ironie supérieure sur son ignorance. Ou encore, on ne relèvera pas ce qu’il dit et ne lui attribuera la paternité d’aucune idée.
Dans cette lutte pour le territoire, le groupe meneur se forge une identité par une surestimation de certains aspects qu’il tient pour positifs. « Nous sommes le Peuple » diront-ils ou « Nous frayons la voie au nouvel âge des lumières grâce à l’abandon de la formule référendaire». Puis, à force de tirer ses intentions de postulats, le groupe de discussion constitue un bercail dont la toute-puissance sur le domaine est négative. On ne voit plus qu’hibernation, froid et vide en dehors du forum. Il s’ensuit une irresponsabilité complète à l’égard du cours des choses publiques.
Le forum de discussion attribue tout ce qui est positif à son programme, lequel représente le peuple ou la grande coalition, et il attribue tout ce qui est négatif aux intentions malveillantes des faussaires. Si quelqu’un dans le forum essaie de temporiser, on essaie de lui barrer la route. Celui-là n’a pas compris qu’il y a un mensonge grandiose et tout un mensonge, d’un gigantisme uniquement saisissable pour les initiés et les clairvoyants: « Il n’y a jamais eu au Québec un parti politique indépendantiste de masse » et, en outre, il y a selon les membres du forum une autre vérité profonde. La vérité profonde c’est que le forum de discussion a le programme pour nous émanciper de nos vieilles dépendances et forger des individus vraiment libres.
Généralement, on est en droit de reconnaître alors que le forum est au point de non-retour. Les groupes d’opinions, en se surestimant pour mieux se rallier, descendent toujours le même processus. Désormais le forum se verra comme un îlot de création et ceux qui les dénigrent sont des apparatchiks qui ne pensent qu’à applaudir au pouvoir suprême. Ils n’ont pas compris, ceux-là, que Microsoft, le Parti Québécois, le Fédéral, les Nations-Unies et le fournisseur Internet sont par essence indignes de confiance.
À ce stade dans l’évolution du forum de discussion, il importe peu qu’à l’origine, les membres aient répondu à une intention tout bonnement indépendantiste. En premier, ils étaient tous des indépendantistes pressés mais maintenant qu’ils sont entre eux, il ne faut pas brûler les étapes. Il y a une tâche tellement plus grande. Il faut orchestrer la migration de tous les individus vers leur plateforme où pourra se créer un nouveau système qui sera enfin un produit de la bonne volonté de la population.
Quand le forum est un territoire où, pour passer le rite de passage, on doit se dire prêt à considérer les pouvoirs d’un autre point de vue, attention! Désormais les membres du forum, bien qu’issus du Peuple avec une majuscule, se veulent bien loin de la petite sagesse courante. Partout voit-on l’aigu, le profond, l’indéfinissable complot de Microsoft et du parti politique que l’on nomme plaisamment le pikiou.
Vous dites que Pauline Marois n’est pas néo-fasciste et qu’il est bien possible, après tout, que Bernard Landry ait déjà été indépendantiste? Ils n’en auront cure. Loin de prendre conscience de l’extrémité de leurs positions, les membres du forum s’exercent tant à tisser un lien logique dans toutes leurs accusations qu’ils se prennent d’amour pour ce qui semble les éclairer d’un feu glacé.
L’Internet n’a rien changé à cette vieille maxime : trop de cuisiniers gâtent la sauce. Certes, il ne s’agit pas de recommander l’abandon des forums de discussion. Il y a là aussi des gens qui ont du talent ou qui voient l’utilité d’intervenir. Une nouvelle branche du militantisme, toutefois, plus féconde, pourrait bien rassembler davantage à des ateliers de création.
Il est à souhaiter que des groupes de créateurs exploitent des sites indépendantistes scénarisés alliant sonogrammes, textes et images. Il est fortement à souhaiter que des groupes d’individus complices, sobres dans leurs intentions et empathiques passent à un niveau de création supérieur.
On commence à peine à exploiter les possibilités du texte dans un espace Internet. Il faut d’abord constituer une banque d’images, prévoir le découpage du texte, les fondus enchaînés dans une image avec une autre partie du texte. Le séquençage demande une arborescence souvent pointue pour prévoir l’ordre d’entrée du texte en liens avec tous les autres éléments.
Pour atteindre des résultats, il faut de la méthode, de l’engagement, le goût d’expérimenter et de l’amitié. Des gens qui s’allient dans un effort créatif veulent construire des œuvres de persuasion politique. C’est un laboratoire que l’on fréquente et où on travaille parce que l’ambiance est agréable, pas un réseau de farauds qui prétendent représenter le peuple contre les pouvoirs conventionnels. L’objectif c’est de mettre en rapport les personnes qui sont initiées à des méthodes praticables et qui sont prêtes à se plier aux exigences du travail créatif.
Il faut des gens qui s’apprécient et qui allient leurs efforts comme dans un petit orchestre. La cause indépendantiste pourrait devoir beaucoup à des gens qui développeraient une expertise dans le domaine du texte s’inscrivant dans un environnement interactif. En contrepartie, il y a fort à parier que la cause indépendantiste n’avancera pas dans des forums de mécontents qui écoutent des prédicateurs encore plus mécontents qu’eux pour se convier à détruire les pouvoirs existants.
Le cas est vite réglé dans la population : « Encore des gens qui ont des araignées dans la tête, se disent-ils, et qui sont anti tout. » Il en va autrement pour un message qui obéit vraiment à un scénario global et qui a demandé des efforts. Il faut concevoir de plus en plus le message sur Internet comme un petite oeuvre d’auteur faite en collaboration.
André Savard


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