Le français périclite

Chronique d'André Savard

Charles Castonguay, démographe et statisticien, fait un travail de moine depuis des années, un travail marqué par la rigueur, pas par les intérêts politiques. Ces travaux sont publiés par l’Aut’Journal. Ils traduisent des observations qui mènent vers une seule conclusion: le français périclite au Québec.
Les francophones sont passés sous la barre des 80%. Toutes ces années, les recherches de monsieur Castonguay ont vu le jour dans la presse alternative. On a tout fait pour l’accueillir par des silences pudiques ailleurs. Si la convention du silence fut parfois impossible à maintenir, on a dit dans les grands journaux qu’il n’y a pas de plan inscrit dans le ciel et que la vie, forcément, laisse beaucoup au hasard. Après la tornade vient l’arc-en-ciel, comme dit la chanson.
On minimise l’importance des travaux de Charles Castonguay systématiquement. Ou on s’enfouit la tête dans le sable ou on accuse une fatalité dont personne n’a la maîtrise. On a dit par exemple devant les nouvelles données révélées par Charles Castonguay que c’est un état d’être sans rémission et que la nature du régime canadien n’a rien à y voir. Le Canada ne serait pas au Québec une machine où tout le monde est pris. Ce serait juste un pays qui donne aux individus la puissance de choisir. La pouvoir de parler une langue officielle serait entièrement donné à l’individu et cet individu l’exercerait isolément, totalement sur les autres. L’envers donc de la loi du plus fort…
L’idée que le français périclite est une idée vue comme dangereuse pour le régime. Plusieurs ne lui permettent pas d’avoir un effet sur leur pensée. On préfère recouvrir cette idée d’un discours sur la concorde, la bonne volonté. À cet égard, dans la grande presse et les grands réseaux, on agit comme du personnel d’encadrement appelé à moduler les informations trop fâcheuses. On répète que l’on vit dans un pays béni à l’abri parce que les institutions stables insufflent la bonne volonté. Plus on favorisera la bonne volonté, plus la paix linguistique régnera et d’ailleurs, ce n’est pas la houlette des inspecteurs qui rendra le français plus vivant.
Peu importe que ce soit l’aveuglement qui soit la condition de ladite bonne volonté. Statistique Canada vient de rendre facultatif le questionnaire long. On aime de moins en moins documenter les transferts linguistiques. À ceux qui s’inquiètent de ces transferts, on répond généralement qu’ils ne sont pas significatifs.
La paix linguistique cache un champ de tensions continuelles. Cette paix linguistique se voit défendue par des habitudes intellectuelles qui sont des retranchements dans le déni. Le premier trait de ce déni vise à rendre les francophones responsables du déclin du français. Montréal s’anglicise parce que les francophones s’en vont en banlieue. Le Québec s’anglicise parce que les francophones ne font pas assez de bébés. Le Québec s’anglicise parce que les francophones ne produisent pas assez de richesses et qu’on a bien le droit de préférer les riches aux pauvres.
Après avoir accusé les francophones, on se montre méticuleux sur les détails. Essentiellement la technique consiste à nier l’observation touchant le déclin du français en prenant un fragment d’information et en le généralisant au point de se faire croire que la partie va sauver le tout. Par exemple on dira que les transferts linguistiques obéissent à différentes cadences dans tel milieu spécifique et que ce qui s’accomplit plus ou moins vite risque fort de freiner au gré du temps, par une force d’inertie dont on serait à la veille d’apercevoir les balbutiements.
On a des mots assez méprisants pour ceux qui s’inquiètent trop. Immanquablement, on décrète que c’est la phobie de l’étranger qui se love dans les inquiétudes touchant l’avenir du français. Très souvent on a droit à une pensée aristocratique qui opposerait juste le Québec originel au Québec-monde. Il n’y aurait pas de perte de terrain, juste un changement du terrain. Nous serions en train d’embrasser le monde actuel. Ceux qui s’inquiètent seraient des gens qui, par un vieil esprit de clocher, se refuserait à embrasser le réel où le nouveau remplace le nouveau.
Et on en remet sur la responsabilité des francophones. C’est parce qu’ils n’ont pas assez bien parlé le français dans le passé. Pourquoi les gens continueraient-ils leur éducation en français alors que les collèges anglophones sont peuplés d’enfants d’immigrants qui parlent souvent mieux le français que les pure-laine?
Au fil de cette analyse, on en vient à tirer des conclusions, des conclusions que ces analyses suggèrent sans les énoncer explicitement: Les immigrants s’anglicisent pour éviter une tare collective, et d’ailleurs, ajoutera-t-on, ils ne s’anglicisent pas. On module sans arrêt l’information sans se formaliser des contradictions. L'essentiel vise à affirmer que les données du jour ne sont pas menaçantes puisqu’elles prennent place dans le Québec-monde. Dans ce Québec-monde, les lignes, les déplacements, les mouvements obéissent à tant de facteurs qui dépasseraient la bonne vieille référence à la dualité linguistique. Il suffirait juste de réviser sa vieille carte.
Les adeptes du Québec-monde sont dans un état surmonté, une existence au-dessus des clivages linguistiques, des amants de la conscience universelle. C’est ce qui les inclinerait tout naturellement à préférer le Canada finalement. On croit peser le pour et le contre. En fait, on veut surtout noyer le poisson.
Et puis, on nous dit que vivre en anglais serait un droit fondamental, plus encore, un droit d’usage universel à présent. Dût-on le trahir, le monde entier sera contre nous.
Il n’y aurait pas de roches pour nous permettre de traverser à gué la rivière dans ce monde de droits fondamentaux. Ce satané système juridique nous attend sans arrêt au tournant. Sous prétexte qu’il a mission de protéger les individus contre la tyrannie de la majorité, il offre un tremplin en or à tous ceux pour lesquels le français ne convient pas à leur identification militante. La table est mise pour une guérilla continuelle.
La puissance instrumentation mise en oeuvre ne trouve pas seulement ses assises dans les recours juridiques, toujours en préparation dans quelques bureaux d’avocats. Elle siège aussi dans la menace du regard qui sera porté sur nous. Le jugement international qui sera instruit principalement par le front médiatique anglophone devrait nous pousser à exercer une surveillance sur et contre nous-mêmes.
Aussi les données démographiques attestant le déclin du français sont d’emblée suspectes. On a l’impression que ces données démographiques échouent dans une vaste salle de montage et qu’elles seront traitées par une vaste équipe de production du commentaire. Les commentaires finiront par diluer tellement la signification de ce recul qu’on ne verra plus que des signes apparents dans les données brutes, un peu comme si la réalité du recul du français se voyait surclassée par les commentaires sur les significations possibles, probables, à prendre ou à laisser, pour penser, enfin, sans parti pris en faveur du « nous ».
La notion de “prédominance du français” est devenue la notion que le pouvoir du français ne doit pas trop s’exercer s’il ne coûte quelque chose pour la communauté anglophone. On n’a pas à imposer le français au niveau des groupes, juste à l’étendre à l’ensemble social, sans punition, sans contrainte matérielle tatillonne. Si on fait respecter la loi on suscite des révoltes. Si on intervient de façon discontinue, il se développe dans les intervalles des phénomènes de résistance. Et tout à coup, on voit des clientèles de bar, par exemple des bars de la rue Mont-Royal à l’ouest du boulevard St-Laurent qui marquait jusqu’alors la frontière anglo-franco basculer du côté anglophone.
Il ne s’agit pas dans cette chronique, ni ailleurs, de dénier aux anglophones le droit de se réunir et de converser. Il faut juste prendre note de la réalité qui nous entoure avec ses territoires linguistiques, des solutions de continuité s’imposant dans le paysage et qui nous inquiètent si elles se voient outrepassées.
C’est pour cela que l’on parle à propos de Montréal de la “curieuse paix linguistique”. Tant que le pouvoir du français se répercute au niveau de l’ensemble social sans contester les pouvoirs de l’anglais sur les corps constitués, les pouvoirs de certaines catégories, on préserverait la “paix linguistique”. Le piéton dans les rues de Montréal enregistre du coin de l'oeil les interruptions, les nouveaux lieux d’expression anglaise qui peuvent éclore puisque le pouvoir du français, lui, a bien le droit de s’exercer sur l’ensemble social tout en ignorant la guerre de tranchées dont Montréal se fait le théâtre quotidien.
Ce serait un des bénéfices de la loi 101 que d’affirmer le droit du français sur un ensemble social qui plane au-dessus des tranchées. Si tel est le cas, Stéphane Dion a raison d’y voir une grande loi canadienne.
La langue n’est plus le véhicule qui assurera l’irrigation dans le corps social d’une culture jusque dans ses grains, les groupes, les individus. C’est un instrument, et ce serait aux individus qu’il appartiendrait de déterminer si elle peut prétendre à l’hégémonie sociale et, si oui, dans quelle mesure. Il y aurait juste un bémol, la conscience que le français loge dans la tour centrale de cet espace qui, lui, a bien le droit d’être organisé par les individus.
Ce qu’on ne dit pas, c’est que ces “individus”, dont le pouvoir ne serait pas attribuable à des droits que l’on détiendrait de par sa naissance, sont les titulaires d’une machinerie qui n’a rien d’individuelle. Il y a bel et bien des individus dans cette machine canadienne mais ils ne sont pas à la même place du fait que la langue anglaise est prépondérante et qu’elle possède des effets de suprématie sur les individus.
C’est une vérité de La Palice, direz-vous. Mais on commente sur le déclin du français et sur l’insécurité culturelle des Québécois de façon culpabilisante, comme si cette vérité n’existait pas. Ce qu’on appelle “droit fondamental” n’a rien d’un droit fondamental. Il n’y a pas un droit fondamental qui fait reposer la langue d’usage dans un pays sur le libre choix des individus. Au Canada, ce droit fondamental n’existe que sur papier. Il n’y a que le Québec qui l’applique.
Il y a des centaines de nations de par le monde. Elles accueillent des touristes, s’intéressent au monde entier. Il n’y a pas un droit fondamental de portée planétaire qui pose la langue d’une nation au rang d’une utilité qui doit disputer sa place à une autre langue qui a tout autant le droit d’être déterminante.
André Savard


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 février 2011

    Hier aux nouvelles j’ai entendu quelque chose d’incroyable de Maxime Bernier. D’où vient ce Maxime Bernier, cet analphabète de la culture française du Québec? Pour qui se prend-il pour remettre en question la Charte de la langue française ou Loi 101, vendredi dernier, lors d'une entrevue à la station de radio Halifax News 95,7. Il est sans doute le seul Québécois anglicisé à ne pas voir que notre langue nationale, le français, régresse continuellement depuis vingt ans. J’espère que les Québécois ne voteront pas pour lui aux prochaines élections fédérales.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 février 2011

    Cessons d'élire des partis politiques fédéralistes (PQ compris) qui travaillent contre nos intérêts collectifs. Depuis 2003 que nous nous laissons détruire par ce gouvernement le plus provincialiste de l'histoire du Québec sans vision d'avenir pour les Québécois sauf celle de nous démolir. Sommes-nous un peuple inconscient, immature, masochiste et suicidaire à ce point? Je commence à me poser des questions sérieuses à ce sujet. Au Caire, hier, il y avait 1 000 000 de personnes dans la rue pour faire sauter le dictateur Moubarak et ici au Québec, nous ne sommes même pas capables de réunir 100 personnes dans Montréal pour dire au cros... à Charest que nous n'en voulons plus de ce gouvernement corrompu. C'est bien beau les grandes théories mais à un moment donné, il faut passer à l'action! INDÉPENDANCE OU ASSIMILATION!
    André Gignac pour un Québec indépendant et libre!

  • Archives de Vigile Répondre

    1 février 2011

    Aucune nation au monde propose à ses citoyens une seule autre langue internationale comme deuxième langue, seuls les fédéralistes du Québec proposent une telle assimilation anglicisation
    Aucune nation au monde propose à ses citoyens de payer des institutions à sa minorités de 8% d’anglicisés angliciseurs allant jusqu’à 25% des budgets de l’éducation car c’est suicidaire
    Aucune nation au monde ferme le monde à ses citoyens en proposant une seule seconde langue sans choix sachant que 90% des citoyens du monde ne parlent pas anglais
    Aucune nation au monde ferme les emplois à ses citoyens en laissant les étrangers angliciser tous les emplois , sans exiger le respect de notre langue nationale le français dans tous les emplois sans l,exigence d’une autre langue
    Francisons toutes nos institutions
    Le bilinguisme vers l’anglais nous ferme le monde et détruit notre langue nationale
    Les Québecois sont déjà 4 fois trop anglicisés et nos médias permis par les colonisateurs du CRTC 6 fois trop anglicisés
    Les fédéralistes endocctrinnés par Propagande Canada et par manque d’intelligence pour ce qui est de la langue sont en train de détruire la Nation Québecois en nous empêchant de travailler par ce que nous parlons français et que nous voulons vivre en français.
    Durant ce temps les Canadians imposent l’uniliguisme anglais et apprennent à leurs enfants les différentes langues du monde pour usage hors Canada au lieu de tomber dans le piège du bilinguisme essentiellement fait pour les colonisés Québecois trop bêtes de se rendre compte comment il s’autodétruise par le bilinguisme en n’intégrant pas les immigrantts en français .
    Histoire de la langue Canada Québec
    1) 1534-1763= 100% francophone
    2) 1763-1863= il ne reste que 50% de francophones malgré les revanches des berceaux
    3) 1863-1963= ssuite à des lois racistes anti francophones partout au Canada il ne reste que 25% de francophones à 90% au Québec
    Il ne reste que le Québec à détruire par l’utopie du bilinguisme et l’anglicisation des emplois et des immigrants et c’est ce que Charest , Ottawa et leurs gangs de commandités font.
    Il ne voit pas que pour 8 % d’anglophones 60% des médias permis au Québec sont unilingues anglais
    Il ne voit pas qu’on empêche les Québecois de travailler s’ils refusent de s’angliciser
    il ne voit pas que tous les députés fédéralistes à Ottawa viennent de voter contre l’APPLICATION DE LA LOI 101 AU QUÉBEC
    Il ne voit pas comme tous les fédéralistes les crimes que les fédéralistes commandités commettent contre tous les intérêts de la Nation Québecois
    Il ne voit pas que le mépris des colonisateurs et de leurs colonisés angliciseurs ne pourra pas durer encore longtemps
    En fait ils ne voient rien car ils n’ont que haine comme Charest et sa gang contre la Nation Québecoise
    Bilingue oui mais pas le faux bilinguisme des fédéralistes pas tous en une seule autre langue l’anglais des Canadians mais dans une langue au choix pour usage hors Québec .
    90% des êtres humains ont une autre langue que l’anglais donc ne parlent pas anglais
    Vive l’unilinguisme français dans tous les emplois au Québec, la paix sociale en dépend comme dans tous les pays du monde
    Et vous n’avez pas le choix de nous respecter en français au Québec. Nulle part au monde la langue est un choix
    Vive le Québec unilingue français et notre ouverture au monde

  • Marcel Haché Répondre

    31 janvier 2011

    « Sous prétexte qu’il a mission de protéger les individus contre la tyrannie de la majorité, il offre un tremplin en or à tous ceux pour lesquels le français ne convient pas à leur identification militante. La table est mise pour une guérilla continuelle. »
    Le gouvernement des juges s’articule autour de la cour suprême du Canada. Pour de très nombreux citoyens, toute mise en cause de ce faux gouvernement équivaut à une remise en cause de la Raison elle-même.
    Votre texte est remarquable.

  • Archives de Vigile Répondre

    31 janvier 2011

    la langue française a plus d'un tour dans sa "bouche" si jose dire, lisez ce petit article...
    http://2ccr.unblog.fr/2010/10/20/la-fraude-des-mots/

  • Archives de Vigile Répondre

    31 janvier 2011

    C'est très subtil ce qui se passe présentement. Regardez, en fin de semaine on annonce dans le Devoir l'ouverture d'un collège francophone dans l'ouest de l'Ile de montréal.
    Un collège francophone dans une vénérable institution que des soeurs viennent de vendre à une corporation. Jusque là tout va bien. on annonce ça comme une grande affaire. Enfin un collège privé francophone dans l'ouest de l'Ile.
    Et puis quelques paragraphes plus loin on apprends que tout se passera en français, mais dans un environnement bilingue.... Et oui, dans les corridors les étudiants pourront être interpellés en anglais.
    On mettra l'accent sur l'anglais, parce que bien entendu l'anglais c'est la langue internationale n'est-ce pas... Et on préparera les élèves ou les étudiants à pouvoir aller étudier en anglais, au Canada et aux États. Dans les grandes universités qui sont anglo-saxonnes on le sait.
    Des universités de qualité qui sont francophones est-ce que ça existe ? Pas dans l'esprit du directeur général de cette institution apparemment parce que nulle part il n'en est fait mention. Non, le but c'est de parler anglais. À tout prix. Valoriser les études supérieures en français? Voyons donc!
    après tout le CEGEP en français pour tous, c'est obscène n'est-ce pas, la connasse St-Pierre ne l'a-t-elle pas répété à satiété en fin de semaine ? Elle a même des alliés dans le PQ...