Rapport Bastache: la pondération délirante

Si la population a préféré croire Bellemare, c’est que la Commission a fait des pieds et des mains pour paraître moins crédible que lui.

Chronique d'André Savard

Généralement on aime mieux la pondération que les divagations d’un forcené. Vive la pondération donc, vive l’équilibre. Il faut aussi savoir que l’exercice de la pondération ne vaut rien sans un minimum de discernement. On en a eu un bon exemple dans la réaction face au tollé populaire inspiré par le dépôt du rapport Bastarache. Si la population a préféré croire Bellemare, c’est que la Commission a fait des pieds et des mains pour paraître moins crédible que lui.
[Ceux qui ont condamné le verdict désobligeant de la population à l’égard de ce rapport « équilibré » aurait avantage à le lire->34394]. C’est un document invraisemblable qui ressemble à celui d’un agent du fisc qui blanchit un fraudeur parce que celui-ci lui a refusé l’accès aux factures et aux documents comptables. Le commissaire déclare dans son rapport:

“La commission souhaitait avoir accès à l’intégralité des dossiers de sélections entre 2000 et 2010 dans le but de vérifier le respect des obligations légales et réglementaires et l’efficacité générale des processus de nomination des juges.”

Le gouvernement refuse. Alors le commissaire Bastarache consent à ce que le gouvernement lui remette un échantillonnage de dix-neuf dossiers. Imaginez un fraudeur qui refuse de fournir ses livres mais s’entend avec l’enquêteur pour remettre une sélection de documents censée être très révélatrice. Imaginez un trafiquant qui, aux douanes, s’entend pour ne soumettre que les documents pertinents à ses activités d’import-export et qui a toute latitude pour refuser aux douaniers la fouille de son bateau. Il n’y aura plus de prison, plus de juge nécessaire au demeurant, car le dispositif serait aiguillé pour conclure à l’absence de preuves.
Le commissaire Batarache écrit dans son rapport:
“J’aurais souhaité faire l’étude des dossiers de candidatures pour les années subséquentes à 2005, notamment pour déterminer si certaines corrélations pouvaient être faites entre le succès des candidats à l’étape de la sélection et à celle de la nomination. Il aurait été aussi intéressant de vérifier si les candidats ayant fait des contributions politiques, suivant les informations rendues publiques par le directeur général des élections, ou ayant milité pour un parti politique, avaient réussi mieux que les autres. Il aurait été ainsi possible de confirmer ou d’infirmer la croyance populaires selon laquelle les appuis politiques sont importants pour être nommé juge.” *

Après avoir admis que l’étude qui “aurait permis de répondre aux attentes de la population au plan de la transparence” n’a pas été rendue possible en raison du refus du gouvernement de collaborer, le commissaire largue l’information sans s’en laisser instruire davantage. Au bout du compte, des documents interdits ne sont pas nécessairement accusateurs.

Non content de cette complaisance envers le gouvernement Charest, il décide d’ignorer les éléments de preuve résultant des témoignages verbaux. Que des collecteurs de fonds libéraux aient accès aux locaux et à la garde rapprochée du premier ministre laisse présumer que des pressions sont possibles, nullement que ces pressions soient colossales, raisonne le juge. N’étant pas a priori colossales, ces pressions n’entachent pas l’indépendance du ministre de la justice ni sa liberté de jugement, cependant les pratiques nouvellement instaurées par le bureau du premier ministre, sans être explicitement préjudiciables, nécessitent des correctifs, continue le juge louvoyant.
À partir de là, le juge Bastarache utilise les tournures les plus spécieuses pour blanchir le gouvernement. Le juge Bastarache se nourrit du principe que l’intervention du premier ministre ne résulte pas d’une régression des normes éthiques puisqu’au final, les juges sont compétents. Il ne mentionne pas que cette intervention est documentée par les collecteurs de fonds libéraux. Donc les pratiques nouvelles n’ont pas fait régresser la pratique de la justice, c’est juste l’évolution de la moralité publique qui commande des correctifs, pas la situation en tant que telle, continue le juge louvoyant.
C’est ce raisonnement qui tourne autour du pot pour ne pas condamner le gouvernement qui a fait conclure au magnifique équilibre du rapport Bastarache, semble-t-il, dans la réaction à la réaction populaire. On a accusé le populisme de cracher sur un aussi bel équilibre. Le rapport respirerait la pondération, et après tout, on ne peut pas blâmer un premier ministre de garder à l’œil son ministre de la justice en lui apportant des « compléments d’informations ».
Quand on accuse ce populisme de verser dans la caricature, on veut surtout oublier tous les chapitres de la commission Bastarache qui témoignent d’un aveuglement volontaire certain. À partir de moment où il fut révélé que les collecteurs de fonds du parti Libéral venaient en personne pour influer sur la nomination des juges, fatalement, les devoirs de l’avocat du parti Libéral et de l’avocate du gouvernement québécois divergeaient.
Il était maintenant clair qu’une pratique dirigiste de la part du parti Libéral mettait en cause l’indépendance du juridique que le gouvernement québécois veut garantir. Or, l’action de Suzanne Côté, avocate du gouvernement, a continué à suivre l'unique prémisse que Marc Bellemare présentait une diffamation à déconstruire et qu’à ce titre, les intérêts du parti Libéral et de ceux du gouvernement québécois restaient les mêmes. Comme avocate du gouvernement québécois, elle appuya le plan d’évitement de l’avocat du parti Libéral avec la complaisance du juge Bastarache.
Loin d’interroger les acteurs de la famille du parti libéral, on a vu Suzanne Côté les accueillir à la barre sur un ton d’excuse puis leur promettre de ne pas les déranger plus longtemps. Quand Norm Mc MIllan est venu pour s’expliquer sur une intervention directe de sa part en faveur d’un fils d’un collecteur de fonds libéral à la magistrature, Suzanne Côté l’a d’abord plaint de devoir écourter son heure de repas.
Norm Mc Millan a affirmé avoir favorisé une candidature car la personne en question vivait dans son comté, pas en raison d’affinités politiques. Norm Mc Millan ajouta que plusieurs candidats étaient issus de son comté et qu’il appartient au député d’appuyer leur candidature. Suzanne Côté ne demanda pas pourquoi, si plusieurs candidats à la magistrature venaient de son comté, Mc Millan avait appuyé spécifiquement ce fils de collecteur de fonds, pas les autres. Au lieu de poursuivre l’interrogatoire, avec la bénédiction du juge Bastarache, nous les vîmes qui réitérèrent leurs souhaits de “bon appétit” à Mc Millan.
Suzanne Côté, plutôt que de se souvenir qu’elle était payée pour faire un travail, semblait juste savoir qu’elle était une contributrice des campagnes de financement du parti Libéral et qu’on ne travaille pas contre la famille. Le juge Bastarache par ailleurs ne relevait pas les trous dans l’interrogatoire avec le même empressement qu’il appuyait les objections de cette soi-disant avocate du gouvernement du Québec.
L’événement télévisuel Bye Bye 2010 se moquait de la complaisance des membres de la commission Bastarache sortant le fouet pour Marc Bellemare et qui allait jusqu’à applaudir les témoins affiliés au parti Libéral. Ce qui troublait dans ce sketch, c’était que l’exagération n’y était pas, ou à peine. La commission Bastarache a laissé un goût amer car elle mettait en évidence l’entêtement avec lequel des professionnels de la justice peuvent seconder l’effort de manipulation d’un premier ministre et se soustraire aux informations nouvelles qui surviennent pour se laisser mener aux seules conclusions acceptables pour le premier ministre.
Inutile d’accuser le populisme ou de se pincer le nez devant l’âme vulgaire de la foule incapable de pondération. En fait, cette commission a paru tellement obéir aux vœux de manipulation du premier ministre que l’affaire Bellemare a fini par paraître terriblement secondaire même si cette commission a tout fait pour couler l’homme. On ne peut pas reprocher à la population d’avoir vu la réalité gigantesque exploser derrière le rideau : le privilège social que constitue l’appartenance au parti Libéral. Si la commission Bastarache avait mission de nous convaincre du contraire, c’est raté.
Charest se félicite sûrement d’avoir évité les examinateurs d’une commission d’enquête sur la construction. Il sera énormément applaudi au prochain congrès du parti Libéral. À quoi bon faire de la politique si les « intérêts » qu’on sert voient ses privilèges sociaux diminuer? Voilà un raisonnement pondéré.
André Savard
* Rapport Bastarache, page 30.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    28 janvier 2011

    Dans le rapport de la Commission Bastarache, le jugement du juge Bastarache semble aussi biaisé que certains jugements rendus par les juges iraniens. Comme quoi il n'y a pas que dans les pays totalitaires que les jugements sont complaisants envers le régime. Et que penser des jugements relativement au Québec rendus par le juge Bastarache lorsque celui-ci siégeait à la Cour Suprême?

  • Claude Richard Répondre

    24 janvier 2011

    Très bonne analyse, une des meilleures que j'aie lues ou entendues sur ce vil rapport d'une non moins vile commission.

  • Archives de Vigile Répondre

    24 janvier 2011

    Excellente analyse M. Savard. J'ai d'ailleurs lu l'article d'André Pratte soumis en référence au début de votre article, et le passage suivant m'a particulièrement fait rire :
    "Le premier ministre étant l'ultime responsable des décisions du gouvernement, il est normal, même sain qu'il puisse avoir son mot à dire. Imaginons qu'un gouvernement nomme un juge dont on découvre par la suite qu'il est alcoolique. Qui accuserait-on d'être responsable de cette mauvaise nomination?"
    Donc, à en croire André Pratte, il n'existerait pas de juges alcooliques au Québec! Alors que je suis sûr avoir déjà vu des statistiques qui indiquaient exactement le contraire : les juges feraient parties des professions parmi lesquelles l'alcoolisme serait le plus présent.
    Avec de telles analyses, qui peut réellement prendre André Pratte au sérieux?