Chronique du jeudi - René Boulanger

Les propositions Drainville : jouer à l’apprenti-sorcier

Pacte électoral - gauche et souverainiste



Nouvelle chronique. Je me souviens que Falardeau trouvait difficile d’en faire une à toutes les semaines. Il avait peur de se répéter. Ça ne sera pas le problème cette semaine. J’avais décidé de parler du rapport Drainville mais un peu en retard. Je vais me résumer : tout ça ne mène nulle part. C’est du populisme style Alliance Party. Un leader digne de ce nom doit savoir identifier les problèmes historiques et structuraux qui traversent une société. Ce n’est pas le cas de Bernard Drainville.
Je me souviens trop des portes qu’il refermait devant nous quand je travaillais avec Mario Beaulieu pour minimalement sensibiliser les députés du Parti Québécois au dossier des deux méga-hôpitaux montréalais que le défunt docteur Lazure aurait voulu ramener à un seul mais fonctionnant en français. Drainville est si peu au fait du problème d’anglicisation à Montréal qu’il n’a jamais fait le lien avec l’hyper-financement des institutions anglophones comme facteur structurant d’assimilation. Il ignore donc les conséquences de perpétuer l’héritage colonial avec notre propre argent et nos propres politiques d’anéantissement de notre culture. Drainville a passé l’été à écouter les Québécois semble-t-il. Ils voudraient la proportionnelle et des députés révocables. Ils voudraient le vote libre à l’assemblée nationale. De tous les courriels qu’il a reçus, il crée une sorte de programme qui plaira aux électeurs. « C’est ce que les gens veulent. » Si c’est ça écouter, moi je dis qu’il aurait pu faire la même chose en colligeant toutes les réflexions à l’esprit de bottine qu’on recueille sur les lignes ouvertes des radios-poubelles.
Pourtant, le peuple en a dit des choses mais il ne les a pas télégraphiées à Bernard Drainville. Ces choses, il les dit depuis plus d’un an maintenant et ça tient d’une grande inquiétude, celle de voir son territoire complètement livré aux appétits sans limite de tous les accapareurs du parti Libéral. On appelle ça le dossier des gaz de schiste. Il y a aussi le dossier Anticosti où Hydro-Québec vend à un petit groupe d’individus des droits d’exploration sur des territoires contenant des milliards de barils de pétrole. Il y aussi l’indignation populaire autour des scandales de corruption et de collusion identifiés au financement du Parti Libéral par les barons de l’industrie de la construction. Le peuple n’a donc pas assez parlé? Les 200,000 signatures à l’assemblée nationale qui demandaient la démission de Charest ne parlent pas assez? Ce que le peuple demande aux élus en fait est très simple c’est de foutre dehors Jean Charest et sa bande de voleurs. Et ce dès la prochaine élection. Faites comme vous le voulez mais faites-le.
Tout ceci pour en venir à l’idée de la réforme magique que M. Drainville partage cette fois avec M. Curzi, soit celle de l’élection à la proportionnelle. Cette idée à la mode, à première vue le nec plus ultra de la démocratie a déjà été qualifiée par le politicologue Christian Dufour de véritable erreur stratégique. Sur papier, elle donne sa chance à toutes les options politiques, dans la réalité elle redonnerait le pouvoir au Parti Libéral disons-le sur un plateau d’argent. Pourquoi? C’est très simple. Parce que le Québec n’est pas une société normale. Il y a au moins 20% de la population qui vit dans la sphère anglophone et qui vote en bloc de façon automatique et l’on dirait maniaque contre tout projet national québécois. Les fameux comtés rouges du Montréal non-francophone. Ce vote est indestructible. Par contre, ce vote est si massif que des comtés peuvent facilement engranger 90% d’appuis au Parti Libéral. Bref, la société québécoise est protégée du blocage de l’opinion impérialiste par l’excès même du rejet anti-québécois.
Introduire la proportionnelle, c’est libérer ce vote réactionnaire et multiplier par deux probablement le poids électoral de la minorité coloniale anglophone. On n’offre pas au citoyen la démocratie, on creuse la tombe du nationalisme québécois. Juste pour illustrer un peu, prenons l’exemple de l’élection de 1998. Victoire de Lucien Bouchard. Pourtant les Libéraux avaient obtenu 43.55% du vote contre 42.87% pour le PQ. Mais les résultats par comtés donnent 76 comtés au PQ et 48% au Parti Libéral. Anormal dites-vous? Pas du tout, les francophones divisent leur vote entre trois partis cette année-là et les non-francophones votent pour un parti unique comme sous l’ère soviétique. S’il n’y avait pas le système uninominal à un tour, les Québécois devraient renoncer à leurs choix électoraux pour adopter la même attitude que les anglophones, voter tous ensemble pour le même parti. La vie démocratique serait impossible. En fait, le vieux système uninominal a toujours favorisé le vote nationaliste et nous a longtemps protégés contre l’hostilité du vote anglophone à l’endroit de toute politique de redressement national.
Le seul système qui pourrait peut-être nous protéger mieux, c’est le système à deux tours. Si on revient à l’élection de 98, l’ADQ avait obtenu 12% du vote. Donc le Québec français avait majoritairement voté contre le Parti Libéral. Le système à deux tours aurait dissipé l’illusion que le Parti Libéral était le premier parti national. Mais faute d’appliquer cette réforme simple, vaut mieux ne pas jouer à l’apprenti sorcier. D’Honoré Mercier à Duplessis, de René Lévesque à Bernard Landry ou Pauline Marois, la réalité coloniale qui a fait du Québec une société scindée et désarticulée a pu à différentes époques être contrée par un système peut-être pas démocratique au sens strict mais extrêmement salutaire au regard de l’histoire. Ceux qui ne voient pas ces choses n’ont peut-être pas suffisamment réfléchi aux véritables enjeux de la joute électorale. Un véritable stratège devrait comprendre que chaque fois que la minorité coloniale triomphe dans une élection, c’est le Québec français qui se désagrège à nouveau.
Ce n’est pas très politiquement correct mais ce sont la guerre, l’invasion et l’annexion qui ont modulé notre histoire. Nous sommes une minorité au Canada, nous avons le droit comme peuple de prendre tous les moyens pour empêcher notre minorisation. Ne pas changer de mode de scrutin fait partie de ces moyens.
Maintenant, à tous les Drainville et autres apprentis sorciers, dites-vous que le peuple ne vous demande qu’une chose, redonner le pouvoir au Québec Français.


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