Les raisins de la colère

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Une vision ratatinée et « ratatinante » de l'indépendance

Dans la foulée des événements de Lac-Mégantic, Christian Rioux lançait le débat récemment, repris au vol par Lise Payette la semaine suivante. La question mérite le détour. « La fatigue culturelle du Canada français », comme l’écrivait Hubert Aquin en 1962, ou encore, « le confort et l’indifférence », comme titrait Denys Arcand 20 ans plus tard, est une question qui non seulement revient périodiquement nous hanter, elle est une des rares sur laquelle il se dégage un consensus.

Les Québécois n’aiment pas les poings sur la table, préfèrent couper la poire en deux, veulent être accommodants. Combien de fois a-t-on entendu ce type de commentaire ? « Il y a toujours moyen de moyenner », caricaturait l’ex-blogueur devenu ministre, Jean-François Lisée, pour décrire le caractère québécois. Peu importe, en fait, qu’on soit souverainiste ou fédéraliste, de gauche ou de droite, le légendaire flegme québécois est une espèce de métronome de l’espace politique depuis maintenant 50 ans. J’entends la voix tonitruante de Pierre Bourgault dire « c’est çaaa, être colonisés ! »

Mais encore faut-il distinguer les situations politiques les unes des autres. À mon avis, le déraillement de Lac-Mégantic n’est pas un bon exemple du flegme québécois. Il s’agit d’un accident, après tout, qui aurait très bien pu se passer ailleurs au Canada, ou encore en Nouvelle-Angleterre. En plus, la mairesse appelait dès le lendemain à la reprise du commerce ferroviaire, et le gouvernement du PQ, on le sait, caresse l’idée de se lancer dans la production (et par conséquent, circulation) de pétrole. Il y a une limite à grimper dans les rideaux par rapport à une situation qui, hormis les tragiques accidents de parcours, fait notre affaire. En d’autres mots, une fois les compagnies broche à foin éliminées et l’incurie fédérale corrigée, la possibilité d’un autre accident existe. Le danger est inhérent au transport ferroviaire de matières dangereuses, bien davantage qu’à notre rapport avec Ottawa ou l’oncle Sam.

Un bon exemple du flegme québécois ? Le référendum de 95. On se demande encore pourquoi le Québec n’a pas explosé ce soir-là. Jacques Parizeau, comme on le sait, a pété une coche, mais malgré le volcan d’émotions, les espoirs déçus et les années à attendre, il y a eu très peu de colère dans les rues. Les Québécois démontrent souvent plus d’agressivité à perdre un match de hockey qu’à perdre un vote sur leur avenir. C’est ça, être colonisés ? Sans doute un peu. Avoir dû accommoder la défaite, il y a 300 ans, nous rend peut-être plus aptes à gérer les crocs-en-jambe par après. Il faut dire aussi que, contrairement aux matchs de hockey, les Québécois ne croyaient pas l’emporter le 30 octobre 1995. M. Parizeau, lui, en était quasi sûr, ce qui explique son amertume, mais la majorité des Québécois, j’ai l’impression, ont été surpris par les résultats. Nous n’étions pas tous tendus comme des cordes de violon à attendre l’inévitable crescendo. Au Québec, le nationalisme mou est un fait incontournable, même les soirs de référendum.

Survie culturelle

On peut s’en mordre les pouces, si on veut, mais il y a aussi de bonnes raisons derrière cette supposée nonchalance. Les Québécois exultent ailleurs que dans l’arène politique ; ils triomphent dans la création. La production culturelle est proprement phénoménale depuis 50 ans. En littérature, théâtre, improvisation, cirque, humour, musique, cinéma, et quoi encore, en animation ? Le Québec ne laisse pas sa place. Je pense que ça joue. Plutôt que de jeter son dévolu dans la survie politique, l’indépendance pure et dure, le Québec choisit d’emblée la survie culturelle. Comme si on prenait un raccourci, en fait, puisque le but de l’indépendance, c’est évidemment la pérennité culturelle. Il y a un phénomène de vases communicants qui verse la soif de survie dans un champ plutôt que dans l’autre.

Mais des expressions de colère, on en a quand même de temps en temps. Le printemps érable en témoigne, bien qu’il faut noter là aussi, un certain confort et de l’indifférence. Selon Gabriel Nadeau-Dubois, la critique la plus souvent formulée à l’égard du mouvement a été : « Vous avez mis le bordel au Québec. » La tuerie de Polytechnique est un autre exemple où, rapidement, les sentiments de colère ont été jugés indécents, inadmissibles, parfois par ceux-là mêmes qui croient aujourd’hui les Québécois trop mous quant à l’indépendance.

S’il y a une prédisposition québécoise à ne pas faire de vagues, encore faut-il que les conditions soient mûres avant de se lancer à l’eau.


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