Pierre Falardeau

Chronique d'André Savard

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] Pierre Falardeau nous manque. Au départ, la mort est détestable, cette mort qui fait de nous, selon l’expression de la chanson des Cowboys Fringants “des étoiles filantes”. Quand nous avons appris que Falardeau était fatalement atteint par la maladie, il était clair que le destin allait nous enlever quelqu’un qui n’avait pas fait son temps, loin de là, et qui devait rester près de nous.
Quatre-vingt-quinze pour cent de ceux qui fourmillent dans l’industrie du commentaire officiel au Québec vantent la maturité du débat politique. Je n’y crois pas. Encore aujourd’hui, pas moyen d’évoquer l’existence de la nation québécoise sans se faire relancer sur les fondements problématiques de la nation québécoise. Ou elle n’a pas le droit d’englober, ou elle n’a pas le droit de se réclamer de son enracinement, et on multiplie les arguties pour entretenir un incessant soupçon sur notre fait collectif.
Dans un texte signé à l’occasion de la parution du livre de Patrick Bourgeois, “Nous sommes Québécois when ça nous arrange”, Pierre Falardeau écrivait:

“Chaque Québécois s’est habitué à absorber à petites doses les horreurs, les saloperies, les injustices quotidiennes liées à notre situation de colonisés. On ne s’en indigne même plus. Ou si peu. L’indignation, c’est fatiguant. Ça brûle de l’énergie. Et il y a toute cette télévision merdique programmée pour nous bercer, nous calmer et endormir la douleur comme la drogue du meilleur des mondes.”

On a mis en relief après sa mort qu’on ne pouvait dissocier l’œuvre de Falardeau de son art de pamphlétaire. Il faut accepter l’un et l’autre. L’engagement artistique de Pierre Falardeau l’a plongé dans la politique car le phénomène national fait partie de la vie et qu’un artiste authentique est le témoin naturel de la vie, surtout de sa part moins communicable.
La situation d’un artiste québécois est particulière. Lorsque la nation est naturalisée, avalisée par les institutions, l’artiste peut témoigner de cette partie de la vie sans que son œuvre ne verse dans la politique. Malheureusement, au Québec, à moins de mettre les personnages dans un cadre archétypique, un cadre de science-fiction, une intrigue policière où un détective veut résoudre un meurtre, impossible d’y échapper.
La nation ne fait pas partie de la vie parce le nationalisme l’aurait inventée. Et, contrairement à ce qu’on entend si souvent au Canada, l’Etat nation n’est pas un trait arriéré. En fait, au moyen-âge, il n’y avait rien de plus commun que de vouloir rassembler des nations au sein d’un royaume unique. Cette volonté constituait une prétention des grandes familles aristocratiques qui voulaient former des conglomérats nationaux au gré de leurs alliances de bonnes familles.
Pierre Falardeau critiquait “la culture duty free international du Cirque du Soleil et de Céline Dion”. Il en égratignait plusieurs au passage mais il était bon de voir cet homme essayer sans arrêt de remonter le courant alors que la culture est désormais une industrie de produits lisses. La rébellion est une catégorie parmi d’autres, une désobéissance ostentatoire et programmée qui s’exprime notamment sous la forme du heavy metal.
Dans un texte en hommage à François Avard, Falardeau écrivait:
“Tévé, radio, journaux, les mêmes faces de lofteurs consanguins toujours et partout. Et on remplace les vieux débiles par des plus jeunes encore plus débiles. On remplace les épais par des épaisses dégoulinantes de bons sentiments et on se prend pour l’avenir de l’humanité. Aujourd’hui comme la mode est au multi-ethnique “politiquement corrèque”, on remplace les trous-du-cul ben blancs par des trous-du-cul ben noirs. Un trou-du-cul métissé, un trou-du-cul jaune, bleu ou arc-en-ciel, ça reste un trou-du-cul, non? Ce n’est pas un problème de couleur de peau, c’est un problème d’obéissance aux ordres. On n’engage que des yesmen et des brown nose qui rêvent de finir reine de Carnaval à Ottawa comme la colorée Michaëlle Jean et sa tarte de prince (pour les funérailles nationales, avec le carrosse, les cornemuses et les petits sandwichs aux oeufs).”

Falardeau était libre d’écrire et de parler, dans la pauvreté, encerclé par les techniques de pouvoir, ses offices du film ou autres, distribuant des subventions à ceux qui sont dans les petits papiers des autorités. Et on attendait Falardeau au prochain tournant sans arrêt. Tous ceux qui vivaient bien au chaud, glissant sur la surface de la bienpensance salivèrent de plaisir à l’heure de sa mort.
La cohorte des candidats à la bourse de la fondation Pierre-Elliott Trudeau, les profiteurs de diverses commandites unitaristes s’éveillèrent pour blâmer l’auteur scatologique, psychanalyser sa fixation au stade anal. Esther Delisle, Jocelyn Létourneau, Lysiane Gagnon, tous ceux qui dans la vie ont refusé de payer le prix et qui se sont retranchés dans une consécration facile, la facilité d’un propos dit pluriel en lutte contre le monomachin québécois, ont voulu le frapper.
Tous ceux qui se déclarent en lutte contre l’unanimisme québécois au nom de l’équilibre de l’opinion, tous ceux dont la prose est formidablement orientée par l’intérêt de l’énorme Etat canadien, vilipendèrent Pierre Falardeau. Eux, au moins, résistaient à l’anal élevé au rang de principe, eux au moins étaient pour l’Etat canadien qui gonfle le règne de l’individu d’une importance officielle, eux au moins étaient contre la répression de la masse québécoise, eux au moins se rangeaient derrière le système des protections qui trouve si bien son expression publique au Canada.
Les ennemis de Falardeau se drapèrent dans le courage des solitaires par un mécanisme d’inversion qui est tellement habituel ici. Les Canadiens d’expression francophone applaudirent. Dans le style “Team Canada en tournée de promotion dans les Rocheuses” comme le décrivait Pierre Falardeau, ils se félicitent encore de voir leur sens de la nuance triompher de Falardeau.
On a tout fait pour l’empêcher de faire son cinéma. On a beaucoup fait pour l’empêcher d’accomplir son oeuvre. On a tout fait pour nier ses mérites. On aura tout fait pour ne voir jamais son nom coiffer une rue. Canadian-all-thé-way-coast-to-coast dirait Falardeau, il n’est pas permis de brimer le bon sens de la nuance.
André Savard


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4 commentaires

  • Nicole Hébert Répondre

    20 janvier 2011

    J'ai vu le film Pierre Falardeau cette semaine. Ça m'a fait du bien de revoir et d'entendre cet homme ardent. Que j'aimais. Et j'ai mieux compris pourquoi ces excès à lui ne me choquaient pas et pourtant... C'est que c'était un vrai, un juste et un tendre, dont les grossièretés n'en étaient pas vraiment parce qu'elles étaient enrobées d'amour et non de rage et de haine. Un bel être. Comme sa flamme nous manque. Mais peut-être de "quelque part" réussira-t-il, avec les Laurin, Lévesque, Bourgault, Godin... à enfin nous inspirer la bonne route. Hein? Tout à coup?... Souhaitons-nous le.
    Oui, merci pour cet article, M. Savard,
    Nicole Hébert

  • Archives de Vigile Répondre

    18 janvier 2011

    Merci.
    On cherche à nous inculquer la gêne de nous affirmer. L'étape suivante sera-t-elle la honte d'exister ?

  • Archives de Vigile Répondre

    17 janvier 2011

    Comme l'a dit Patrick Bourgeois, excellent texte. Pierre Falardeau nous manque à tous aujourd'hui.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 janvier 2011

    Excellent texte. Merci.