Quarante ans d'avenir canadien

Difficile, même à partir d’un regard fédéraliste, de voir 40 ans en avant sans parler du statut du Québec.

Chronique d'André Savard

Les journaux rapportent que Jean Charest planifie au nom de son gouvernement un discours du trône qui exposera une vision de l’avenir embrassant l’avenir du Québec pour les quarante prochaines années. Un effort honnête est-il possible à cet égard? On voit mal comment un tel discours pourrait prendre place sans briser le front du silence et les nombreuses omissions qui ont servi de terreau à l’unitarisme canadien.
Prenons par exemple le pouvoir d’initiative du Québec dans le secteur énergétique, une question d’avenir par excellence. En ce moment le Fédéral finance à raison de plus de 350 millions de dollars la recherche pour la mitigation des effets écologiques néfastes de cette exploitation. Les impôts vont au développement de nouvelles technologies, essentiellement la captation des émanations délétères des sables bitumineux dans des canalisations souterraines même si la géologie dans l’ouest canadien ne s’y prête pas.
Le Québec à titre d’actionnaire de la société canadienne participe à cet effort de développement technologique au lieu de canaliser ses efforts sur l’établissement de produits de niche menant à l’électrification du parc automobile notamment.
Charest n’est pas l’homme de la vision à long terme. C’est essentiellement un homme qui répète qu’il faut s’appuyer sur les limites du présent pour résoudre les “vrais problèmes”. À moins d’accepter d’emblée que le Fédéral, à titre d’Etat global règne sur des micro-sociétés, la nation québécoise en étant une dans cette optique, libre d’imposer ses régulations comme il l’a fait dans le passé et ce, pendant un nouveau quarante ans, difficile de ne pas aborder la question nationale du Québec.
Difficile, même à partir d’un regard fédéraliste, de voir 40 ans en avant sans parler du statut du Québec. En fait, le Canada dans sa lutte contre le Québec-nation table sur une accoutumance à une foule de frondes légales solidifiées dans des dispositifs de pouvoir. Il n’existe pas de vision à long terme actuellement situant la province de Québec au sein de l’ensemble canadien, ceci pour bien des raisons.
Fatalement une vision à long terme oblige à déterminer les obligations du pays canadien envers la nation québécoise et d’aborder toutes les questions touchant le vide légal qui rend le droit canadien peu opérationnel pour en traiter. S’il y a une nation québécoise où sont les documents écrits? Au Canada, la notion de province est en fait un ordre, une norme de conduite qui consiste à remettre le Québec à sa place.
Difficile d’envisager comment Charest ne pourra pas que produire un déguisement de vision à long terme fondée sur l’imprécision ou sur l’emploi des rhétoriques sur le droit d’affiliation des provinces aux programmes canadiens. Pour protéger la profondeur stratégique du Canada on doit miser sur l’accessoire et taire l’essentiel.
Pourtant… quarante ans… Comment, même pour un membre de la familia libérale, ne pas traiter du flou entourant le statut du Québec en tant qu’Etat fédéré? Comme l’ancien ministre Benoît Pelletier le faisait ressortir, de nombreuses entorses à l’esprit du fédéralisme ont pris place au Canada. Benoît Pelletier note cette prétention du gouvernement d'Ottawa de représenter l’individu et d’en faire une responsabilité propre à son appareil de pouvoir.
Jusqu’à présent l’unitarisme canadien a justifié l’appareil légal qui a accompagné le rapatriement de la Constitution et l’annexion du Québec en alléguant la supériorité morale de la tradition historique canadienne plus intrinsèquement plurielle. Le Canada de nature essentiellement diverse reconnaîtrait l’homme semblable à l’homme sous toutes ces traditions particulières alors que la nation québécoise ne serait que la proclamation d’intérêts ethniques particuliers assujettis aux droits fondamentaux.
Le Canada prétend que le statut provincial du Québec s’inscrit dans la révolution de l’égalité. Si le Québec n’était pas la province de la nation canadienne, cela brimerait l’idée d’une équivalence des êtres humains au Canada. De ceci découle la thèse canadienne que le Québec est un espace provincial médiateur de toutes les affiliations libres dont veulent profiter les Canadiens. La nation québécoise est une possibilité d’affiliation parmi d’autres.
Extrapolons cette tendance canadienne d’autojustification sur 40 ans. C’est l’unitarisme et la canadianisation du Québec sans parachute. La cour suprême même dans l’hypothèse plus qu’improbable où elle serait occupée par des sympathisants de la nation québécoise et des droits qui en découlent devrait se prêter à l’examen a contrario des textes à l’appui pour documenter les causes pendantes. Or les seuls critères du droit canadien, les seules catégories recevables qui appellent des textes législatifs, sont celles qui posent toute question en termes de doctrine égalitaire des provinces et de droit de choisir sans distinction d’origine ses affiliations groupales.
Quarante ans d’interventions juridiques, quarante ans de juges qui ne se laissent instruire que par ces catégories mentales qui nourrissent le droit canadien... La notion même de nation québécoise se situant hors de la définition normative des affiliations groupales propres à la mosaïque canadienne, voit-on quarante ans de guérilla juridique contre le Québec parce que la nation québécoise fait obstacle à la notion d’égalité des groupes? Aussi bien alors affirmer que la nation québécoise sera au Canada la composante d’un contrat dont elle sera le non-dit, une matérialité contestée qui veut réformer de l’intérieur des mécanismes canadiens qui ne veulent même pas la nommer. C’est probablement le seul espoir dont Charest est capable pour les 40 prochaines années.
La seule chose que pourra faire le Québec c'est d'embaucher des avocats pour soutenir son droit de promulguer des lois pour faire de cette nation québécoise qu'il représente partiellement, à l'intérieur de ses juridictions, une option préférentielle pour les habitants du Québec. Et il lui faudra jouer des pieds et des mains pour démontrer que si des traits nationaux québécois demeurent des options préférentielles, ceci n'entache en rien le droit d'affiliation libre des citoyens canadiens au Québec.
Quarante ans à se faire coincer parce qu'on a poussé le bouchon trop loin! En effet, à partir du moment où se pose le Fédéral comme la source, le principe, dont tout le pouvoir dériverait, foyer de la grande nation, foyer des individus, foyer de l’égalité, foyer du citoyen, on verse dans un système unitaire qui ne tire pas sa logique ni sa légitimité de la différence consentie à l’un de ses Etats membres.
Le discours de Jean Charest, s’il se veut honnête, obligera de montrer le gouvernement national du Québec comme élément de ce système dans un rapport d’appui à cette vision pyramidale qui situe le pouvoir d’Ottawa comme la source et le principe. Il faudra imaginer cela pendant quarante ans et en voir les contrecoups non seulement sur la loi 101 mais conclure à l’unification irréversible des lois commerciales dont l’institution d’une commission des valeurs mobilières unique n’est actuellement qu’une entrée en matière.
Peut-être que Jean Charest fera comme les autres tribuns et activistes canadiens, dont ceux des pages éditoriales du journal La Presse. Peut-être dira-t-il que pendant quarante ans d’avenir radieux, on ne se fera pas déposséder, juste servir une bonne médecine contre notre tendance endémique au repli sur soi. Parions que Jean Charest dira dans son discours que le gouvernement national du Québec est un tissu de complémentarités et de délimitations qui démarchera pendant quarante ans pour que plusieurs de ses instances gardent ses modalités propres grâce à des ententes temporaires. On se fera promettre quarante ans d’urgences et de mesures disciplinaires endiguées par des ententes administratives.
André Savard


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1 commentaire

  • Marcel Haché Répondre

    8 février 2011

    Ce que vous décrivez ici de façon magistrale, c’est la « normalisation » politique d’une province qui se trouve à contenir une nation. « Contenir » comme « endiguer ».
    Mais la Confédération elle-même fut à ses débuts une construction servant à « contenir » les canadiens-français. La Confédération canadienne est elle-même depuis le début une entreprise de « normalisation ».
    La « normalisation » du Québec est maintenant en bonne voie. D’un point de vue sociologique, c’est tout le Canada, toute la population canadienne et québécoise qui est de plus en plus « normalisée ».Il ne reste plus à faire que la normalisation politique de l’État québécois. Charest s’y emploie avec le même enthousiasme démissionnaire que ces dirigeants d’Europe de l’Est au temps de l’U.R.S.S.
    Mais par rapport à ces dirigeants communistes d’un autre temps, ces collaborateurs locaux du Kremlin, les démissionnaires d’ici s’appuient sur un nationalisme extrêmement agressif, le nationalisme canadien, qui se présente incidemment comme un nationalisme civique. Sous sa couverture patiente, généreuse et inclusive, en effet, le nationalisme canadien n’en est pas moins extrêmement agressif. Ce nationalisme est le fils naturel du multiculturalisme.
    Vous ne verrez pas de sitôt un p.m. canadien, non plus Charest qui rêvait de l’être, vous ne verrez pas ici, comme en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, quiconque parmi les hauts dirigeants dénoncer le multiculturalisme. (pour toutes sortes de raisons)
    Le Canada est devenu la grande réussite mondiale du Multiculturalisme, incontestable comme la Raison. Il n’est même pas à prendre ou à laisser. Il est à prendre. Et si Nous ne le prenons pas, ce serait comme prendre fait et cause contre la Raison elle-même.

    Charest a pris fait et cause pour le Canada. S’il voulait ouvrir un nouveau front politique de confrontation avec Ottawa, question de se donner une image nationaliste au Québec, purement cosmétique, cela n’ira jamais plus loin que des « ententes » (comme par exemple Emploi-Québec).Pourrait même faire semblant de faire du millage avec le Plan Marois…
    Charest est un « normalisateur ».On a grand tort de penser qu’il est des nôtres. Mais les indépendantistes ont plus tort encore d’utiliser le terme « canadianisateur » pour le décrire. Ce qualificatif, Charest le revendique fièrement, d’autant que le qualificatif porte en germe la défaite des indépendantistes. Il y a tellement de gens et de québécois qui aiment le Canada.