Se tenir droit dans la rupture

Quelqu’un quelque part doit bien commencer par se tenir droit dans la rupture.

Chronique de Robert Laplante



C’était pour ainsi dire inscrit dans les résultats référendaires de 1995. Un régime qui ne se maintient que par l’usurpation de notre droit à l’autodétermination, qui ne recule devant aucune manœuvre illégitime, qui multiplie les tactiques illégales et mobilise ce qu’il y a de plus veule chez ses intendants locaux ne peut déboucher sur autre chose. Le durcissement, ce n’était que la phase initiale : loi sur la clarté, asphyxie financière et haussement de ton politique, il n’y avait rien là que du prévisible, de la réponse normale d’un État qui s’est senti menacé. La phase deux, pour rappel, n’aura servi qu’à compléter le dispositif en déployant un immense arsenal de propagande et en s’assurant qu’il imprègne et mobilise tout l’appareil de l’État. Cela aura requis le recours au banditisme et à toutes les manœuvres dont nous aurons eu un aperçu avec le scandale des commandites. Le processus aura été facilité par un Lucien Bouchard inapte et timoré qui aura gaspillé une conjoncture favorable et pratiqué la servilité tétanisée. La phase trois se déroule sous nos yeux et personne ne l’incarne mieux que notre premier sous-ministre, un parangon de la politique mercenaire et de la capitulation intéressée.
Il fallait en effet, pour que le Canada complète sa riposte, que se déploie dans la province de Québec, tout le paradigme de la politique d’enfermement, paradigme reposant pour l’essentiel sur la déréalisation de la vie nationale par évidement de la notion d’intérêt national et par érosion de la cohésion sociale autour des grandes institutions de la nation. Cela a été rendu possible par la capacité d’Ottawa et de l’establishment canadian à capitaliser sur un gain stratégique majeur réalisé au cours de la campagne référendaire : l’adhésion inconditionnelle de ceux-là qui posent ici en défenseurs du Canada à un ordre qui consacre notre minorisation définitive et vise à anéantir notre capacité à produire et ordonner les finalités de notre vie collective. Appartenir au Canada, pour ceux-là, c’est consentir à penser le Québec dans un espace hétéronome, à projeter son développement dans le cadre des moyens que le Canada nous laisse et à faire porter sur notre vie collective, le poids de contraintes qui n’ont de sens que pour une majorité qui, au mieux nous ignore, au pire nous méprise dans des postures tout engluées de rectitude politique et de suffisance bien-pensante.
Ces inconditionnels sont dans les faits des unitaristes, ils n’ont aucun projet pour le Québec sinon que celui de le rendre acceptable au Canada. Ce sont des agents de normalisation qui pratiquent une politique de folklorisation qui consiste à ne donner sens et faire place à notre réalité nationale que dans un registre symbolique inopérant, jamais susceptible de donner forme à des conduites politiques et des logiques institutionnelles qui ne seraient pas d’abord et a priori compatibles avec les seuils de tolérance et d’acceptabilité d’une majorité qui se pense sans nous et qui nous assigne à résidence dans ses lieux. Ils ne portent rien d’autre que la soumission et n’ont aucun scrupule à proférer une énormité qui partout ailleurs, dans n’importe quelle société normale, paraîtrait pour une fumisterie : nous serions un peuple dont l’avenir serait mieux assuré par le consentement à sa minorisation. Pour ces adeptes de l’irresponsabilité comme vertu civique et nationale, aucune perte, aucun recul n’est jamais trop grave pour ébranler cette certitude. Leur appartenance canadian se décline comme une éternelle minimisation des pertes. Refonte de la carte électorale ? Dommage. Modification de la péréquation ? Ce sont des choses qui arrivent. Cour suprême unilingue ? Que voulez-vous ? Commission des valeurs mobilières unique ? On proteste un peu, mais on s’en remettra aux tribunaux. On étouffe la culture, on sabote nos politiques sociales. Ce n’est pas si pire, il s’en trouve toujours pour dramatiser. La liste est sans fin. En fait, elle est sans objet puisque rien de ce qui importe pour le Québec n’a suffisamment de prix pour que sa perte ne remette en cause le lien canadian. Voilà la grande victoire de 1995 : le réalignement complet d’une faction et d’une partie de l’élite québécoise qui joue allègrement son rôle de gestionnaire de l’érosion de notre réalité nationale.
C’est ainsi que la politique provinciale est devenue un consentement actif à l’ordre constitutionnel illégitime. C’est ainsi que le Parti libéral du Québec et le gouvernement qu’il forme sont devenus des succursales vassalisées. Leur horizon ne tient que dans la politique du déni. Une ligne a été franchie que les partis d’opposition n’osent pas nommer, participant eux-mêmes de la crainte que soulève le simple fait de confronter le déni : les inconditionnels du Canada sont coupables de bris de loyauté. Ils ne servent qu’un maître et ce n’est pas le peuple du Québec. Il faut lever ce voile une fois pour toutes.
L’affairisme, les manigances de patronage, la corruption et le mensonge actif aussi bien que la restriction mentale ne constituent en rien une dérive éthique de la part du Parti libéral. Il s’agit en fait de la seule posture politique possible dès lors qu’il n’y a plus de projet national et que la seule politique possible consiste à faire comme si cela ne contraignait pas à faire la politique de l’autre nation. La politique du simulacre ne peut conduire qu’au simulacre de la politique. Le PLQ n’est pas seulement qu’un parti ethnique au service d’une clientèle prête à tout cautionner pour continuer de fonctionner ici comme un avant-poste d’une majorité convaincue de son droit à nous tenir sous sa botte, il est devenu le jouet d’une bande d’intendants serviles qui savent s’entourer de carriéristes ordinaires pour mieux débiter notre État, ruiner notre patrimoine et salir nos institutions. Laisser la Caisse de dépôt s’en aller à vau-l’eau, dévoyer la mission d’Hydro-Québec, engraisser les promoteurs avec les contrats d’infrastructures et même laisser corrompre le réseau des garderies, rien n’est épargné. La province ne sera pas seulement médiocre, elle sera honteuse pour mieux conforter ceux-là qui pensent que notre peuple ne mérite pas mieux.
Sous Jean Charest, c’est la souillure qui cimente la politique du déni. Ce gouvernement n’a plus d’autre horizon que celui du pillage du bien d’héritage. Sous couvert d’idéologie, plus rien de ce qui s’est bâti ici depuis des générations ne résiste à la volonté sordide de se fondre, de faire disparaître tout ce qui, de notre existence et de nos choix nationaux, irrite à Toronto et suscite la convoitise d’Ottawa et des establishments canadian.
Le Canada nous tient dans un étau, notre condition de minoritaire s’y détériore à vue d'œil, mais le Parti libéral du Québec fait semblant de ne pas savoir. Le Québec s’est développé dans le Canada nous dit notre premier sous-ministre avec le sourire d’un gérant de « pawnshop ». Plus personne ne peut soutenir honnêtement que nous y avons un destin. Plus personne ne peut même soutenir sérieusement que nous y avons encore des intérêts. Nous nous y usons par les bons offices d’une élite qui ne sait plus faire la différence entre la gloutonnerie et la trahison. Les establishments de la résignation ont la partie belle, ils peuvent agir en toute impunité pour nous ratatiner en essayant de nous faire croire que nous serions le seul peuple au monde à trouver dans son effacement la voie de son développement. Il est temps que cesse l’imposture. Il est surtout temps que nous cessions de tolérer les petites lâchetés intellectuelles qui la rendent confortable à ceux qu’elle engraisse. Le Parti libéral du Québec et son chef sont une véritable disgrâce, une honte nationale. Leur conduite est indigne, leur faute impardonnable car elle porte atteinte à notre énergie vitale. Ils nous enfoncent dans « notre empois de mort » comme dit Gaston Miron.
Le Québec est désormais confronté à un redoutable défi : se penser dans la radicalité de sa situation, comme disait Pierre Vadeboncoeur auquel nous consacrons le dossier de ce numéro. C’est une exigence immense. Une tâche d’autant plus difficile que le régime nous a habitués aux élites mollassonnes, à une culture politique de la complaisance et de l’éternelle procrastination. Nous sommes devant le défi de rompre avec une part de nous-mêmes d’abord, celle-là qui nous empêche de voir qu’il n’y a plus d’espace pour penser et agir qu’à rompre avec le Canada. Ce qui se délite présentement n’est pas seulement le résultat du pourrissement de ce gouvernement. Ce qui ne s’avoue pas encore, c’est une immense exaspération à l’égard d’une culture politique qui nous sépare de notre condition, qui nous empêche de nous projeter véritablement. Les pitreries politiciennes, les pirouettes rhétoriques et les faux jetons qui posent aux grands visionnaires, le peuple en a assez. Un véritable changement de paradigme politique est en incubation. Et son centre de gravité sera le combat pour l’indépendance nationale. Un combat franc, avoué et acharné. Nous y sommes confrontés comme à une condition existentielle radicale.
L’humiliation, la honte et le dégoût, nous savons déjà ce que cela donne dans la vie collective, Jean Charest et ceux qui le suivent leur ont donné un visage. Nous savons aussi, hélas, ce que donnent la tiédeur et le refus d’aller au fond des choses. Les partis souverainistes sont englués, pris au piège de l’adversaire qui a bien instrumentalisé leurs craintes de pratiquer une politique du dépassement. Ils ont pactisé avec le déni pour mieux composer avec la logique politicienne qui a permis de routiniser le combat en faisant comme si notre situation ne tenait qu’à des arrangements constitutionnels et comme si nos pertes et nos reculs n’avaient pas de conséquences directes sur l’espérance et l’amélioration éventuelle de notre sort.
Il est temps de rompre avec ce qui dans cette culture politique de la résignation besogneuse nourrit le défaitisme et nous interdit de profiter d’une conjoncture au demeurant très favorable à la relance du combat pour l’indépendance. Toute honte bue, le temps est venu de nous lever dans nos propres ténèbres. Notre cause est toujours pendante. Notre combat toujours aussi vital. Il faut réapprendre à voir et à juger. « Le Canada est un cul-de-sac pour le Québec », se plaît à répéter Gilles Duceppe qui est revenu en faisant semblant d’être ébaubi par ce qu’il a vu et entendu lors de sa tournée pancanadienne. C’est grand temps que ce constat redevienne le leitmotiv de la politique indépendantiste. On s’attendra donc désormais à ce que le Bloc québécois en tire la conséquence et rajuste le tir et cesse de nous casser les oreilles avec ses vœux pieux sur la conduite responsable à la Chambre des Communes. Il n’est pas là pour assurer la respectabilité des institutions canadian, mais bien pour y planter le coin de fer de nos aspirations nationales. Il lui faut pratiquer sans merci la critique du régime et n’hésiter devant aucune occasion de le fragiliser. Son action doit porter au Québec même, d’abord et avant tout, il doit s’y faire le témoin et l’interprète de ce qu’Ottawa nous inflige. C’est dans la vie de notre peuple qu’il doit faire porter son message, bien avant que de faire du chahut sur les banquettes anglaises.
À ceux-là qui se demandent encore à quoi il peut bien servir, le Bloc pourrait bien répondre qu’il a l’énorme responsabilité de déconstruire les impostures et de briser la logique du déni. C’est une tâche essentielle et d’autant plus cruciale que le babillage médiatique n’a d’autre effet que de la renforcer. Pour la casser, il faudra retrouver le chemin de la mobilisation authentique, celui du discours bien en prise sur la condition réelle de notre peuple, sur ses aspirations profondes et son potentiel de dépassement. Dans les circonstances présentes, Gilles Duceppe aura fort à faire pour affranchir son parti et son camp de la logique d’opposition dans le régime. Devant les éternelles tergiversations péquistes et les pitoyables aspirations à trouver de la grandeur à se payer de mots en s’enlisant dans la gestion provinciale, le discours du Bloc pourrait bien sonner le rappel salutaire. Quelqu’un quelque part doit bien commencer par se tenir droit dans la rupture.

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Robert Laplante173 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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