Fatima Noureddine, une femme voilée dans la ville. (Photo Patrick Sanfaçon, La Presse)
Fatima Noureddine éclate de rire quand je lui demande si les gars la draguent souvent, comme ça, près du comptoir à napkins des cafés. C’est ce qui vient d’arriver au Starbucks.
Fatima rit tout le temps, il faut dire.
«Oui, souvent. Les Italiens, surtout. Et les Latinos. Les Québécois? Les Québécois, ils me disent surtout : C’est dommage, tu te caches! Ça les intrigue...»
Ça, c’est son hijab. Et cet après-midi, il est blanc. Elle en a 30. De toutes les couleurs. Fatima se fait draguer même en hijab. Imaginez si on pouvait voir poindre une couette...
On s’est donné rendez-vous dans le centre commercial souterrain qui donne sur la station McGill. Je lui avais demandé, au téléphone, de me montrer où elle achète ses hijabs. Au Liban, elle m’a dit. Je lui ai répliqué qu’il doit bien y avoir des endroits à Montréal où on en vend, des hijabs...
Avant le Starbucks, elle m’a traîné dans deux boutiques de gugusses pour femmes, dans ce mail souterrain où on vend des voiles qui peuvent servir de hijabs. «Tu vois? C’est pas de la bonne qualité», a-t-elle fait en faisant la baboune, comme si elle venait de sentir un poisson pourri.
Ce foulard orange? «Trop chaud.» Ce voile bleu? «Joli, mais trop glissant.»
Méchant melting-pot
Fatima Noureddine, 25 ans, étudiante en philo à l’UQAM, achète ses hijabs au Liban. Son père est libanais. Enfin, libanais... faut le dire vite. Son père est né en Chine de parents libanais qui voyageaient pas mal et aimaient le pâté chinois (une petite blague pour détendre l’atmosphère, je sais combien vous capotez devant une femme voilée)...
Et ta mère, Fatima? «Elle vient de Côte-d’Ivoire.»
Méchant melting-pot, quoi.
Les Noureddine ont fini par débarquer au Québec un jour, Fatima est la plus vieille de six enfants. Grandit à Montréal-Nord. Primaire à l’école Jean-Nicolet. C’est là qu’elle a décidé d’enfiler le hijab.
«Il y avait une voilée. Une. Et elle subissait des insultes, des violences, on l’injuriait. Ils l’attaquaient, en bande, après l’école... Ils la battaient, ils lui enlevaient son voile. Alors je l’ai porté par défi. Je suis contre le fait qu’on veuille tous être pareils. À 11 ans, je me posais déjà beaucoup de questions, même si j’étais jeune...»
Et ?
«Et je me suis fait écoeurer ! Je me suis fait enlever mon hijab, aussi. Mais je l’ai gardé quand même. Je leur ai dit : je suis ce que je suis. En quelque sorte, cela a forgé mon caractère...»
Je sais ce que vous pensez. Que c’est de la bouillie pour les chats. Que papa Noureddine a bien dû la forcer à enfiler ce voile. Elle me jure que non. Me dit que maman Noureddine a décidé de le porter sur le tard, à 40 ans...
Elle rit, encore : «Tout le monde m’aborde pour me poser des questions. On veut savoir pourquoi je porte le voile. Je n’ai jamais eu de mauvaises expériences. Il faut dire que les gens ont de la facilité à m’aborder : je souris tout le temps...»
Et tu leur dis quoi, quand ils demandent, Fatima? «Que c’est un choix personnel. Une valeur morale, pour moi. Je leur sers une métaphore : Quand on a quelque chose de précieux, de cher, on le cache, non ? On ne le montre pas à tout le monde. Je veux montrer mon âme. Pas mon corps...»
Hijab, Jésus, signification
Alors, est-elle soumise, Fatima? À une culture, certainement. Culture qui inclut un patrimoine religieux. Mais le hijab, c’est mille choses. Mille significations. Prenez Jésus.
«C’est la culture qui fixe des limites, plaide Fatima. Bien plus que la religion. Moi, je ne me sens soumise à personne ! Si je veux porter le voile, pourquoi ça dérange?»
Un détour, à ce sujet. L’islamologue français Olivier Roy, dans Globalized Islam : «La signification du hijab mérite réflexion. La plupart des mères de filles voilées, en France, ne portent pas le hijab. Les adolescentes l’adoptent souvent en guise d’affirmation contre la société, les profs, la famille. Pour plusieurs, ce n’est qu’une attitude transitoire : combien porteront le voile, 10 ans plus tard?»
Et Roy d’expliquer que le hijab ne signifie pas la même chose, culturellement, religieusement et socialement, selon qu’on le porte à Istanbul, Beyrouth ou Téhéran. Et j’ajouterais : ou Montréal...
Prenez Jésus. Un sénateur américain conclut un discours condamnant l’avortement en évoquant le Christ. Un député québécois veut garder le
crucifix sur les murs de l’Assemblée nationale. Même Jésus. Et pourtant, sacrée différence dans l’instrumentalisation du Christ, entre le député et le sénateur.
Non? C’est le même Jésus. Qui ne signifie pas la même chose à Washington et à Québec.
Question : ça se peut que le hijab, ce soit la même différence? Fin du détour.
Hockey cosom et Nelligan
Si Fatima est soumise, disons qu’elle a une vie soumise plutôt active. Elle fait du judo. Joue au hockey cosom. Au soccer, au basket. Études en philo. Tripe sur Nietzsche. Elle trouve le moyen de relier l’auteur du Gai savoir à la discussion. «Vouloir être ce que l’on est. Foncer. Se séparer de tout ce que la société veut imposer. C’est pour ça que je porte mon voile...»
Quand elle m’a dit que son poète préféré était Émile Nelligan, je croyais qu’elle me bullshitait. Elle en a cité quelques bouts : «Je suis gai, si gai, dans mon rire sonore... Oh ! si gai que j’ai peur d’éclater en sanglots...» C’est dans La romance du vin.
Au Starbucks, son rire fait tourner des têtes. Je remarque le fond de teint, le mascara, ces sourcils finement épilés. T’es pas mal coquette, Fatima, ça doit te prendre un temps fou, te pouponner, le matin... Oui! Et selon ma religion, dit-elle en riant encore, je ne devrais pas me maquiller...
Et tu le fais quand même ?
Quand je dis que je ne me voile pas par conviction religieuse...
Femmes battues
Fatima cesse de rire, se choque un peu à un seul moment. Quand elle pense qu’au Québec, comme en France, le hijab pourrait être interdit. «En Iran, on force les femmes, même les étrangères, à le porter. En France, on l’interdit dans les institutions publiques. C’est l’autre extrême, non? C’est pas mieux.»
Je reviens sur papa Noureddine. Quand même, il doit aimer voir sa fille voilée, non ? Fatima se rebiffe :
– Très jeune, mon père m’a éduquée à m’imposer devant les gens, à revendiquer mes droits. Oui, il y a des musulmanes soumises. Brimées. Mais il y a des Québécoises soumises et battues, qui restent avec leur mari! Et qu’est-ce qu’elles disent, quand on leur dit de quitter ces maris violents?
– Je sais pas, Fatima, elles disent quoi?»
– Elles disent : Oui, mais je l’aiiiime!
- source
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