<i>You know what I mean!</i>

L’unanimité inquiétante qui entoure la récente décision de consacrer cinq mois de la dernière année du primaire à l’étude exclusive de l’anglais illustre comment le bilinguisme est devenu depuis quelques années une véritable obsession au Québec.

Enseignement intensif de l'anglais en 6e année


L'autre jour, j'imaginais ce qu'aurait à dire une commission composée d'experts internationaux chargée d'examiner l'école québécoise. L'expert allemand trouverait que nous n'en faisons pas suffisamment en matière de formation professionnelle. Le Mexicain ne comprendrait pas qu'un peuple qui se targue tant d'américanité ne généralise pas l'apprentissage de l'espagnol, parlé par plus de 300 millions de nos concitoyens des Amériques. Le Français s'inquiéterait de l'effacement de la littérature dans l'enseignement de notre langue. Parions que l'Américain trouverait nos programmes d'histoire un peu minces. Je ne vois vraiment qu'un Québécois pour s'inquiéter de l'enseignement de l'anglais.
L'unanimité inquiétante qui entoure la récente décision de consacrer cinq mois de la dernière année du primaire à l'étude exclusive de l'anglais illustre comment le bilinguisme est devenu depuis quelques années une véritable obsession au Québec. Et cela même si nous sommes déjà l'un des peuples les plus bilingues du monde. À l'étranger, on envie généralement notre maîtrise de l'anglais, dont presque tous les Québécois ont au moins une connaissance passive. Selon une enquête de Statistique Canada réalisée en 2006, 61 % des Québécois de 21 ans qui ont fréquenté l'école française étaient bilingues. Chose certaine, le nombre de Québécois bilingues dépasse de très loin le nombre d'emplois qui exigent une connaissance de l'anglais. Toutes les enquêtes montrent enfin que, à cause de notre immersion dans un environnement anglophone, le bilinguisme progresse de façon régulière au Québec sans même que nous ayons à lever le petit doigt.
L'école québécoise est une des rares où l'anglais est obligatoire chaque année jusqu'à l'université. Mais nous ne le parlerons jamais assez pour ces disciples de Pierre Trudeau qui s'ignorent et qui rêvent d'une identité intégralement bilingue comme celle des Acadiens et des Catalans. Chez nous, le bilinguisme ne suffit pas: il faut être «parfait bilingue»! Au Québec, «on ne sait jamais assez d'anglais. Tout le monde veut apprendre l'anglais. [...] Nous sommes une race servile», écrivait l'un des pères de la Révolution tranquille, Jean-Paul Desbiens.
D'où vient cette obsession? D'abord de la soumission croissante de l'école aux impératifs de l'économie. L'expulsion des humanités et de la culture générale va de pair avec le développement de cours de plus en plus dessinés en fonction des seuls besoins du marché. Il n'y a d'ailleurs que les enseignants pour s'inquiéter de la disparition de cinq mois d'enseignement du français, des mathématiques et de l'histoire à un âge pourtant crucial.
Mais cette obsession du bilinguisme est surtout la manifestation du déclin, à tout le moins symbolique, du français au Québec. Un déclin souvent imperceptible que le professeur de sciences politiques de l'Université du Québec Marc Chevrier a récemment illustré de façon magistrale en étudiant les dialogues des jeunes héros du dernier film de Xavier Dolan, Les Amours imaginaires(1). On y découvre comment la généralisation de formules et de mots anglais sert de plus en plus à marquer la réalité de l'univers dans lequel vivent les jeunes Québécois alors que le français correct, et à plus forte raison littéraire, apparaît comme une langue irréelle. Chevrier illustre avec brio la schizophrénie linguistique québécoise pour laquelle l'anglais est progressivement devenu la langue des «vraies affaires». «Oui, il faut protéger notre langue, mais parler anglais nous donne la chance de viser haut», disait d'ailleurs une mère de famille interviewée cette semaine par un quotidien montréalais.
C'est cette même aliénation que décrivait le poète Gaston Miron lorsqu'il affirmait que le français était menacé au Québec, non pas tant de disparaître (du moins pas dans l'immédiat), mais de ne plus puiser sa force en lui-même et de se transformer en simple calque de l'anglais. Les exemples ne manquent pas pour démontrer que, chaque fois qu'il faut exprimer la virilité, la force, la modernité et la nouveauté, les Québécois ont de plus en plus recours à l'anglais. You know what I mean!
Le même phénomène explique probablement aussi la tendance de l'Office de la langue française, récemment mise au jour par un groupe de linguistes, à accepter de plus en plus d'anglicismes dans son dictionnaire terminologique.
Une dernière raison explique cette obsession. Comme le disait l'ancienne directrice de ce journal, Lise Bissonnette, nous avons progressivement séparé la culture québécoise de la langue française. À cause de notre obsession de la réussite à l'étranger, dont Arcade Fire n'est que l'exemple le plus récent, mais aussi de l'enseignement du français comme simple instrument de communication, nous en sommes venus à croire que la culture québécoise n'entretenait plus qu'un lien ténu avec la langue française. De là à proposer que l'on chante en anglais à la Fête nationale, il n'y a qu'un pas. Qui a déjà été franchi. Il ne restera plus qu'à prier le frère André pour que Fred Pellerin gagne un Grammy Award. Plus naïf, tu meurs!
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(1) [Les français imaginaires (et le réel franglais)->29031], sur le site agora.qc.ca


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