La Presse se fait le promoteur d'une "bilinguisation" institutionnelle au Québec

Une autre voie

Témoignage d'une famille québécoise qui sera jamais publié par La Presse.

Enseignement intensif de l'anglais en 6e année

À la rédaction de La Presse.
Dans le débat sur la bilinguisme institutionnel et individuel, il m'apparaît que la question est mal posée. Dans le contexte de la fragilité du français surtout dans la grande région de Montréal, je crois qu'une identité forte des jeunes Québécois concernant leur langue et leur histoire est un préalable à toute mesure qui permettrait l'apprentissage de l'anglais de façon intensive.
Étant donné que les médias ont donné surtout la parole aux promoteurs de ce bilinguisme institutionnel souvent sous la forme de témoignages, j'apporte ici le témoignage d'une famille québécoise francophone qui a suivi une autre voie et dont les enfants ont entre 25 et 33 ans. Je dois ajouter que chacun de mes enfants a accepté le contenu les concernant. Ce fut un processus enrichissant pour toute la famille.
Ce témoignage d'une famille entière n'a pas de caractère scientifique mais il apporte un éclairage différent en mettant l'accent sur le parcours de quatre jeunes et l'importance d'une identité québécoise forte qui, selon moi, facilite l'apprentissage d'une langue seconde.
Il semble bien que l’on tente de nous vendre le bilinguisme institutionnel et individuel par la publication de témoignages et d’analyses tronquées mettant de l’avant le fait que le québécois francophone bilingue aurait des revenus supérieurs au québécois francophone unilingue. Rien n’est dit sur d’autres facteurs (origine sociale, niveau de scolarité, etc.) qui pourraient aussi expliquer cet écart. Encore plus, rien n’est dit des effets à long terme d’une telle institutionnalisation du bilinguisme sur la présence du français, comme pôle d’attraction, surtout dans la région du grand Montréal. Nous savons que tout bilinguisme institutionnel touchera directement la prédominance fragile du français à Montréal.

Pour ma part, je crois que les témoignages publiés en faveur du bilinguisme institutionnel n’ont aucune pertinence scientifique. Aucune tendance ne peut être inférée de ces cas particuliers. Cependant, devant cet afflux de témoignages prônant le bilinguisme, je veux rendre compte de l’importance primordiale (avant l’apprentissage d’une langue seconde) d’un sentiment identitaire fort dans le développement d’un citoyen fier de ses origines et prêt à vivre dans un contexte de mondialisation.

Mes quatre enfants sont issus d’une famille québécoise francophone qui a vécu à Montréal (Ahuntsic). Les enfants ont toujours été dans le réseau scolaire francophone de la maternelle à l’université. À la maison, tout se passait en français. Comme parents, nous considérions très importants que les enfants vivent, avant tout, dans leur culture québécoise francophone. Ils devaient aussi se préoccuper de posséder un très bon français oral et écrit. Par les livres, la télévision, la musique et les autres arts, nous voulions que nos enfants baignent dans notre culture. À table, nous parlions beaucoup d’actualité mais aussi de notre histoire en tant que peuple. Les enfants étaient fiers de leur identité de québécois francophones. Ils estimaient qu’ils appartenaient à la nation québécoise. Ils connaissaient aussi le caractère unique mais fragile de cette identité francophone dans un univers anglophone. Aujourd’hui ces adultes (33 ans, 31 ans, 27 ans, 25 ans), fiers et forts de leur particularité de Québécois francophones en Amérique, sont tous devenus bilingues car ils vivent dans la région de Montréal. Leur identité très forte de Québécois francophones et leur estime d’eux-mêmes établie sur cette base fondamentale leur ont permis d’apprendre l’anglais à l’école et surtout « sur le tas » et de l’utiliser dans leur travail. Ce ne sont pas des adultes géniaux mais des citoyens fiers de leur origine et conscients de ce qui les entoure. Ils veulent vivre d’abord en français dans un pays qui leur ressemble.
Voici, avec leur consentement, la description de leur parcours :

Félix (33 ans) est l’aîné. Il est travailleur autonome dans le domaine des communications et de la technologie. Il doit souvent travailler en anglais. De plus, il est chanteur et bassiste d’un groupe rock québécois Ripé, qui chante en français. Par la force des choses, Félix est devenu bilingue mais son appartenance première a toujours été claire : je suis un Québécois francophone.

Émile (31 ans) détient une maitrise en génie électrique de l’École de Technologie Supérieure. Il travaille actuellement comme professeur en technologie de l’électronique dans un CEGEP francophone. Ayant étudié en génie électrique, il a dû améliorer son anglais. Après sa maîtrise, il a reçu des offres de diverses compagnies mais aurait dû vivre à Ottawa et travailler surtout en anglais. Une des raisons pour lesquelles il a refusé ces offres était son désir de vivre et travailler dans un environnement québécois francophone.

Angéline (27 ans), notre seule fille, a étudié à l’UQAM, en adaptation scolaire. Elle vit depuis 4 ans en Australie avec son conjoint unilingue anglais. Elle l’a connu lors de l’un de ses voyages. En Australie, Angéline a passé les examens de connaissance écrite et parlée de l’anglais pour pouvoir travailler dans son domaine, l’enseignement. Elle est professeur dans une école publique australienne auprès d’enfants handicapés et en difficultés d’apprentissage. Forte de son identité québécoise francophone, elle ne parle que français à sa fille, Madisson, 2 ans et 6 mois. Dans un environnement complètement anglophone, il lui serait beaucoup plus facile de parler à sa fille en anglais, mais Angéline trouve important que celle-ci apprenne la langue maternelle de sa mère. Pourquoi le fait-elle? Parce qu’elle est fière de ses origines; elle pense qu’agir autrement serait se renier soi-même.

Jérôme (25 ans) étudie actuellement en sciences économiques à l’Université de Montréal. Il fait conjointement un baccalauréat et une maîtrise. La plupart de ses manuels scolaires viennent des États-Unis; il doit donc lire couramment l’anglais en plus de le parler. Jérôme est bilingue mais se considère avant tout comme un Québécois francophone. Il est fier d'appartenir à la nation québécoise et croit que celle-ci a un rôle à jouer dans les grands enjeux mondiaux.

En somme, mes quatre enfants sont devenus bilingues sans recourir à ce bilinguisme institutionnel et sans que nous les poussions pour qu’ils apprennent nécessairement l’anglais. Ils ont accepté librement d’apprendre cette langue comme de découvrir de nouvelles technologies pour poursuivre leurs études et se lancer en affaires. Je crois sincèrement que mes enfants, fiers de leur identité québécoise unique en Amérique, ont pu aborder l’anglais comme un autre actif dans leur boîte à outils. Ils ne se définissent pas comme bilingues mais Québécois francophones faisant partie de la nation québécoise. Ils veulent vivre en français au Québec et à Montréal. En prônant une politique institutionnelle de l’anglais, ne mettons-nous pas la charrue avant les bœufs ? Il faut d’abord renforcer chez nos jeunes le sentiment de fierté d’être des Québécois francophones en terre d’Amérique et l’idée que nous formons une nation au Québec, dont la langue française est l’élément unificateur. Forts de leur identité, ils pourront alors faire face aux effets de la mondialisation que ce soit par l’apprentissage de l’anglais ou d’une autre langue ou la connaissance des nouvelles technologies.


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 mars 2011

    Bonne chance à votre fille en Australie. Je regardais Manon Rhéaume l'autre jour qui parlait en anglais à son fils américain. Ca doit être aliénant de parler à ses enfants dans une langue seconde, une langue qui n'est pas la sienne.

  • Marcel Haché Répondre

    12 mars 2011

    Il y a 20 ans. Un couple ami dans un camping du sud du Québec. Des parents instruits. Lui ingénieur en chef, à l’époque, dans une multinationale de la chimie.
    Leurs trois enfants fréquentaient l’école anglaise depuis leur bas âge en Ontario. Tous trois parfaitement bilingues, mais incapables de lire le français. Parlaient parfois en anglais entre eux.
    L’ainé est devenu ingénieur comme son père. Formé au Québec, s’est exilé facilement dans le sud des states. Fait sa vie par là.
    Perdu de vue. Perdu de cœur. Je suis prêt à parier que ses enfants ne lisent pas, ne comprennent pas et ne parlent pas français.
    L’histoire s’accélère : ça prend deux générations…

  • Caroline Moreno Répondre

    12 mars 2011

    Ma soeur a épousé un Canadien né au Québec. Leurs trois enfants portent des prénoms anglais et s'expriment en anglais.
    Anglais oblige, ils se sont installés dans le si bien nommé West Island.
    Anglais oblige, dans la famille les émissions de télé se regardent en anglais, la radio est écoutée en anglais, les vacances se prennent en Ontario ou en Colombie-Britannique. Les visites médicales et les sorties se font en anglais de manière à ce que papa ne se sente pas exclu. Ma soeur a même développé un intérêt pour le curling (faut le faire) et confectionne des cupcakes. Aux anniversaires on chante Happy birthday et le Canada national anthem lors des parties de hockey.
    Les beaux-parents ne parlent pas un mot de français. Ils ont une excuse : ce sont des gens âgés (n'ont-ils jamais été jeunes ?)
    Les enfants du couple feront leur primaire et secondaire en français. Soit. Mais qu'est-ce que cela va changer ? Une identité leur a déjà été donnée. Ils feront le reste de leurs études en anglais, auront des fréquentations anglaises, un milieu de travail anglais. Ils téléphoneront à leur mère de temps à autre : "Hy mom, how are You ?"

  • Archives de Vigile Répondre

    11 mars 2011

    Voilà qui devrait replacer les yeux devant les trous aux excités à la Bousquet qui sont "vites" à qualifier d'unilingues français les Québécois qui se sont appliqués à tirer le meilleur possible des notions d'anglais enseignées dans nos écoles publiques.
    Ça démontre qu'après, c'est le besoin qui poussera l'individu à aller chercher le complément nécessaire à ses fins. C'est le syndrome Marois/Harel/juaticeFournier qui ne peuvent pas se voir comme locuteurs propres de leur langue nationale en face de l'étranger (déracinés envieux du maître). Les chefs de pays ne cherchent pas tous à camoufler leur accent quand ils s'adressent à la presse étrangère.
    Apprendre trop tôt deux langues simultanément mène à parler deux langues étrangères, abâtardies, au vocabulaire restreint et au risque de contre-sens. Le plaisir d'apprendre une langue étrangère vient de la compréhension des similarités/différences reconnues à partire de sa propre langue maternelle bien assimilée. (début âge adulte)
    L'âge proposé, de 11 ans, pré-ado, est justement celui où la tentation est grande de se renier pour adopter tous les mirages étrangers: musique, cliquant, exotisme blingbling.