Des idées en l'ère

Jean Charest, chef gréviste

Crise sociale - JJC le gouvernement par le chaos


«Il n’y a pas patron plus intraitable qu’un ancien syndicaliste radical », dit-on. Cette maxime renferme peut-être une clé expliquant, en partie, l’attitude du premier ministre Charest dans le conflit étudiant. S’il avait eu 17 ans aujourd’hui, on peut gager que Jean Charest porterait le carré rouge.
En 5e secondaire, à l’école Montcalm de Sherbrooke, il avait été élu président de l’école. Dans son autobiographie J’ai choisi le Québec (éditions Pierre Tisseyre, 1998), il fait le récit de ce « premier mandat » : « J’avoue que je n’ai pas beaucoup étudié, cette année-là. Je m’intéressais davantage aux affaires du conseil étudiant. L’école comptait mille deux cents élèves. Nous avons organisé des grèves, des contestations, des négociations avec les professeurs. Cela a été pour moi un apprentissage de la responsabilité publique, qui comporte plusieurs dimensions : il faut apprendre à résoudre des conflits, à écouter, à trouver des solutions, à contester des décisions et aussi, quand il le faut, à dire non et ce, dans un contexte où l’on doit assumer la responsabilité de ses gestes. »
Si le militantisme étudiant a tant de vertus, on se demande bien pourquoi le ministre responsable des dossiers jeunesse, aujourd’hui, cherche autant à le brider. Peut-être parce que ça nuit aux études. « J’ai terminé mes études secondaires sans distinction, admet-il dans son autobiographie. J’étais un étudiant moyen. J’aurais pu avoir de meilleurs résultats si je m’étais appliqué, mais à l’époque, ce qui m’intéressait, c’était les activités du conseil étudiant, le sport et la musique de Pink Floyd, d’Octobre et des Rolling Stones. »
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André Pratte, dans sa biographie du chef libéral (L’énigme Charest, Boréal 1998), s’arrête brièvement sur la période de militantisme étudiant du futur premier ministre du Québec. En 1975, Jean Charest étudie au séminaire Saint-Charles, un collège privé. Comme au secondaire, il s’intéresse à la politique étudiante. Il participe notamment à un mouvement de débrayage pour exiger la mixité de l’école. Demande prioritaire ? Rencontrer le directeur du séminaire ! Au bout de trois jours, le directeur accepte ; accueille les grévistes dans son bureau. Qui prend la parole ? Jean Charest. Cela lui sert à progresser dans le mouvement. Il « est appelé à présider une des assemblées générales des élèves » et est « élu membre du "comité sur la mixité", chargé de négocier avec la direction du séminaire ». Pourquoi ? « Je savais organiser les grèves… » À l’époque, on ne parlait pas de boycottage, à l’évidence.
Permettez-moi une hypothèse de psycho à cinq sous : au-delà des considérations stratégiques et tactiques qui ont motivé le premier ministre cette semaine, n’y a-t-il pas, dans ce projet de loi 78, une volonté de mâter l’étudiant à la fois dissipé et militant qu’il a été ?
Chose certaine, lorsqu’il propose, dans la loi 78, de récupérer des semaines perdues, on se dit que Jean Charest sait de quoi il parle. Retournons à l’autobiographie : « Au collège, j’ai participé à la vie politique étudiante, tout en préparant mon entrée à l’université. Cela dit, j’avais loupé tant de cours qu’à la dernière session je me suis retrouvé avec huit cours à terminer. J’ai quand même décroché mon diplôme d’études collégiales, mais il a fallu en pédaler un coup. »
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Autre paradoxe « charestien » révélé par cette loi 78 : sa propension à instrumentaliser le droit. Lui, l’avocat qui aime tant rappeler l’importance de l’État de droit, du respect des lois, a un parcours marqué d’un fil rouge à cet égard.
Souvent, même, en l’observant ces dernières années, j’ai pensé à la célèbre phrase de Coluche : « En politique, les études, c’est très simple : […] c’est cinq ans de droit, tout le reste de travers. »
De travers comme ce fameux coup de téléphone à un juge de la Cour supérieure en 1990, qui contraindra le jeune ministre à laisser son portefeuille des sports. « Avocat de carrière et ministre depuis 1986, note un journaliste à l’époque, Jean Charest pouvait difficilement évoquer, pour sa défense, l’ignorance de la tradition d’indépendance du pouvoir judiciaire face au pouvoir politique. » Aujourd’hui, on pourrait écrire : « Avocat de carrière et premier ministre depuis 2003, Jean Charest pouvait difficilement évoquer, pour sa défense face aux aspects abusifs de la loi 78, l’ignorance des règles constitutionnelles. »
Dans son autobiographie, lorsqu’il aborde sa formation juridique, Jean Charest écrit : « Le droit […] nous apprend à raisonner, à manipuler des concepts. » Ce type de manipulation s’observe dans plusieurs épisodes de la carrière de l’homme. Le plus connu étant celui de la nomination des juges, dont le caractère « post-itien » a été mis en lumière lors de la commission Bastarache. Mais il ne faut pas oublier la géométrie variable de la directive d’éthique du Conseil des ministres, avant le code de déontologie de 2011 ; les relations tendues avec les procureurs de la Couronne ; la commission Charbonneau, d’abord instituée sans pouvoir de contrainte, en ne tenant pas compte de la Loi sur les commissions d’enquête. Il y avait assurément beaucoup d’exagération et de mauvaise foi dans ces propos de Marc Bellemare sur Jean Charest : « La justice, ça ne l’intéressait pas. Ce n’était pas des dossiers politiques aussi importants que la F1. » Reste que parfois…


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