L'hémorragie

Crise de leadership au PQ

Tout comme une image vaut mille mots, il y a des omissions qui en disent davantage que les plus longs exposés.
Il est vrai que Louise Beaudoin se préoccupe de l'avenir de la diversité linguistique dans le monde de demain, comme elle se passionnait jadis pour la protection de la diversité culturelle, dont elle a fortement contribué à faire reconnaître le principe par l'UNESCO.
Malgré ces nobles intérêts, personne ne sera dupe des raisons qu'elle avance dans la [lettre publiée aujourd'hui même dans Le Devoir->4026]. Si elle renonce à être candidate dans Chambly aux prochaines élections, c'est avant tout parce qu'elle ne croit plus aux chances du PQ sous la gouverne d'André Boisclair.
Dans sa lettre, elle réitère son allégeance au PQ et au mouvement souverainiste mais pas à son chef, qu'elle ignore complètement. Si elle a décliné toute demande d'entrevue, c'est précisément pour éviter qu'on lui pose des questions embarrassantes.
Depuis sa défaite d'avril 2003, elle était demeurée très présente dans son ancienne circonscription. Encore en octobre dernier, sa candidature était tenue pour acquise. Puis, au fil des semaines, elle est devenue plus hésitante. Comme pour plusieurs autres, la participation de M. Boisclair à la parodie de Brokeback Mountain aura été la goutte de trop.
En décembre, Mme Beaudoin s'était pourtant rendue à Paris, où elle a toujours ses entrées, pour préparer la visite de M. Boisclair, même si elle était la première à mesurer les risques de ce voyage en pleine campagne présidentielle. Elle aurait sans doute pu lui être encore très utile cette semaine, mais sa présence aurait été un peu inconvenante alors qu'elle s'apprêtait à le quitter.
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Dire que la vieille garde péquiste doute des chances de victoire aux prochaines élections relèverait de l'euphémisme. On craint plutôt une dégelée comparable à celle d'avril 2003, sinon pire.
Paradoxalement, Chambly est une circonscription qui pourrait revenir au PQ, même dans la débâcle. Malgré le mécontentement causé par les fusions municipales décrétées par le gouvernement Bouchard, Mme Beaudoin n'avait été défaite que par 799 voix. Aux prochaines élections, c'est la frustration de ceux qui se sentent floués par les défusions autorisées par le gouvernement Charest qui pourrait se manifester dans l'urne.
Pour Mme Beaudoin, se retrouver dans l'opposition aurait été le pire scénario. Malgré une longue carrière, cela ne lui est jamais arrivé. Brièvement ministre non élue dans le cabinet de Pierre Marc Johnson après avoir été chef de cabinet de Claude Morin et déléguée générale du Québec à Paris, elle avait été battue dans Louis-Hébert en 1985. Elle ne s'est représentée dans Chambly qu'en 1994 et a aussitôt été nommée ministre par Jacques Parizeau.
Même au pouvoir, le travail de comté ne l'intéressait pas le moins du monde. Elle se plaisait infiniment plus dans les salons lambrissés de Paris que dans les épluchettes de blé d'Inde. Une vie partagée entre la période de questions à l'Assemblée nationale et son bureau de Chambly l'aurait ennuyée à mourir alors qu'elle mène actuellement une existence très agréable entre ses cours à l'UQAM et les nombreux voyages qui la conduisent un peu partout.
Sans parler de l'ambiance qui régnera au PQ s'il perd les prochaines élections. Les lendemains de défaite sont toujours difficiles, mais la réaction anti-Boisclair s'annonce infiniment plus violente que la faible contestation dont le leadership de Bernard Landry a pu faire l'objet après la déconfiture de 2003.
On ne parle encore que d'une défaite appréhendée, et ce qu'on entend à propos du chef du PQ est déjà plus dur que tout ce qu'on a pu dire de M. Landry jusqu'au jour de sa démission. Mme Beaudoin était une bonne politicienne, mais les batailles de ruelle ne sont pas vraiment son rayon.
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M. Boisclair, qui connaissait déjà la décision de Mme Beaudoin depuis un moment, a déclaré hier que le PQ allait présenter un «visage nouveau» à l'électorat. De toute manière, de la façon dont c'est parti, il n'aura pas vraiment le choix.
Dans le cas de Mme Beaudoin, les propos de M. Boisclair que Le Journal de Chambly rapportait dans son édition du 17 octobre ne laissaient aucun doute sur son désir de la voir faire partie de son équipe. «Je souhaite qu'elle soit dans nos rangs. Elle est une souverainiste moderne», avait-il déclaré. D'ailleurs, elle-même disait que M. Boisclair ferait un bon premier ministre et qu'elle était prête pour les prochaines élections.
C'est très bien, le renouveau, mais il faut aussi de l'expérience dans une équipe. Pierre Curzi est un homme de valeur et l'Union des artistes est sans doute une bonne école, mais il a encore un certain apprentissage à faire.
L'ancien président du Conseil du trésor, Joseph Facal, a lui aussi écarté, «après mûre réflexion», la possibilité d'un retour. Dans la chronique qu'il signait dans Le Journal de Montréal le 17 janvier, il assurait, comme Mme Beaudoin, que ses convictions fondamentales demeuraient intactes. Il ajoutait, comme elle-même aurait pu le faire: «Je ne souhaite pas commenter cette décision, à moins d'y être forcé.»
Après le départ des jeunes loups comme Stéphan Tremblay et Jonathan Valois, qui incarnaient parfaitement la génération que M. Boisclair entend attirer au PQ, le désistement de M. Facal et de Mme Beaudoin envoie un très mauvais message à ceux qui réfléchissent à leur propre candidature. Si des gens aussi aptes à évaluer une conjoncture refusent de s'embarquer dans cette galère, pourquoi eux le feraient-ils? Plus qu'à un renouvellement, tout cela commence à ressembler à une hémorragie.
Outre M. Boisclair, celle qui regrettera sans doute le plus l'absence de Mme Beaudoin est son amie Louise Harel, qui espérait bien la convaincre. Après avoir elle-même songé très sérieusement à partir, Mme Harel en est arrivée à la conclusion qu'elle ne pouvait pas abandonner le navire dans la tempête, mais elle va se sentir bien seule.
mdavid@ledevoir.com


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