Le « problème » québécois

L’hypocondrie culturelle du Canada français

« symbole du déclin du Québec »

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Langue française

Dans sa chronique de vendredi dernier, Christian Rioux nous apprend que la chanson Aujourd’hui ma vie c’est d’la marde de Lisa LeBlanc ne serait pas que la chanson de l’année, mais aussi rien de moins qu’un « symbole du déclin du Québec » (dont la chanteuse n’est pourtant pas originaire), en raison de sa grossièreté gratuite. On trouvera une preuve supplémentaire de l’ampleur des dégâts dans le fait que la « foule gavée et satisfaite [l’écoute] sans hurler, en faisant même semblant de sourire »…
L’affirmation est si énorme, le lien si forcé, que son auteur lui-même peine à le justifier et exprime même le souhait, à la fin de son texte, que celui-ci lui ait « peut-être permis de mieux cerner d’où venait le malaise » provoqué par cette vulgarité assumée. Peut-être, en effet, mais ce n’est pas sûr.
Peut-on supposer que, comme n’importe qui cherchant à trouver une cause à son irritation, M. Rioux ait rapidement et négligemment pigé dans sa réserve personnelle de prêt-à-penser pour en extirper le mythe atavique (et indispensable pour tout commentateur social) du « déclin du Québec » ? La lucidité, en effet, pour une culture qui n’arrive qu’à se féliciter de sa pénible et cahoteuse survie, peut difficilement être autre chose que la perpétuelle agonie de l’hypocondriaque qui voit dans chaque crampe le signe d’un nouveau cancer mortel. Qui, finalement, portera le coup fatal tant attendu et si souvent annoncé : les Anglo-Québécois, le gouvernement Harper, la négligence de la « foule gavée et satisfaite » ou la vulgarité des chanteuses acadiennes ?
Le « problème » québécois
C’est peut-être en raison de cette « lucidité » qu’il est d’aussi bon ton, lorsqu’on se penche sur le cas du Québec, d’aborder la question comme si celui-ci était essentiellement non pas un état ou une société, mais avant tout un problème assez fâcheux auquel on cherche désespérément une solution. Il n’est pas nécessaire de chercher bien loin pour tomber sur des livres ou des textes qui proposent des manières de « redresser le Québec », qui s’interrogent sur ce dont le « Québec a besoin », qui défendent une redéfinition du « modèle québécois » ou qui, en général, parlent de « crise », de « déclin », de la « pauvreté » du Québec ou de sa médiocrité, qui le comparent à la Grèce à genoux, etc.
Ceux qui veulent absolument croire que les choses vont mal trouveront toujours matière à s’inquiéter, mais il me semble néanmoins qu’on chercherait longtemps les symptômes qui justifient un tel acharnement catastrophiste. Ce qui est malheureux, c’est que cette recherche de réels symptômes n’est absolument pas nécessaire : les choses répétées finissent toujours par convaincre. Comment en effet, cerné de tant de diagnostics, ne pas se sentir malade ? Peut-être que ce dont le Québec a avant tout besoin, c’est qu’on libère son chevet de tous ces shamans et spécialistes autoproclamés pour le laisser vivre un peu…
Vent nouveau sur le Québec hypocondriaque
Qu’elle parle de « marde » ou de fleurs, n’est-il pas rassurant de voir qu’une fille de 22 ans chante avec succès du folk en français ? Réjouissant de constater que d’autres jeunes aiment ça et trouvent sa musique cool ? Lisa LeBlanc n’a pas inventé la vulgarité, ni même révélé ou découvert sa puissance évocatrice, mais elle fait partie d’un mouvement nouveau, frais, original, dynamique. À quelle gymnastique intellectuelle faut-il se contraindre pour y voir avant tout un signe de déclin ? Pourquoi, mais pourquoi, toujours revenir à ce même vieux discours de la société québécoise asphyxiée, fatiguée, moribonde ?
C’est précisément ce qu’est l’hypocondrie : s’accrocher désespérément aux explications fatalistes qu’on a trouvées à des problèmes qu’on entretient davantage qu’on ne les subit. N’est-il pas vertigineusement déprimant de constater qu’en vérité certains hypocondriaques ne veulent pas du tout être libérés de leurs fabulations, mais bien plutôt qu’on les confirme ? Leurs douleurs, leurs maladies, leurs défaites, c’est leur identité : ils y tiennent. Il ne faut surtout pas essayer de leur enlever ces précieux acquis.


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