Les petites lâchetés

Affaire Michaud 2000-2011

Chronique - Si ce n'était pas aussi pathétique, la partie de ping-pong qui se joue entre le conseil national du PQ et l'aile parlementaire à propos de l'affaire Michaud serait franchement comique.
On se souvient du dernier épisode, survenu à la veille de l'ajournement des travaux de l'Assemblée nationale pour la période des Fêtes. Malgré l'entente intervenue entre le premier ministre Landry et M. Michaud, le leader parlementaire du PQ, André Boisclair, a été incapable de «vendre» au caucus des députés la déclaration ministérielle qui aurait permis de régler cette pénible affaire, qui demeure un irritant pour de nombreux militants souverainistes.
Le 18 décembre dernier, trois ministres de premier plan, François Legault, Sylvain Simard et Joseph Facal, ont même menacé de quitter immédiatement les lieux si M. Boisclair s'avisait de lire sa déclaration à l'Assemblée nationale. S'il ne s'agit pas d'une atteinte directe à l'autorité de M. Landry, ça y ressemble étrangement.
On peut d'ailleurs se demander pourquoi M. Boisclair a senti le besoin d'ameuter le caucus à la veille de sa déclaration. Curieusement, les rares députés à appuyer M. Michaud n'avaient pas été avisés que le sujet serait abordé au cours de cette réunion. Dans la mesure où il s'agissait d'une simple rencontre de routine qui devait permettre d'échanger des voeux de Noël, ils n'ont pas cru utile de se déplacer.
Depuis deux ans, les diverses instances du PQ ont multiplié les résolutions demandant au gouvernement de faire un geste pour corriger l'injustice commise le 14 décembre 2000 quand l'Assemblée nationale a condamné de façon unanime les propos prétendument «inacceptables» que M. Michaud aurait tenus à l'endroit de la communauté juive, sans savoir ce qu'il avait dit au juste. Peine perdue : les députés péquistes ne veulent même plus en entendre parler.
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Les partisans de M. Michaud ne désarment pas non plus. Lors du conseil national des 1er et 2 février prochains, à Trois-Rivières, une nouvelle proposition émanant du comté de Jacques-Cartier demandera aux délégués d'appuyer sans réserve la démarche de M. Landry et les termes de la déclaration ministérielle de M. Boisclair au nom de «la libre et souveraine expression des opinions des citoyens du pays québécois».
Car, il ne faudrait pas l'oublier, c'est bien de cela qu'il s'agit. Qu'il le veuille ou non, dès lors qu'il se veut le principal promoteur du projet souverainiste, le PQ devient également le porteur des valeurs sur lesquelles s'appuierait un Québec souverain.
À la mi-décembre, personne au Canada n'a suggéré qu'il appartenait à la Chambre des communes de sanctionner l'ancien grand chef de l'Assemblée des Premières Nations, David Ahenakew, pour les propos ouvertement antisémites qu'il avait tenus en félicitant Adolf Hitler d'avoir voulu «nettoyer le monde des juifs». C'est le tribunal de l'opinion publique qui l'a condamné et forcé à démissionner de ses fonctions à la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan.
L'Assemblée nationale était d'autant moins justifiée de s'ériger en juge qu'au dire même du directeur de l'organisation juive B'nai Brith au Québec, Robert Libman, les propos de M. Michaud n'avaient absolument rien d'antisémite. Soit, ils étaient déplacés, mais s'il fallait que l'Assemblée se donne le mandat de traquer la sottise, tous les jours de l'année n'y suffiraient pas.
De toute manière, la déclaration ministérielle que M. Boisclair se proposait de lire n'engageait l'Assemblée nationale d'aucune façon. Elle affirmait simplement que le gouvernement actuel ne présenterait ni ne s'associerait à aucune motion de blâme à l'encontre d'une personne non élue, sauf si cette personne portait atteinte aux droits et privilèges de l'Assemblée ou d'un de ses membres. Auquel cas, la personne en question aurait le droit de s'expliquer avant d'être condamnée.
On est très loin des modifications aux règlements de l'Assemblée que M. Michaud réclamait au départ. Un changement de gouvernement rendrait automatiquement caduque cette déclaration ministérielle, qui irait s'empoussiérer dans les archives.
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Que M. Michaud se satisfasse aujourd'hui d'une réparation aussi symbolique en dit long sur son désir d'en finir avec cette affaire. Que les députés péquistes la lui refusent est tout aussi révélateur. Clairement, ils en font une affaire personnelle, au moins autant que politique.
Comme cela lui arrive à l'occasion, Sylvain Simard avait perdu le contrôle de lui-même le jour de la déclaration fatidique de M. Michaud, qu'il avait accusé de banaliser l'Holocauste. L'automne dernier, M. Michaud n'a pas caché tout le mépris que lui inspire le ministre de l'Éducation, le qualifiant de «génuflecteur d'habitude». Pour être recherchée, l'expression n'en est pas moins désobligeante.
On conçoit facilement que M. Michaud leur tombe sur les nerfs. Sa fatuité et sa préciosité peuvent vite devenir insupportables. Si achalant qu'on le trouve, on ne répare cependant pas une injustice en la balayant sous le tapis. À ce compte, le Canada anglais aussi est excédé des lamentations du Québec, qui réclame réparation depuis plus de 20 ans pour le coup de force constitutionnel de 1982.
M. Michaud parlait récemment des «petites lâchetés» qui ont fait en sorte qu'après plus de deux ans d'atermoiements, l'affaire traîne encore. L'an dernier, c'était la faute de l'opposition; maintenant, c'est le caucus. Faudra-t-il que M. Landry fasse lui-même une déclaration à l'Assemblée nationale ? Quant à ceux qui ne veulent pas assumer la responsabilité de leur geste irréfléchi de décembre 2000, la pratique parlementaire a depuis longtemps trouvé une solution à leur problème : ils n'ont qu'à s'absenter pour aller faire pipi.
mdavid@ledevoir.com


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