Les rivages de l'impuissance

Chronique de Robert Laplante


L’été politique aura été à l’image de la météo : moche et tout en grisaille. Le spectacle de la régression et de l’enlisement dans la médiocrité est toujours désolant, mais il faut bien l’admettre, les derniers mois nous auront fait la démonstration que le marécage est sans fond. Pourrissement de la crise forestière, effondrement dramatique de l’emploi – plus de 30 000 emplois ont disparu cet été au Québec – annonces de nouvelles pertes majeures à la Caisse de dépôt, rien n’a pourtant semblé suffisamment grave pour sortir la classe politique de sa bulle toxique.
Heureusement qu’il y avait l’insignifiance médiatique pour nous distraire. Autrement nous aurions pu penser que notre pays ne va pas bien du tout. Heureusement que nous avons eu les sparages du maire de Québec, les cafouillages du mécénat d’Hydro-Québec, les grands exposés visionnaires du baron de la rigolade sur le Montréal à bilinguiser davantage, sans compter les grandes manchettes sur la mise en vente de Moulinsart. Il n’a manqué – et pourquoi diable n’y ont-ils pas pensé ? – que les déclarations sentencieuses des notables de Charlevoix sur le développement, entre Sagard et Saint-Irénée, d’un grand pôle d’établissement pour l’élite des décideurs…
Il est impossible d’échapper à l’ironie et fort tentant de céder au cynisme qui nourrit si cruellement le décrochage civique, tant l’indigence du discours public et le caractère pusillanime et désincarné du babillage médiatique nous exposent à l’engourdissement létal. Les batailles de festival et le chiquage de guenilles semblent désormais tenir lieu de grands débats de société. Il fallait voir la tête de Gérald Tremblay nous annonçant comme un grand geste politique sa décision de faire sa campagne électorale sans pancartes. Et le petit monde municipal de s’empresser de commenter ! Non mais vraiment, on repassera pour les grands gestes fondateurs, les élans d’audace et les choix courageux. Montréal est en passe de devenir un gros Moncton et personne n’a le courage de dire les choses comme elles sont : il n’y a pas deux métropoles au Canada et le sort de la nôtre est encastré dans le destin de la nation, c’est-à-dire condamné à l’émancipation ou à la minorisation louisianisante. Jean Charest et les inconditionnels du Canada ont tranché.
La rencontre du Conseil de la fédération, nom pompeux pour désigner le club de quémandage, en aura fait, une fois encore au début d’août, l’éloquente démonstration. Le Québec n’est pas d’accord pour entériner certaines orientations fondamentales, mais c’est sans conséquence. On prend note. Et Jean Charest va continuer de plastronner sur les dossiers environnementaux pendant que le Québec va rester en rade, condamné à faire des phrases vertueuses alors que le Canada fait des choix qui annulent les nôtres ou les empêchent. Il va gémir, mais pas trop fort pour ne pas indisposer nos «partenaires». S’il fallait un exemple de plus, celui-là aura bien montré que non seulement le gouvernement libéral accepte l’ordre canadian mais encore et surtout qu’il est disposé à tout liquider de l’intérêt national pour ne pas se faire gronder par ceux qui, pour se servir de lui, exigent de le voir danser avec élégance sur une plaque chauffante. Plusieurs y voit l’expression du carriérisme de Jean Charest qui ne voudrait pas ruiner ses chances d’aspirer au grand fauteuil en donnant une image de chicanier. C’est déjà faire beaucoup de nuances pour caractériser la petitesse. La vérité, c’est que l’élite d’inconditionnels du Canada accepte de le suivre, prête à tout pour brader le Québec, ses acquis aussi bien que son avenir, pour continuer de se tenir dans les bonnes grâces et à portée des mains nourricières.
On reste néanmoins pantois devant la réaction pusillanime des professionnels de la politique souverainiste qui ne cessent de se désoler devant le niaisage autour des normes d’admissibilité à l’assurance-emploi sans même oser lever le ton pour dire : assez, c’est assez ! La morgue d’Ignatieff, la rigidité dogmatique de Harper, le finassage de Layton, nous n’en avons rien à faire. Est-il donc si obscène de dire et de revendiquer qu’Ottawa doit se retirer et lancer une mobilisation pour doter le Québec de sa propre Caisse d’assurance-emploi ? L’intérêt des travailleurs québécois ne devrait-il pas primer sur les calculs politiciens qui ne servent qu’à tenir un ordre qui sème la désolation dans nos foyers en plus de saper les possibilités d’une relance économique conforme à nos intérêts ?
Dénoncer l’injustice des plans d’aide à l’industrie automobile pour mieux pleurer sur le sort des ouvriers du secteur du papier ne sert à rien. Il faut prendre l’initiative et se battre pour notre cause et non pour se contenter de mieux négocier son rôle de minoritaire dans une partie que nous ne contrôlons pas. Il vient un temps où le discours de limitation des dégâts se retourne contre lui-même et ne sert plus qu’à faire accepter la logique de perdants. Ce point est franchi.
Le Canada, ses institutions, sa dynamique politique comme sa logique de développement détruisent peu à peu – mais de plus en plus rapidement – notre cohésion nationale et notre capacité de formuler nos solutions en fonction de notre intérêt propre. Le carcan canadian nous engourdit chaque jour davantage au point que nous vivons désormais comme si l’ankylose était un état normal. Un reportage loufoque nous en aura donné l’illustration la plus hilarante au beau milieu du mois d’août alors que la télévision d’État nous a fait voir le Canada sous son meilleur jour. À ceux-là qui pensent que les affaires constitutionnelles sont sans conséquence, le petit clip du bulletin de nouvelles du 11 août a donné une délirante et délicieuse leçon de surréalisme canadian. L’anecdote est fabuleuse.
Le reportage nous montrait un responsable du Parc national des îles de Boucherville, de juridiction provinciale, excédé par son incapacité à régler un différend entre vacanciers au sujet de l’usage des canaux pour la navigation. Les amateurs de canot et de kayak se plaignent de la présence envahissante des gros hors-bord qui encombrent et polluent le bras de fleuve qui constitue l’artère principale des voies navigables du parc. Impossible de faire des règles claires et de les appliquer : la circulation fluviale est de juridiction fédérale. Voilà maintenant quatre ans que le Parc essaie d’obtenir un arrangement avec les autorités fédérales pour définir un cadre réglementaire qui faciliterait l’arbitrage des conflits d’usage. Quatre ans ! Le pauvre homme paraissait aussi découragé qu’épuisé d’avoir à subir les plaintes des usagers sans pouvoir donner suite. On imagine ce qu’il est advenu de l’atmosphère le jour où un yatch a sectionné le câble du bac qui transporte d’une rive à l’autre cyclistes et piétons qui ont dû passer des heures à attendre qu’on répare les avaries parce que le Canada ne s’est pas encore donné la peine de répondre. Tout le monde a maugréé. Les lamentations, on connaît. Et vive la constitution ! Et vive le plus meilleur pays du monde !
Dans les petites comme dans les grandes affaires, le Canada est une nuisance pour nous. Une constitution illégitime n’est pas sans conséquence : elle empoisonne tout notre ordre social et sabote jusqu’au quotidien le plus banal. Mine de rien, c’était La nouvelle de l’été, celle qui révélait dans sa lumière la plus crue et en toute innocence le parcours du renoncement. On ne pouvait imaginer plus belle illustration de ce qu’est en passe de devenir la politique québécoise : un spectacle bucolique qui donne à voir des élites velléitaires s’agitant sur les rivages de l’impuissance.

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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