Dans le passé, le gouvernement national des Québécois a posé des gestes qui exprimaient un sens du devoir national, c’est-à-dire des gestes d’autocréation de son gouvernement en fonction de ses intérêts nationaux. L’exemple le plus célèbre est la loi 101. Il y en eût beaucoup d’autres depuis ladite Révolution tranquille : mise en œuvre d’autorités statutaires, établissement de pratiques et d’institutions qui contribuent à faire participer le Québec à la diplomatie internationale.
Assez étrangement, beaucoup d’indépendantistes décriaient ses efforts. Pour eux, il s’agissait nécessairement d’une conquête paradoxale, c’est-à-dire d’un progrès qui finit fatalement par se retourner contre soi. Des capacités gagnées à la marge, arguaient-ils, demeuraient de simples pouvoirs provinciaux et maintenaient l’illusion que les Québécois pouvaient fixer les règles au Canada. Ils s’élevaient donc contre la fameuse maxime : « Tout ce qui renforce le Québec est bon ».
L’Ailleurs impossible
Le corollaire de ce point de vue va de soi. Si les progrès de l’Etat québécois au Canada se rangent parmi les « conquêtes paradoxales », il faut nécessairement situer son action dans un « ailleurs ». On doit donc délaisser la société instituée et fonder une société instituante qui relèverait du pays à naître.
Ainsi le mouvement indépendantiste serait le héraut d’un « espace instituant » qui trouvera d’abord son lieu et ses usages dans un vaste mouvement d’éducation populaire. Malheureusement ce plan d’action, si jamais il en est un, est essentiellement un exercice de reconditionnement intellectuel, un processus qui pousserait le bon élève par assimilation à adopter une éthique politique.
Ce petit plan, fort local, disproportionné totalement, si on le pose comme précondition essentielle à l’essor du mouvement indépendantiste, pose en outre d’énormes questions sur la classification d’un institut d’enseignement. Comme tout institut, il devrait bien relever du ministère de l’éducation, fixer son niveau d’enseignement, l’ordre de ses diplômes. L’indépendantisme n’est pas une science en soi qui se substitue aux sciences politiques.
Les indépendantistes n’ont-ils pas accordé une place enviable aux fédéralistes?
Les indépendantistes se sont toujours vus comme les devanciers du pays à naître. Partis du principe qu’ils feraient l’indépendance une fois que l’indépendantisme serait devenu la pensée dominante, ils sont devenus une proie facile.
Quel est le portrait de cette société gouvernée par une pensée dominante, leur demandait-on. Aujourd’hui chacun vit comme il peut et les plaisirs ont remplacé les belles valeurs d’autrefois. Aimer tel type de musique, avoir tel groupe d’amis, ce peut être aussi une manière de réagir. À bien des ensembles de goût et d’attitudes, on donne droit à l’existence et ce droit est perçu comme une égalité de valeurs.
Une société sans pensée dominante où chacun cherche sécurité et autonomie, où tous se disent « soyez généreux pour les goûts d’autrui et il y aura parité pour les vôtres », ce constat se vérifie dans presque toutes les sociétés dans l’hémisphère occidental. Comme tel, les indépendantistes québécois, participant au relativisme, n’ont rien contre. Cependant, ils continuent de raisonner comme si l’indépendantisme était d’abord un « isme » à faire partager comme un corpus philosophique.
Le mythe de la fondation imaginaire
Au pire, cela donne un mouvement indépendantiste qui croit fonder un mouvement indépendantiste multiforme, avec ses poids, ses contrebalances, une sorte de planétaire qui, en principe, ne participe pas de la société aliénée. Ce même mouvement parle sans arrêt d’une canalisation des comportements et d’une machine qui mobilise les énergies. Il dessine un parapluie qui couvre un gouvernement fantôme dans un univers parallèle où on se prête des pouvoirs, des titres comme celui de chambellan de la chaise haute. Il y a là une pusillanimité qui se cache sous des dehors chevaleresques.
Travailler sur le terrain existant
Le gouvernement du Québec est certainement une législature provinciale et, à cet égard, elle est une institution inféodée. On va trop loin en décrétant que le rapport de la nation québécoise à cette institution aliénée ne peut pas changer. Comme l’écrivait Castoriadis : « Il n’y a pas de sens à appeler aliénation le rapport de la société à l’institution comme telle. L’aliénation apparaît dans ce rapport mais elle n’est pas ce rapport comme l’erreur et le délire ne sont possibles que dans le langage, mais ne sont pas le langage. »*1
On ne doit pas oublier que le gouvernement québécois est un objet virtuel, et qu’on n’a pas à attendre demain pour le penser autrement. Dans la mesure où le soutien populaire est accessible, le gouvernement québécois peut être un lieu d’élaboration et de projets institutionnels structurants. Les fédéralistes voudraient surtout penser le gouvernement jouissant d’une relative autonomie fonctionnelle dans des champs alloués par le Fédéral. En fait, les libertés sont québécoises. Elles ne sont pas un cadeau du Canada.
L’institutionnalisation du gouvernement national des Québécois jusqu’à présent a mêlé des dispositions traditionnelles, des structures juridiques, des phénomènes d’habitude résultant de ses propres pratiques de gestion. Sans un rapport d’insoumission, des libertés rétives, le théâtre des institutions ne sera plus que celui de relations de pouvoir sans résistance.
Comprenant que les séries de passions sont souvent liées aux événements, les fédéralistes, sous la gouverne de Jean Charest, ont voulu ne rien trancher par rapport à l’exigence de continuité provinciale. Plus le clivage entre indépendantistes et fédéralistes s’accentue, plus les mécanismes actuels, les relations de pouvoir qui traversent notre gouvernement national risquent de devenir une limite permanente. Si rien ne bouge, on trouve dans les deux camps des gens qui comptent voir leur camp politique renforcé. Les fédéralistes sont toutefois mille fois pires à ce chapitre.
Un résumé
Le pouvoir du gouvernement québécois relève de la nation québécoise. L’action du Fédéral au Québec, sa prétention à constituer l’enveloppe générale, l’instance de contrôle global, le principe de régulation, ne tient que dans la mesure et aussi longtemps qu’il jouit de l’approbation explicite de la nation québécoise. C’est à la nation québécoise et seulement à elle qu’il appartient de décider des prérogatives étatiques allouées au gouvernement fédéral. Le résumé suivant en découle :
L’indépendantisme vaincra quand il sera devenu une pensée dominante fut le leitmotiv indépendantiste. Or, aujourd’hui tout le monde veut loger en dehors du discours des officiels. En Europe, on s’est plaint qu’il n’y ait plus de pensée dominante comme à peu près partout ailleurs.
Aujourd’hui, il faut l’emporter dans une société qui restera sans pensée dominante. Donc, ce qui compte c’est le choix des moyens pour parvenir à une fin. Il s’agit de la rationalité mise en oeuvre pour atteindre un objectif et strictement de cela.
Depuis René Lévesque, tous les premiers ministres ont dit que le peuple du Québec est libre de son destin et de ses choix. Donc, cela signifie qu’ils ont tous affirmé la puissance souveraine de la nation québécoise. Nous n’avons pas à attendre que l’indépendantisme devienne une pensée dominante pour mettre ce principe en oeuvre.
Le principe a déjà été défendu par des penseurs indépendantistes, notamment Claude Morin, dans Les Prophètes Désarmés?*1 Le plan implique d’élargir la marge de manoeuvre de cette puissance souveraine, lui donner des possibilités de s’exercer en donnant aux Québécois le choix de vouloir autre chose qu’une législature provinciale.
Comme indépendantiste, nous n’avons pas cessé de dénoncer la manière du Fédéral dans un jeu dont toutes les règles sont truquées à leur avantage. Mais comme nous n’avons pas travaillé à établir un cadre institutionnel où puisse s’exercer la puissance souveraine de la nation québécoise, nous n’avons jamais privé l’adversaire de ses moyens de combat.
Le Fédéral règne sur une société sans pensée dominante et qui le restera. Son domaine c’est la quotidienneté des rapports de toute une société instituée par rapport à tous les citoyens qu’il présente comme étant son peuple. Il a d’ailleurs tout avantage à dépeindre l’indépendantisme comme un monisme versus le pluralisme dont la citoyenneté et la Couronne sont les gardiennes.
Briser le moule provincial et modifier les termes de l’affrontement
On est dans une situation d’affrontement où le Fédéral peut agir sur nous de manière à ce que la lutte soit pour nous impossible. La seule manière de s’en sortir est de poser à la pièce des choix au peuple québécois qui mène à une nationalisation progressive de l’Etat québécois. Plus de combat comme avant, donc, où la base de départ serait un débat ayant pour thème: Pourquoi la pensée indépendantiste devrait-elle devenir la pensée dominante et quel principe nous justifie d’y prétendre?
Non, on n’est pas dans le domaine des essences philosophiques. On est dans le domaine des actes d’existence d’une nation. En promulguant une Constitution nationale, on pose la liberté québécoise comme pierre d’angle et seul ressort légitime de tout appareil d’Etat en droit de prétendre la gouverner. En faisant une république, on fait un type particulier de gouvernement. On doit pousser le peuple québécois à choisir les juridictions de son gouvernement national; toujours l’idée de la puissance souveraine en exercice.
On nous accusera de vouloir en découdre avec le Fédéral alors qu’on veut seulement établir le théâtre propre à une nation maîtresse de ses choix. De fil en aiguille, on espère que cela donnera autre chose qu’une législature provinciale et par conséquent une rationalité institutionnelle qui serve de référence, induise une nomenclature et des comportements qui ne soient plus de l’ordre du système fédéral actuel.
Fixer les devoirs inhérents à l’exercice du pouvoir
L’exercice du pouvoir est un devoir. Dans le cas du Québec, ce devoir dépasse celui d’une législature provinciale. Bien que le Québec n’ait pas signé la Constitution canadienne, il est resté muet sur les devoirs inhérents à l’exercice du pouvoir au Québec. La Constitution nationale, la citoyenneté, la reconnaissance concrète de la nation québécoise, doivent fixer les normes, les résultats obligés de tout exercice du pouvoir au Québec.
Ainsi, tout parlementaire représentatif du Québec devrait souscrire à des principes intangibles comme l’intégrité de son territoire, son caractère de premier fondé de pouvoir de la nation, son rôle de protecteur de ses citoyens, le droit du peuple québécois à choisir son type de gouvernement.
Faire de la nation québécoise le premier arbitre de son gouvernement national, statuer que toute souveraineté dépend de son assentiment démocratique, fixer les règles pour que la nation québécoise soit reconnue comme entité unique, maîtresse de son sol, c’est un minimum. Ne pas vouloir le faire au nom de l’opposition stratégique entre fédéralistes et souverainistes, c’est de la démission.
André Savard
* 1 Cornelius Castoriadis, L’Institution Imaginaire de la Société, ed. Seuil. 1975
* 2 Claude Morin, Les Prophètes Désarmés?, ed. Boréal, 2001
Un effort de synthèse
Où est la pensée dominante?
On ne peut ni sauter les étapes ni s'évader dans l'imaginaire
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2 commentaires
Michel Guay Répondre
26 août 2008Paradoxalement pour dominer il faut contrôler nos impôts car c'est avec nos impôts que les fédéralistes d'Ottawa dominent au Québec en détournant nos fonds publics en commandites ce qui leur permet de dominer nos médias et ceci en nous laissant croire que tous nos malheur viennent de nous et non pas des canadians rroyalistes colonisateurs et de leurs collabos divisionnistes fondateurs de partis divisionnistes bidons .
La pensée dominante est divisionniste donc fédéraliste. Même Vigile est entièrement envahi par cette pensée dominante anti PQ
Archives de Vigile Répondre
19 août 2008Il y a un MAIS à votre approche. Tant que Power Corporation contrôlera l'opinion publique avec son chandelier à 7 quotidiens régionaux en association secrète avec Radio-Canada, les chances de succès de n'importe quelle stratégie sont presque nulles. Contrôler l'opinion c'est presque contrôler les élections. Le tripotage indirect la plupart du temps mais de plein fouet à l'occasion amène un pourcentage suffisant des voteurs à reculer devant le projet de pays et de parti. C'est donc à ce monopole de l'information qu'il faut déclarer la guerre et combattre continuellement les jpornalistes grassement payés pour tuer la projet national dans l'oeuf. Il faut 10 sites internet comme celui-ci pour faire la correction de la presse, qui pourtant défend la L'indépendance à l'étranger, des avocats du diable pour contrer l'influence néfaste du monopole actuel et ofrrir une mentalité de liberté et de réflection. Donc cessons de nous entretuer en faisant les vierges pures et ouvrons des fronts régionaux sur internet à notre tour.