Revoir le cadre réglementaire de l’industrie ferroviaire

Alors que l’Office des transports se penche sur la «couverture suffisante» des assurances d’un chemin de fer, une question demeure: qui pourrait acheter les actifs de Montreal, Maine and Atlantic?

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L’enfer est pavé de bonnes intentions

À la toute fin de son communiqué portant sur la suspension du certificat de Montreal, Maine and Atlantic (MMA), l’Office des transports du Canada a annoncé discrètement ce qui, pour plusieurs, semblait inévitable : l’examen des exigences en matière d’assurance responsabilité. Si la question qui sera étudiée cet automne est élémentaire - en échange d’un permis d’exploitation, jusqu’où doit s’assurer un chemin de fer ? -, la réponse pourrait être épineuse.

Pire encore, elle pourrait ne mener à aucun changement d’importance, croit un avocat de Calgary qui a écrit dans le Transportation Law Journal en 2007 que la sécurité du public canadien est mise à risque du fait que les mesures de prévention sont largement laissées entre les mains des compagnies ferroviaires. Une conséquence directe de la déréglementation, dit-il.

« J’imagine mal qu’il y ait, avec le gouvernement actuel du moins, un changement fondamental de ce régime d’autoréglementation et qu’on se retrouve avec un régime dont les règles prescrites viennent d’en haut », dit Wayne Benedict, avocat mais aussi ingénieur ferroviaire qui a conduit des trains pour BC Rail de 1994 à 2003. Il pratique le droit du travail.

Dans son article soumis au Transportation Law Journal, une revue financée par l’association américaine des avocats en droit du transport, M. Benedict rappelle que la déréglementation survenue à la fin des années 80 a laissé les compagnies s’occuper elles-mêmes de la sécurité. Il recense des dizaines d’accidents survenus au pays et revient sur l’évolution du cadre réglementaire. « Il est temps que le gouvernement reprenne le contrôle des obligations qui ont été confiées à l’industrie ferroviaire », écrit-il.

En suspendant le certificat d’aptitude de la MMA, l’Office des transports s’est expliqué en disant que l’assurance responsabilité de la compagnie n’était pas « suffisante ». La requête soumise par les avocats de la compagnie pour se placer à l’abri de ses créanciers signalait que celle-ci détenait une police d’assurance de 25 millions, mais que les obligations s’accumulaient très vite et que les ressources financières n’étaient manifestement pas au rendez-vous. Hier soir, l’Office a accepté de reporter la suspension du 20 août au 1er octobre sur la base de nouvelles informations. Les avocats ont demandé au juge de la Cour supérieure qui supervise le processus d’appliquer un scellé sur cette police, alors les détails sont peu nombreux.

Définir «couverture suffisante»

La loi mentionne néanmoins que, dans l’analyse d’une police d’assurance, l’Office doit tenir compte de 10 critères, dont le type de marchandises transportées, le nombre de passages à niveau, la formation des employés et la vitesse.

« Ce mot-là, “suffisante”, que veut-il dire ? demande Wayne Benedict. Est-ce que ça veut dire que la police d’assurance doit être assez grosse pour ramasser 100 % de la facture ? Ou est-ce une question de jugement de la part de l’Office ? Est-ce que c’est un pourcentage ? Qui sait ? Où est la règle stipulant que, faute d’une couverture suffisante, les membres du conseil d’administration sont tenus directement pour responsables en cas de faillite ? »

Ces considérations seront sans doute inscrites à l’ordre du jour dans l’examen de l’Office cet automne. À plus long terme, qu’adviendra-t-il du chemin de fer en question ? Qui voudra mettre la main sur cette ligne qui dessert les municipalités de l’Estrie et offre un accès direct vers le Nouveau-Brunswick, où se trouve la raffinerie d’Irving qui devait prendre livraison du convoi pétrolier de la MMA ?

Dans les forums de discussion sur Internet, animés par des passionnés du rail, plusieurs noms de compagnies circulent déjà, dont le Canadien Pacifique et Irving.

Un porte-parole du CP a dit au Devoir que l’entreprise ne commente jamais les rumeurs mais que, dans ce cas-ci, « il est important de dire que ce n’est pas vrai ». Du côté d’Irving, la direction n’a pas répondu à la question, mais une porte-parole a affirmé au Bangor Daily News qu’Irving, qui possède deux chemins de fer dans le Maine, « explore toutes les options pour assurer un service viable pour l’économie du Maine » et ajouté qu’elle ne ferait pas davantage de commentaires.

Et si c’était le gouvernement du Québec ? Le cabinet du ministre des Transports, Sylvain Gaudreault, affirme au Devoir que « ce n’est pas dans les cartons », mais que ce scénario a quand même été analysé.

Quel rôle pour le gouvernement?

Il y a un précédent récent. En 2007, le ministère des Transports (MTQ) a acquis des actifs appartenant au Chemin de fer du Québec Central, dont 220 kilomètres de rails qui vont de Charny (ouest de Lévis) à Sherbrooke. L’entente prévue de 10 millions portait aussi sur quatre bâtiments et une cour de triage. Ces actifs appartenaient à Jean-Marc Giguère, un homme d’affaires de la Beauce - propriétaire de la compagnie de camionnage Express Marco -, qui s’en était porté acquéreur en 2000.

« L’intervention du MTQ vise prioritairement à protéger le corridor ferroviaire ayant le meilleur potentiel d’utilisation dans les années à venir, de manière à pouvoir éventuellement bonifier l’offre de transport dans une région très dynamique sur le plan économique », avait alors affirmé le ministère.

« À court terme, le MTQ entend s’assurer du maintien de la desserte ferroviaire pour le seul expéditeur qui utilise actuellement ce chemin de fer. Par la suite, le MTQ envisage de lancer un appel de propositions afin de trouver des entreprises intéressées à exploiter le réseau. »

Aujourd’hui, M. Giguère continue de faire circuler des trains, mais seulement entre Charny et Saint-Lambert-de-Lauzon. La flotte est de huit locomotives et les wagons, qui transportent du grain, sont loués. L’entente prévoit qu’en qualité d’opérateur privé, il verse à Québec une somme d’argent pour l’usage du chemin de fer en fonction du nombre de wagons qui passent.

Les régions peuvent-elles vivre sans chemin de fer ? « C’est du cas par cas. L’Estrie a toujours eu une dépendance au chemin de fer, qui est arrivé avant qu’il y ait du monde », dit Claude Martel, président de l’Institut de recherche sur l’histoire des chemins de fer au Québec.

« Les villes, les usines se sont établies autour, et l’organisation du transport, de l’approvisionnement, en a toujours un peu dépendu. La Côte-Nord, de son côté, s’est organisée autrement, raconte M. Martel. Mais en gros, je dis que, quand on dépasse des distances de 700 kilomètres, ça peut prendre un chemin de fer. À Magog, par exemple, une entreprise de produits chimiques qui reçoit six ou sept wagons par semaine, elle a absolument besoin de ça. Alors, pour la suite de MMA, on ne peut pas laisser ça en plan. »

Si le CP reprenait la ligne, dit-il, il y aurait des investissements importants à faire dans l’infrastructure, qui est délabrée et dont des tronçons sont limités à 16 km/h. M. Martel n’exclut pas non plus l’entrée en scène du ministère des Transports. Sinon, il mentionne le groupe américain Genesee Wyoming, qui possède notamment le chemin de fer Québec-Gatineau et qui a une bonne réputation.

Le propriétaire du Chemin de fer Québec-Central croit que le gouvernement a un rôle central à jouer. « Une route ferroviaire doit être la propriété de l’État, dit Jean-Marc Giguère. L’État l’entretient et les compagnies qui s’en servent paient un loyer. C’est comme ça dans le Vermont et dans d’autres États. Dans mon cas, Québec a fini par comprendre. »


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