«Est-ce que l'être humain peut se réincarner après la mort?» Cette question n'a pas été posée dans une réunion secrète d'une vague secte ésotérique. Elle n'est ni le fruit de l'esprit égaré d'un adorateur de la flamme violette ni sortie d'un petit catéchisme de bouddhisme tibétain. Croyez-le ou non, elle a été formulée afin d'évaluer le niveau des élèves qui ont suivi le cours d'éthique et de culture religieuse du Québec. Voilà ce que nous révélait la semaine dernière une série d'articles du Devoir faisant notamment le bilan de ce nouveau cours.
Des examinateurs, qu'on imagine être parmi les esprits les mieux formés en la matière, ont donc jugé bon de demander aux élèves si la réincarnation, un concept par ailleurs étranger à la culture occidentale, était possible. Ils n'ont pas demandé comment les religions orientales ou animistes considéraient la réincarnation. Ils n'ont pas voulu savoir si la réincarnation avait sa place dans les grandes religions monothéistes ou quelle forme elle prenait dans les légendes amérindiennes. Ces questions auraient permis d'évaluer les connaissances des élèves. Mais on sait que l'évaluation des connaissances répugne aux nouveaux programmes. Ne reculant devant rien, ces examinateurs ont donc purement et simplement demandé aux élèves si la réincarnation avait un sens. On imagine que, la prochaine fois, ils leur demanderont si l'Immaculée Conception est possible, si les miracles sont avérés et, pourquoi pas, si Dieu existe!
Cet exemple est loin d'être isolé. Dans d'autres écoles, on a demandé à des élèves du primaire de décliner publiquement leurs croyances sans égard pour ceux qui n'en avaient pas ou qui ne savaient pas. On a aussi demandé à des élèves du secondaire d'inventer de toutes pièces une religion, ridiculisant du coup ce qui relève d'un héritage millénaire digne du plus grand respect. Passons sur ces enseignants qui ont proposé de redessiner le fleurdelisé sans la croix pour le rendre plus «inclusif». Sans parler de la part congrue, sinon inexistante, faite aux philosophies athées et agnostiques. Est-il besoin d'autres exemples pour comprendre que le cours ECR ouvre la porte toute grande à la violation de la liberté de conscience des élèves et des familles?
Il n'est donc pas surprenant que le juge Gérard Dugré ait statué cette semaine que l'obligation de dispenser ce cours violait la liberté du collège Loyola, qui est un collège catholique. En cela, le juge n'a pas tort. Pourtant, son jugement est loin de clarifier véritablement les choses. Le juge Dugré ajoute en effet à la confusion lorsqu'il reproche à l'État d'imposer une perspective laïque aux écoles confessionnelles.
Une étude plus serrée lui aurait permis de découvrir que le cours ECR est tout sauf laïque. En effet, sa philosophie générale viole littéralement les droits des non-croyants en accordant un statut particulier aux religions, rejetant dans les limbes toutes les autres formes de spiritualité. Pour ses concepteurs, les religions ont «le monopole du sens», pour reprendre les mots de l'écrivain Régis Debray. Mais le cours viole aussi les droits des croyants dans la mesure où il prêche ouvertement un relativisme culturel inacceptable. Selon les concepteurs du cours ECR, toutes les religions se valent. La conclusion logique, c'est qu'il n'y a donc pas de vérité révélée, mais plusieurs vérités toutes équivalentes. Les croyants ont toutes les raisons d'être choqués.
Un cours respectant strictement la laïcité s'abstiendrait de traiter des croyances personnelles. Afin de s'en assurer, il n'aborderait les religions que dans le cadre de disciplines bien établies, comme l'histoire, la géographie, les arts ou la littérature. Jamais les croyances personnelles ne seraient ainsi mises en cause.
Faute de distinguer la laïcité du relativisme culturel, le jugement Dugré se trompe à un autre titre. Il erre même complètement lorsqu'il affirme qu'une école privée confessionnelle subventionnée par l'État devrait avoir le droit de faire prévaloir sa vision religieuse dans toutes les matières. Ce faisant, le juge met la table pour les créationnistes qui demanderont des modifications aux cours de sciences. Il déroule le tapis rouge aux intégristes musulmans qui ne voudront pas que l'on parle d'Israël en histoire ni que leurs enfants soient exposés à des nus impressionnistes. Ceux qui croient qu'il suffit d'un simple accommodement avec le collège Loyola ne comprennent pas dans quel engrenage infernal ils nous entraînent.
Avec de telles propositions, ils donneront bientôt des arguments à ceux qui veulent interdire à l'État de subventionner les écoles religieuses. Pourtant, même dans un pays aussi laïque que la France, l'État soutient les écoles privées. Mais il le fait en échange du respect strict des programmes nationaux, programmes qui, contrairement au cours ECR, respectent intégralement la liberté de religion et plus généralement la liberté de conscience.
Ceux qui se demandaient vers quel abîme de confusion nous entraîne la laïcité prétendument «ouverte» trouveront dans cet exemple une illustration éclatante. Loin d'apaiser les tensions, la prétendue tolérance du cours ECR ne fait que les attiser. Et la saga ne fait que commencer.
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crioux@ledevoir.com
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