Dans le guêpier afghan

L’implication du Québec en Afghanistan est un de ces nombreux exemples du statut d’inexistence dévolu à la nation québécoise

Chronique d'André Savard


La nation canadienne s’est engagée dans une guerre à Kandahar en Afghanistan et... la nation québécoise aussi. Cela va de soi puisque la politique étrangère est de juridiction fédérale. Il y a bien eu des députés du Québec pour voter dès le départ leur soutien à la mission afghane mais, étant de partis fédéralistes, ils étaient biaisés. Ils approuvent l’incapacité du Québec à servir une politique étrangère qui lui soit propre.
Personne n’a demandé à la nation québécoise quel devoir moral elle préférait assumer à l’étranger. Le Bloc Québécois a eu le courage de le réclamer. Tous les partis fédéralistes, comme à leur habitude, se sont vantés de ne pas écouter le Bloc. Ils ont répété avec tout le sérieux du monde qu’ils n’écoutaient que des Québécois élus au sein de formations fédéralistes. Aussi bien dire qu’on ne tend l’oreille qu’à un chœur de répétiteurs de la politique canadienne.
La question n’est pas de savoir si l’Afghanistan a besoin d’aide. Parmi les pays les plus pauvres de la planète, menacés par l’intégrisme, soumis à un régime de castes tribales qui prisent fort ce concept que l’on peut se sanctifier par la guerre, flanqués par le Pakistan, tous les facteurs endogènes et exogènes montrent une combinaison sociale explosive.
Ce n’est pas d’un simple effort de reconstruction dont l’Afghanistan a besoin. Pour vraiment prémunir l’Afghanistan contre les Talibans, il faudra que soit surmontée la structure sociale basée sur la féodalité puis l’avènement d’élites issues d’un système d’éducation complet, non pas d’écoles coraniques guidées par une seule idée fixe. Ceci implique une évolution sociale en profondeur sur au moins deux générations.
Pour justifier l’implication du Québec en Afghanistan, on nous dit que le Québec ne peut indéfiniment se confiner dans une vie de représentation et qu’il doit faire un effort sur le terrain. Or le Québec n’a pas pu se demander une seconde où il se sentait le plus utile, ni se fixer des priorités, ni savoir s’il ne désirait pas davantage investir ses forces dans un pays d’Afrique francophone par exemple. L’implication du Québec en Afghanistan est un de ces nombreux exemples du statut d’inexistence dévolu à la nation québécoise.
La ministre Christine St-Pierre écrivait, avant son engagement en politique, que les femmes afghanes devaient être sauvées par le Canada de l’emprise d’une société barbare et phallocrate. En fait, dans chaque village, la majorité des familles forme un petit filet phallocrate. Il s’agit d’un conditionnement social profond. La jeune femme sert souvent de base de rapprochement dans des mariages arrangés entre clans de villages voisins.
Le Canada n’est pas d’abord en Afghanistan parce qu’il espère que les femmes afghanes aient un jour une vie qui leur soit propre. Si jamais cette possibilité apparaît, cela fait partie des effets collatéraux bénéfiques. Les Etats-Unis, comme on sait, ont envahi l’Afghanistan car ce pays était vu comme une base d’entraînement d’Al Quaïda. L’effort s’est poursuivi dans la foulée irakienne en se fondant sur l’idée qu’on pouvait installer la démocratie sur un continent.
On prenait en exemple l’Europe juste après la seconde guerre mondiale ou la Russie quarante ans plus tard. Il va pourtant de soi que ni la France ni l’Italie n’avaient un tissu social comparable à celui de l’Irak ou de l’Afghanistan. À notre grand désarroi nous avons entendu sur Fox des conseillers du président George Bush dire que la démocratie était partie de l’Angleterre, avait gagné les Etats-Unis. Ensuite ce grand pays était allé l’essaimer en Europe grâce aux bons offices d’une armée héroïque et qu’il allait faire de même au Moyen-Orient.
L’Afghanistan est dominé par des roitelets? Eh bien, la France avait bien connu Napoléon. C’est par ces parallèles tordus que les stratèges américains ont fini par se convaincre que cinq ans d’occupation militaire et un plan de reconstruction qui promet la prospérité, soit un marché local qui offrira dix fois son poids actuel de pastèques et de carottes, viseront le but aussi efficacement que ce fut le cas au Japon quarante ans plus tôt.
On peut bien souhaiter l’émancipation des femmes afghanes mais il faut d’abord s’étonner de la simplicité cynique avec laquelle on pose le problème. On doit noter tout autant la vanité intéressée avec laquelle on attribue, avec une symétrie parfaite, l’évolution de la démocratie dans le monde aux efforts d’un contentieux anglo-saxon. Et pour ceux qui pensent que la nation québécoise est plus importante que la survie des partis politiques fédéralistes, on doit noter l’absence de la nation québécoise dans un processus qui l’implique directement. On voit des soldats d’origine québécoise s’envoler en arborant le drapeau canadien à titre de renforts dans une armée qui, selon la propagande officielle, doit remplacer un Isme, l’islamisme, contre un autre isme, le démocratisme...
Il n’y a pas eu le moindre traité, le moindre accord formel avec la nation québécoise pour signifier son accord. On peut très bien y couper, paraît-il, parce qu’on laisse faire dans un but déterminé, la démocratie ou la politique étrangère canadienne, ou les droits de la femme, sur quoi tout le monde peut être d’accord en vrac, autant les gars de chez nous que les autres. Notre nation participe à une armée en guerre sans être dûment représentée, sans que son accord ne soit sollicité non plus; tout cela n’a pas à s’effectuer sous un contrôle provincial.
Ensuite on se fait sermonner à propos de l’angélisme québécois. On reproche à l’opinion publique québécoise de ne pas être trop chaude à l’idée de s’impliquer dans des entreprises qui échappent à son contrôle. On nie même en bloc ce manque de contrôle infligé à notre nation. Après tout, le Québec possède des représentants dans toutes les entreprises fédérales, de l’armée aux grands partis fédéralistes, soutiennent, comme il se doit, les fédéralistes.
C’est l’inverse qui est vrai. Le Québec ne possède pas de représentants. Ce sont les corps fédéraux, armées, fonctions politiques, partis politiques susceptibles de prendre les rênes du pouvoir, dont les organes possèdent des représentants d’origine québécoise.
Dussent-ils, ces Québécois, que l’armée, la fonction publique, les partis politiques possèdent, cesser de fermer leur clapet, ils n’ont a rien à défendre, rien à faire valoir. La nation québécoise n’est pas autorisée à planifier et à penser en son nom propre en dehors des juridictions qui lui sont octroyées. C’est de l’ordre du système et on pense que l’ordre du système c’est la réalité, la seule possible.
André Savard


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    3 août 2007

    Bonjour. J'ai lu votre article et je me demande encore si vous êtes POUR OU CONTRE la présence militaire canadienne en Afghanistan ?
    Pour le reste, il est évident que la seule motivation de notre présence à tous là-bas est économique. Dans le sens de libérer le marché et le rendre accessible aux grosses corporations qui financent cette opération d’une certaine façon et qui veulent élargir leur réseau de consommateurs. Libérer les femmes ? Et les droits des hommes alors ? Allons donc, les vraies raisons sont d'étendre le régime capitaliste et de forcer les gens à se conformer à la règle mondiale du commerce.
    L'économie démocratique, la seule façon que les personnes humaines pourraient appliquer les vraies règles de la démocratie et protéger leurs libertés individuelles n'existe pas ici et elle n'existera pas non plus là-bas.
    Si nous voulions vraiment aider l'Afghanistan, nous aurions acheté à bon prix leur dope depuis des lunes, elle vaut de l’or pour eux et pour nous. On en a besoin pour les médicaments peu coûteux mais c'est pas d'même que ça marche dans le régime capitaliste. Merci.