Photo : Flickr specialkrb
« Plus c’est cher, plus c’est populaire! » Voilà le titre et le leitmotiv du dernier texte d’André Pratte, l’éditorialiste de droite de La Presse. S’appuyant sur de nouvelles données de Statistique Canada, il s’échine à démontrer, à l’encontre de toute forme de logique économique, que la hausse des frais de scolarité n’aurait pas d’incidence sur la fréquentation des universités. Pure malhonnêteté intellectuelle.
En effet, s’il est vrai que la fréquentation universitaire est en hausse presque partout au pays, passant notamment au Québec de 250 809 en 2002-2003 à 268 011 en 2007-2008, cela ne signifie pas pour autant que cette hausse soit tributaire du dégel des frais de scolarité. Ce que ne montre pas André Pratte, c’est que la hausse de fréquentation a surtout eu lieu entre 2002 et 2005. La hausse des frais de scolarité ayant été imposée en 2005, on a pu observer la première diminution du nombre d’étudiants québécois inscrits au premier cycle universitaire depuis l’an 2000, passant de 187 464 à 187 242 l’année suivante. ((Statistique Canada, Tableau 477-00131, Effectifs universitaires, selon le régime d’études, le niveau d’études, la Classification des programmes d’enseignement, regroupement principal (CPE_RP) et le sexe, annuel (nombre) )) En considérant les chiffres depuis 2002, M. Pratte camoufle ainsi une partie de la vérité.
Par ailleurs, l’éditorialiste de la rue Saint-Jacques met beaucoup d’emphase sur la hausse de fréquentation des universités en Ontario et en Colombie-Britannique, deux provinces où les frais imposés ont augmenté au cours des dernières années. Ce qu’il oublie de dire, cependant, c’est que la population âgée de 20 à 29 ans de ces deux provinces a explosé durant cette période, augmentant de 9,4% en Ontario et de 11,3% en Colombie-Britannique. Même au Québec, celle-ci a augmenté d’un peu moins de 2%. ((Statistique Canada, Tableau 051-00011, Estimations de la population, selon le groupe d’âge et le sexe au 1er juillet, Canada, provinces et territoires, annuel (personnes) )). Est-il surprenant qu’un plus grand nombre de jeunes dans la vingtaine signifie une plus grande fréquentation de l’université?
Parallèlement, le Nouveau-Brunswick, province où les frais de scolarité sont les plus élevés au pays, a vu sa population de jeunes dans la vingtaine diminuer de 6,7% de 2002 à 2008, passant de 98 574 à 92 016 individus. Faut-il se surprendre si le Nouveau-Brunswick a connu une baisse significative de près de 4% ses effectifs universitaires?
On le constate, le facteur démographique n’est pas à négliger lorsqu’il est question de comprendre pourquoi les universités sont de plus en plus fréquentées. Il est facile, tout comme le fait André Pratte, d’affirmer bêtement que hausse des frais de scolarité et hausse de la fréquentation universitaire prouvent qu’il n’y a pas de lien entre les variables, mais cette affirmation n’a pas davantage de sens que cette vieille blague consistant à affirmer que la baisse de l’utilisation du spirographe suite aux années 60 a coïncidé avec une hausse du crime et des violences urbaines. On ne peut pas ignorer qu’il y a de plus en plus de jeunes en âge de fréquenter l’université, tout simplement. Ce n’est pas parce que deux variables évoluent dans un même sens qu’elles sont reliées pour autant.
De la même manière, n’y a-t-il pas une tendance lourde dans notre société à exiger des diplômes universitaires? Auparavant, on pouvait entrer dans une entreprise et y gravir les échelons; aujourd’hui on veut le diplôme, et c’est tout ce qui importe. L’attrait universitaire est indéniable: combien de jeunes prive-t-on de cet accès à cause de frais de scolarité trop élevés?
Contrairement à ce qu’affirme Pratte, l’expérience nous contraint à être prudents lorsqu’on hausse les frais de scolarité. En 1990-1991 et 1991-1992, les frais de scolarité, à l’échelle canadienne, se sont accrus de 15,2% et 16,% respectivement. Le nombre d’étudiants a chuté drastiquement, passant de 677 157 en 1992 à 668 535 l’année suivante, puis 658 284 en 1994-1995 et jusqu’à 633 018 en 1997-1998. En fait, il a fallu attendre le début des années 2000 pour qu’il y ait autant d’étudiants qu’avant les hausses des frais de scolarité. ((Statistique Canada, Tableau 477-00131, Effectifs universitaires, selon le régime d’études, le niveau d’études, la Classification des programmes d’enseignement, regroupement principal (CPE_RP) et le sexe, annuel (nombre) ))
En fait, cela fait du sens: si l’université possède aujourd’hui un fort potentiel d’attraction sur les jeunes, cela ne doit pas nous faire oublier que toute hausse des frais de scolarité entraîne des conséquences. Et celles-ci sont graves: on gaspille le potentiel d’étudiants n’ayant peut-être pas les moyens de s’endetter et on prive la société de leur apport.
Car quoi qu’on en dise, l’éducation est une richesse. Et celle-ci devrait être accessible à tous, pas seulement à ceux qui ont les moyens de se la payer. Le fait que le nombre d’universitaires soit en hausse ne signifie donc pas que les majorations des frais de scolarité soient sans conséquence, mais seulement que le nombre d’étudiants aux études supérieures serait de loin supérieur si on rendait celles-ci accessibles à tous. C’est avant tout une question démographique, ce que ne semble pas comprendre André Pratte.
Éditorialiste à La Presse, voilà tout de même un endroit où le diplôme universitaire ne semble pas obligatoire…
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