L’heure de la démondialisation

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Le libre-échange a-t-il été un plus pour le Québec ?

Je suis une victime du libre-échangisme. Ce printemps, en lisant les nouvelles qui rapportaient la volonté de Donald Trump de résilier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), j’étais un peu inquiet. Je me disais qu’il ne pouvait pas faire ça, que ce serait vraiment mauvais pour notre économie.


Dans les années 1980, quand le débat sur le libre-échange a vu le jour au Canada sous le règne de Brian Mulroney, j’étais pourtant, avec les syndicats et les penseurs de gauche de tout le pays, contre ce projet. Trente ans plus tard, voilà que je m’inquiétais de voir le libre-échange menacé. Si Trump était contre, ça devait être bon. La propagande néolibérale et mondialiste, même si je la connais et même si j’essaie de la combattre, avait fait son chemin en moi.


C’est fort, quand même, n’est-ce pas ? On nous a fait croire que, sans tous ces accords de libre-échange, nous allions être exclus du grand jeu mondial et relégués à la banlieue éloignée de la prospérité. Au Québec, les ténors souverainistes ont entonné ce refrain avec entrain, en voyant dans ce courant une occasion de se libérer de la tutelle du Canada.


Tous ces traités, presque toujours négociés en catimini, étaient bons pour nous, disait-on. S’y opposer, clamait même, en 2016, Pierre Marc Johnson, représentant du Québec dans les négociations d’un traité de libre-échange entre le Canada et l’Europe (AECG), revenait à adopter l’attitude des climatosceptiques. « Le libre-échange est toujours positif », déclarait Carlos Leitão, ministre des Finances du Québec, en 2015.


Dans Despotisme sans frontières (VLB, 2018), le sociologue souverainiste Simon-Pierre Savard-Tremblay propose un énergique contrepoison à cette propagande. Partisan de la démondialisation, un « emballant projet d’agencement entre la restitution des souverainetés nationales et un internationalisme intelligent », il signe un convaincant réquisitoire contre l’idéologie de la mondialisation et du sans-frontiérisme, qu’il qualifie d’« intrinsèquement antidémocratique ».


Le libre-échange, explique-t-il, « se présente comme la libération intégrale du consommateur, à qui on vend les différents accords comme une victoire pour son portefeuille ». Pour arriver à ce paradis de l’Homo oeconomicus, cependant, les États doivent accepter d’« être mis sous tutelle par des accords de plus en plus serrés où il ne s’agit plus tant de stimuler le commerce entre les pays, mais [sic] de transformer tout en marchandise, des services publics à la culture en passant par l’environnement et, bien entendu, le travail ».


Les premiers accords de libre-échange visaient seulement l’abaissement des droits de douane sur les marchandises. Ceux d’aujourd’hui (ALENA, AECG) vont nettement plus loin et concernent aussi les « barrières non tarifaires », avec pour objectif d’abolir toute entrave au commerce dans tous les domaines. Ils forcent ainsi les États à uniformiser leurs lois et à se priver de tout pouvoir d’intervention en la matière, sauf s’il s’agit de « construire un environnement optimal pour attirer et garder les investisseurs étrangers ».


Résultat ? « Pas de réglementation ou de fardeau fiscal trop lourds, un Code du travail peu contraignant, des infrastructures publiques à la disposition du capital, et même un système d’éducation entièrement dévolu à la formation d’une main-d’oeuvre adéquate », résume Savard-Tremblay, en insistant sur le déni de démocratie que cela représente. Un État veut soutenir la production locale ou imposer des normes sanitaires spécifiques ? Il ne le peut plus, sous peine d’être poursuivi par des investisseurs.


Uniformisation culturelle


« L’utopie du sans-frontiérisme, s’insurge le sociologue, entend diluer l’État national et faire des territoires, non plus des lieux chargés d’histoire censés transmettre un héritage commun, mais des bases d’investissements en concurrence. » Sa logique s’accompagne du dogme de la croissance illimitée, du mépris des ravages environnementaux et du rouleau compresseur de l’uniformisation culturelle. Quand tout le monde parlera anglais et consommera des produits culturels mondialisés sur Netflix, les résistances nationales au règne du commerce seront enfin chose du passé.


À cette idéologie déshumanisante qui ne profite qu’à une petite coterie, Savard-Tremblay oppose l’urgence de la démondialisation, le retour à des États nationaux forts, capables d’agir souverainement « sur leur sort économique, écologique, culturel et politique » et de collaborer librement entre eux, « tant que le contrôle démocratique sur ces décisions politiques est entier ».


> La suite sur Le Devoir.



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