L'indifférence démocratique

Dérives démocratiques - la société confrontée à sa propre impuissance

À 48 heures du début des élections européennes qui doivent renouveler le Parlement de Strasbourg, la seule grande question que se posent les analystes n'est pas qui de la droite ou de la gauche l'emportera, mais quel sera le taux d'abstention. Celui-ci passera-t-il en dessous de 55 %, le record de la dernière élection tenue en 2004?
Ces dernières semaines, la presse européenne s'est empressée de dresser la carte géographique du désintérêt que suscitent ces élections. La palme du manque de civisme appartient à la Pologne, à la Slovaquie et au Royaume-Uni où seulement un peu plus de 15 % des électeurs comptent se déplacer. À l'autre bout du spectre, les Irlandais et les Belges semblent faire preuve de plus de sens civique. En apparence seulement! Car il faut savoir que l'Irlande jumelle l'élection européenne à des scrutins locaux et qu'en Belgique, le vote est obligatoire sous peine d'amende. Entre les deux se trouve la France, où une lente érosion a eu tendance, avec les années, à ramener la participation sous la barre des 40 %.
Partout, les électorats semblent regarder ailleurs que vers Bruxelles. Les enjeux nationaux priment partout. En Grande-Bretagne, le scandale des notes de frais des députés est au coeur de l'élection. En Allemagne, c'est la campagne des élections législatives, qui auront lieu en septembre, qui prime. Dans une Hollande déchirée sur les effets de l'immigration, l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne suscite une vive polémique. En Irlande, l'électorat semble vouloir profiter de l'occasion pour sanctionner le premier ministre, Brian Cowen. Autrement dit, on ne voit pas l'ombre d'un véritable débat commun.
En France, Nicolas Sarkozy a remis l'insécurité à l'ordre du jour. Une vieille recette qui fait mouche à chaque campagne. Si l'on se fie aux sondages, l'UMP aurait une avance de six points sur les socialistes. Ceux-ci pourraient même enregistrer un de leurs plus mauvais résultats historiques. S'ils devaient passer sous les 20 %, le leadership de la nouvelle première secrétaire, Martine Aubry, serait sérieusement ébranlé.
Un peu partout, c'est la crise qui mobilise les esprits. Bruxelles, c'est bien beau pour réglementer le prix du téléphone et la température des étals de bouchers, mais pour se protéger des conséquences immédiates de la récession, rien ne vaut le bon vieil État-nation. Et pourtant, les économistes savent tous que les Européens ont été protégés des effets de la crise par leur marché unique. Dans la zone européenne, les conséquences de la récession ont été plus tempérées qu'ailleurs. L'euro, décrié pour avoir fait monter les prix, a littéralement sauvé plusieurs pays des dévaluations en cascade, sinon de la faillite.
L'Islande, qui est au bord du gouffre financier, songe sérieusement à demander son adhésion à l'Europe. Même cet exemple éloquent ne semble pas suffisant pour convaincre les électeurs de se déplacer. Les prérogatives du Parlement européen se sont pourtant accrues avec le temps. Celui-ci est aujourd'hui responsable de 20 à 30 % des lois des pays membres, surtout dans les domaines de l'environnement, de la concurrence et de la protection des consommateurs. Mais, il s'agit toujours d'un demi-Parlement puisque le système complexe de codécision européen préserve le rôle déterminant des pays membres regroupés au sein du Conseil européen. Heureusement d'ailleurs, puisque ceux-ci demeurent le seul lieu d'exercice véritable de la démocratie.
Le pouvoir restreint des eurodéputés est patent. Quoiqu'il arrive dimanche, les pays se sont déjà entendus entre eux pour renouveler le mandat de l'actuel président de la Commission européenne. Le Parlement pourrait même être de gauche, ce que personne ne prédit, que Jose Manuel Barroso serait réélu par les 21 pays (sur 27) qui sont dirigés par des gouvernements de droite. Il faut dire que la gauche ne s'est mise d'accord sur un candidat alternatif que la semaine dernière.
Au fond, l'Europe ne s'est toujours pas remise des «non» néerlandais, français et irlandais au projet de constitution européenne. Son état de santé ne s'est guère amélioré avec la décision de faire revoter les pays récalcitrants sur un mini-traité, le traité de Lisbonne. La France s'y est prise par des moyens détournés en confiant la tâche au Parlement afin d'éviter un nouveau référendum. En Irlande, on devrait revoter en octobre. Cette séance de tordage de bras ne passera pas à l'Histoire comme un grand moment de démocratie européenne. Peut-être même faudrait-il parler d'une démocratie de pacotille. L'électorat l'aura peut-être compris.
L'échec du traité constitutionnel, en 2005, avait pourtant bien montré que les peuples n'étaient pas satisfaits de la tournure que prenait l'Europe depuis l'élargissement et qu'ils ne souhaitaient pas d'une Europe plus fédérale. Du moins, pas pour l'instant. Au lieu de tourner la page, d'abandonner les projets de réformes structurelles et de passer à autre chose, Bruxelles a préféré continuer à discuter de plomberie constitutionnelle. Comme si les eurocrates n'avaient toujours pas digéré la sanction populaire de 2008 et qu'ils entendaient toujours en faire à leur tête. On ne pouvait pas trouver de meilleure recette pour faire grimper l'abstention.
crioux@ledevoir.com


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->