Option nationale: que du flou! / Option nationale ou Option provinciale?

Dans un document de quelques pages, on utilise sept fois le mot « davantage ». C’est tout à fait flou et imprécis.

Option nationale - Jean-Martin Aussant


Option nationale, la nouveau parti de Jean-Martin Aussant, vient de lancer sa plate-forme. Si on y trouve des idées intéressantes, il s’agit également d’un ramassis d’approximations et d’à peu près qui ne sont pas sans nous faire penser aux idées défendues par le Parti Québécois. En parcourant ce document, le lecteur en vient presque à se demander: « Tout ça pour ça? ». Quelques points, en vrac. Les parties qui sont en gras sont de moi.

2.1 Fera en sorte que l’État québécois soit maître d’œuvre de tout développement de nos ressources naturelles par le biais d’une nationalisation, en collaborant avec le secteur privé pour l’exploration, l’extraction et la distribution. Pour chaque projet qu’il autorisera, c’est le gouvernement du Québec qui décidera de la répartition des revenus et de la structure de propriété – création d’une société d’État, possibilité d’un régime épargne-actions (REA), part des firmes privées, etc. En toute circonstance, la majorité des profits dégagés par l’exploitation de nos ressources naturelles reviendra dorénavant à la population du Québec. Cette politique s’appliquera particulièrement aux secteurs minier, forestier et des hydrocarbures.

J’aimerais qu’on m’explique de quelle manière on peut nationaliser en « collaborant » avec le secteur privé. Le privé n’a pas le moindre intérêt à « collaborer »; le privé est là pour faire de l’argent. Il s’agit ici d’une manière élégante pour Aussant de ménager la chèvre et le chou. On va nationaliser… oui, mais avec le privé. C’est un peu comme si on disait: on va gérer l’abattoir avec la collaboration des poulets! Ce n’est pas sérieux.
2.17 Favorisera l’établissement de sièges d’organisations internationales à Montréal et Québec.

« Favorisera ». Comment? Va-t-on continuer à dilapider les fonds publics pour donner des crédits d’impôts à des entreprises hyper-rentables? Tout le monde est pour la vertu, mais ce « favorisera » est tout à fait imprécis et flou. Il ouvre la porte à n’importe quoi et à son contraire.
3.4 Reverra graduellement le financement des réseaux d’éducation francophone et anglophone afin qu’il corresponde davantage au poids démographique respectif de chaque groupe. Le financement des établissements privés sera également revu afin de renforcer le principe d’un réseau d’éducation universel, public et laïc au Québec.


Tous mes lecteurs savent que la fin du sur-financement des universités de langue anglaise constitue une de mes plus grandes priorités. Or, est-ce que Aussant propose ici de faire équivaloir le financement au poids démographique de la minorité de langue anglaise? Pas du tout! Il propose de le faire correspondre « davantage ». En clair, en ce moment les universités de langue anglaise reçoivent 29,3% du financement (pour une minorité anglophone historique de 5,6%), et si on ramenait ce financement à 28% on aurait respecté la promesse de le faire « davantage » correspondre. De la même manière, si je proposais d’en faire davantage pour l’itinérance, j’aurais respecté ma promesse en remettant une cenne noire au premier itinérant croisé. Ce n’est pas sérieux. Ou bien on fait correspondre le financement au poids démographique ou on ne le fait pas! Aussant démontre que lui, tout comme le PQ, n’a pas l’intention de s’attaquer aux privilèges de la minorité de langue anglaise.
En fait, à propos de la langue, Option nationale n’a pas repris une seule des revendications du Mouvement Québec français. On voit bien que ce n’est pas une réelle priorité pour Aussant et qu’il n’a pas l’intention de travailler en équipe avec les organisations en place.
3.6 Renforcera l’enseignement de l’histoire nationale et politique du Québec au niveau secondaire et instaurera un cours obligatoire d’histoire au collégial.

Encore une fois, « renforcera » est un mot flou qui n’indique pas les réelles intentions. Va-t-on donner deux cours de plus? Si oui, quels autres cours coupera-t-on? Sinon, va-t-on augmenter les heures de classe? Qui va payer pour ça? Combien ça coûtera? Amateurisme.
3.8 Préparera davantage les étudiants du secondaire à la vie sociale et économique par une meilleure introduction au fonctionnement du système de justice, des organismes de l’État et du monde politique, des institutions économiques – incluant les coopératives et mutuelles – et par une initiation à toutes les formes d’entrepreneuriat et d’engagement à la vie en société.

« Davantage ». Encore.
6.2 Reverra le mode de scrutin afin d’y insérer une composante de proportionnalité.

Une « composante ». Quelle composante? Quel niveau de proportionnalité? Va-t-on sacrifier le poids des électeurs de Gaspé, de Baie-Comeau ou de Val d’Or, pour augmenter celui de la région métropolitaine, beaucoup plus nombreuse? On ne le dit pas.
6.5 Restreindra l’accès des lobbys aux instances gouvernementales.

Comment?
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Dans un document de quelques pages, on utilise sept fois le mot « davantage ». C’est tout à fait flou et imprécis.
Pire: on ne parle pas du tout d’économie. On propose la gratuité scolaire, « davantage » de cours d’histoire, une commission d’enquête, une électrification des transports collectifs, l’Internet haute-vitesse pour tous, un fonds d’indemnisation universel de l’AMF, l’instruction obligatoire jusqu’à 18 ans, un deuxième cours de langue au secondaire, une formation de perfectionnement pour les travailleurs, un cours d’éducation physique à tous les jours à l’école (le lecteur attentif notera que ça commence à faire beaucoup de cours supplémentaires pour les mêmes élèves), une augmentation des budgets alloués à l’éducation, un accès de tous les Québécois à un médecin de famille, un budget pour la protection des langues autochtones, des incitatifs fiscaux pour développer « l’offre culturelle québécoise » (sic), des budgets pour inciter les jeunes à la culture, le financement public des partis politiques, un rehaussement des seuils de l’assurance-juridique; comment va-t-on se payer cela? Ce ne sont pas de mauvaises idées. Mais la question qui tue: on prend l’argent où? Est-ce qu’on l’imprime? Est-ce qu’on vole une banque? On se paie ça comment?
Je ne dis pas que ces mesures soient impossibles à se payer. En fait, je crois qu’on pourrait le faire. Mais ça impliquerait de hausser les impôts des mieux nantis (on n’en parle pas), des entreprises (on n’en parle pas), de sortir de l’ALÉNA (pour éviter que les entreprises fuient nos impôts en délocalisant vers le Mexique), de défier l’OMC et le FMI, etc.
Bref, Jean-Martin Aussant se promène en hélicoptère et il lance de l’argent par la porte ouverte.
Ce n’est pas crédible.
En fait, et malgré plusieurs idées intéressantes dans ce programme, on a l’impression qu’il a été écrit sur un coin de table par des cégépiens. Beaucoup de rêves, mais pas de concret. Beaucoup de dépenses, peu de revenus. Beaucoup de promesses floues, peu d’engagements fermes.
Il serait temps de sonner la fin de la récréation et de renvoyer les « gros cerveaux » qui ont écrit ce document (selon les propos d’Aussant sur sa page Facebook) à leur table à dessin et de réécrire une plate-forme crédible non pas basée sur du pelletage d’argent et des approximations, mais sur du concret.
Sinon, autant tout remballer et retourner au Parti Québécois qui, lui, à tout le moins, a développé une expertise dans le flou et l’approximation.

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Option nationale ou Option provinciale?

Un commentateur, sur la page Facebook d’Option nationale, l’a bien exprimé hier: « Mais c’est la plateforme de Québec Solidaire! ». Il a raison: Option nationale se positionne à peu près dans le même registre idéologique que Québec Solidaire, que ce soit sur la question de la nationalisation des ressources naturelles, de la création de Pharma-Québec, de la gratuité scolaire ou de la valorisation du transport collectif. Pourquoi, alors, voter pour Option nationale si un parti déjà établi propose sensiblement le même programme? « Pour l’indépendance », disent certains. Pourtant, Option nationale, sur la plupart de ses propositions, n’est pas davantage indépendantiste que Québec Solidaire (ou le Parti Québécois).


Le problème fondamental de la plupart des propositions de Québec Solidaire et d’Option nationale tient au fait que l’indépendance n’est pas un pré-requis. Nous n’avons pas davantage besoin d’être « indépendants » (je mets ce terme entre guillemets car la réelle indépendance constitue davantage que de mettre un « pays sua mappe », comme je l’écrivais ici) pour nationaliser nos ressources, pour instaurer la gratuité scolaire que pour donner un mandat différent à la Caisse de dépôt et placement ou pour œuvrer à notre indépendance énergétique. Ce sont là des mesures qui peuvent être prises par une province, n’importe laquelle. René Lévesque n’a pas attendu l’indépendance pour participer à la nationalisation de l’hydro-électricité au Québec, par exemple.
Quand on vise l’indépendance d’un peuple, c’est pour lui offrir les pouvoirs de faire les choses autrement. En France, on a tué le roi pour instaurer la république. Aux États-Unis, on a déclaré l’indépendance pour ne plus se faire imposer des taxes punitives en or alors qu’on tentait d’établir les bases d’un système monétaire différent. En Iran, on s’est débarrassé du Shah pour bâtir une république islamiste. Dans la plupart des pays africains, on a déclaré l’indépendance pour mettre fin à la mainmise coloniale sur les ressources du pays. Or, le Québec, même dans le giron canadien, jouit de la plupart des pouvoirs lui permettant de gérer son éducation, ses ressources, et de vivre selon ses valeurs (dans une certaine limite). La seule façon de justifier l’indépendance serait donc de la réclamer pour obtenir les pouvoirs qui nous manquent afin de mettre fin à une situation d’injustice.
Me suivez-vous? Le cœur des revendications d’Option nationale concerne des pouvoirs que nous avons déjà. Ressources naturelles, c’est à nous. Éducation, c’est à nous. Santé, c’est à nous. Gestion de notre mode électif, c’est à nous. Outils économiques, c’est en grande partie à nous. Ce sont là des combats importants, mais ce sont des combats provinciaux. L’indépendance n’est pas davantage nécessaire pour établir la gratuité scolaire qu’un jeune adulte devrait avoir à quitter la maison parentale pour avoir son propre lit. L’indépendance constitue un moyen non pas d’obtenir des pouvoirs provinciaux, mais d’obtenir des pouvoirs nationaux permettant une réelle indépendance.
Un chèque en blanc?
Il nous faut revenir à la base. Qu’est-ce que l’indépendance?
L’indépendance, pour le peuple québécois, c’est sa capacité à se gérer lui-même, à prendre ses propres décisions et à être entièrement maître de son destin. Une constitution, comme le propose Option nationale, constitue un geste d’indépendance; elle n’est cependant pas l’indépendance, mais seulement un médium permettant d’inscrire dans l’imaginaire les valeurs fondatrices du peuple. La constitution doit servir à parapher les valeurs fondamentales et inaliénables d’un peuple, s’opposant aux valeurs qui précédaient l’indépendance et qui opprimaient le peuple. Par exemple, aux États-Unis, la constitution affirme que seul le Congrès peut créer la monnaie physique et que cette monnaie doit être en argent ou en or. Cette mesure s’opposait à l’utilisation exclusive par la Grande-Bretagne de l’étalon-or et à la mainmise de l’économie américaine par celle-ci. En clair, la constitution américaine permettait une libération, même si on a violé cette garantie un siècle et demi plus tard en créant la Réserve fédérale.

Dans le programme d’Option nationale, il y a peu de choses qui peuvent être inscrites dans une constitution. On parle de constitution, mais on parle du véhicule, pas de ce qu’on y met à l’intérieur. On ne parle pas, entre autres, de la mainmise totale du secteur bancaire sur les nations occidentales et de quelle manière on espérerait se libérer de cette situation (ceux qui doutent de cette mainmise n’ont qu’à ouvrir la télévision et voir de quelle façon on a forcé Papandréou en Grèce et Berlusconi en Italie à démissionner). On ne parle pas de création d’une monnaie québécoise. On ne parle pas de la libération de l’ALÉNA, de l’OMC, du FMI et d’autres accords internationaux qui limitent notre indépendance. On ne définit pas de quelle manière on va offrir des services à nos minorités nationales, anglophone ou allophones (dire qu’on va « davantage » respecter le poids démographique des anglophones n’est pas plus significatif que de dire que le mois de février est « davantage » chaud que le mois de janvier). On ne définit pas la création d’une armée québécoise.

En clair, on demande un chèque en blanc. On propose une litanie de mesures provincialistes n’ayant rien à voir avec l’indépendance et on demande à la population d’embarquer avec l’espérance qu’une possible constitution serait écrite et qu’un possible référendum suivrait. Au lieu d’avoir les deux étapes péquistes nous éloignant de l’indépendance – élection et référendum – on ajoute désormais une troisième occasion pour nos ennemis de réduire notre capacité à devenir indépendants. Qu’est-ce qui nous garantit, dans cette plateforme, de ne pas revivre le sempiternel débat sur les « conditions gagnantes », ou de parler de « discussion nationale » et autres péquisteries menant à un cul-de-sac et nous éloignant de la victoire?
Dans le cas de Québec Solidaire, on peut comprendre que l’indépendance passe au second rang. Ce parti a de solides liens avec le NPD, plusieurs de ses membres sont fédéralistes, et on vise clairement la gauche économique. Dans le cas d’Option nationale, cependant, cette attitude est tout à fait inacceptable. Plutôt que d’unir le peuple derrière l’idée du contrôle total de notre territoire, on le divise avec des questions secondes sur l’éducation, la santé, ou l’économie. Des questions importantes d’un point de vue provincial, mais complètement triviales sur le strict plan de l’atteinte de la réelle indépendance pour le peuple québécois. Des questions qui risquent d’éloigner plusieurs citoyens un peu plus à droite au plan économique.
Pour une VRAIE indépendance
Il s’agit d’une tautologie que d’affirmer qu’il faut faire l’indépendance pour la faire. C’est pourtant la réalité: tant qu’on se contentera de parler de pouvoirs provinciaux pendant qu’on regarde la plupart des pays soi-disant indépendants se faire littéralement violer par le cartel bancaire dès qu’ils tentent de relever la tête, on n’arrivera à rien. Le Québec n’est pas encore indépendant. La Grèce ne l’est pas davantage. L’Italie non plus. Ni la France. Ni les États-Unis, dans une certaine mesure.
Ce que propose Aussant, c’est de mieux gérer notre petit pré carré, celui qu’on nous laisse et qui n’indispose pas trop les forces à l’œuvre. Un peu comme Lévesque ou Parizeau allaient rassurer les banquiers de Wall Street dans les années 70, Aussant ne semble pas avoir l’envergure d’un politicien en mesure de mener un combat véritablement indépendantiste, soit celui non par pour créer une illusion d’indépendance, mais une véritable indépendance. Celle, significative, qui renverse l’Histoire.
Tout n’est pas noir dans ce programme. Il y a plusieurs idées intéressantes et je suis certain que de nombreux progressistes y trouveront leur compte, hésitant entre ce parti et celui d’Amir Khadir. Il s’agit pourtant d’un programme provincialiste n’ayant pas ni le courage ni le désir de s’attaquer aux privilèges du monde de la finance (pas de monnaie québécoise, pas d’indépendance québécoise), au sur-financement de la minorité de langue anglaise, à la défense de notre territoire, dans le but de créer non pas un clone du Canada que nous désirons créer, mais une véritable forteresse québécoise en terre d’Amérique, flambeau de la pensée française sur ce continent et lueur d’espoir pour les autres peuples – y compris ceux de pays soi-disant indépendants – à la recherche d’un ordre mondial alternatif plus respectueux de la volonté et des valeurs de chaque peuple.


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