Vite, des états généraux sur l'université

Université - démocratisation, gouvernance et financement




Une des institutions les plus importantes de notre société, l'université, assume la responsabilité de la conservation, de la transmission et du développement libres de la connaissance, dans ses formes fondamentales et appliquées. Et cette liberté, dans l'histoire, s'est heurtée à de fortes résistances, principalement religieuses et politiques. Or, depuis quelques années, on craint le « naufrage de l'université ». Qu'est-ce à dire ? L'image d'un Titanic ne convient pas ici, car c'est par pièces détachées que s'engloutit petit à petit cette institution séculaire.
L'un de ses secteurs, les sciences humaines, subit tout particulièrement des assauts répétés venant des gouvernements tant fédéraux que provinciaux. Ainsi, depuis quelques années, il nous a fallu, comme prof-demandant-de-l'argent, indiquer quelles retombées nous prévoyions pour nos subventions. Malaise dans la subvention mais, « financement » obligeant, nous nous sommes pliés, parfois à notre esprit défendant, à concevoir des retombées concrètes; la recherche a ses raisons que la subvention ne connaît pas.Puis ont déferlé à partir de l'an 2000 les Chaires de recherche du Canada. Fort bien : près d'un milliard de dollars engagés dans la recherche ! Et quelque mille chaires ! Toutefois, il faut craindre le gouvernement fédéral, même quand il nous donne des cadeaux. En effet, l'on compte présentement 1 867 chaires au Canada, dont 416 (22,3 %) en sciences humaines; ce qui déconcerte cependant, c'est que les professeures et professeurs de sciences humaines représentent 50,7 % du corps professoral.
Mais ce n'est pas tout... On peut lire sur le site des chaires cette euphorique annonce : « L'honorable Gary Goodyear, ministre d'État (Sciences et Technologie), et l'honorable Jean-Pierre Blackburn, ministre du Revenu national et ministre d'État (Agriculture), ont annoncé aujourd'hui (23 février dernier) un investissement de 120,4 millions de dollars visant à financer l'attribution et le renouvellement de 134 chaires de recherche du Canada dans 37 universités canadiennes. » Et combien aux sciences humaines ? Un imposant 18 % de ces 134 chaires. L'esprit est prompt, mais la chaire est faible.
Notre gouvernement provincial regarde lui aussi de très haut les sciences humaines. Mais comment s'en étonner, les organismes subventionnaires - et par conséquent la recherche subventionnée - dépendant d'un ministère au nom philosophico-littéraire de « Développement économique, innovation et exportation » ? Dès lors, divulguant en 2007 sa « Stratégie québécoise de la recherche et de l'innovation », il était séant que ledit ministère favorisât les recherches « orientées en priorité vers les domaines qui revêtent un caractère stratégique pour le développement économique et les besoins de l'innovation » et « utilisées de manière à faire une place de choix à la valorisation et à la commercialisation des résultats de la recherche. »
En conséquence, les sciences humaines et sociales se sont vu accorder la portion congrue, tant dans le discours que dans l'appui pécuniaire : les organismes subventionnaires en nature et technologie (FQRNT) et en santé (FQRS) ont obtenu une augmentation de 26 millions $, et les sciences humaines et sociales (FQRSC), 7 millions $.
Les sciences humaines se noient lentement. Et le dernier budget fédéral, plutôt que de lancer une bouée de sauvetage, leur attache un boulet au pied. Le mantra a déjà été invoqué : développement économique et commercialisation. Le gouvernement canadien affecte une somme additionnelle de 87,5 millions $ sur trois ans, à compter de 2009-2010, aux conseils subventionnaires fédéraux, en l'occurrence pour des bourses d'études supérieures.
L'argent a une odeur, celle du pouvoir. Force est de constater que, de quelque côté que l'on tende la main, on nous donne, mais aux conditions du donateur. Il m'est arrivé de parler, en pareil cas, de censure (L'Autre Forum, mai 2007); je persiste. La vraie censure, prétendait Roland Barthes, n'est pas celle qui interdit, mais qui oblige : à faire, à dire, à agir de manière contrainte. Nous en sommes là. Le pouvoir devient censorial lorsqu'il dépasse la légitimité de son exercice normal; c'est ce que font nos gouvernements, en imposant des conditions incompatibles avec la liberté universitaire et la vitalité des sciences humaines.
La recherche est appuyée sur le plan pécuniaire, pendant que les institutions universitaires sont sous-financées en ce qui concerne l'enseignement; les chaires, pour utiles qu'elles soient, ont eu des effets structurants délétères sur certains champs du savoir et sur la représentation notamment des professeures. Le lien université-entreprise, qui existe depuis longtemps, s'impose désormais comme modèle. L'émulation s'est transformée en compétition effrénée. Les universités multiplient les « succursales » dans cette guerre territoriale; de plus en plus d'administrateurs n'ont aucune expérience de l'université. Alors ? Que faire ?
Ce n'est pas une loi qui changera quoi que ce soit. Encore moins un budget ! Le moment est venu de prendre une grande respiration collective, et de réfléchir au type d'université que nous voulons. On coule à la pièce, mais on ne réglera rien à la pièce. Après ces quinze années dans des eaux agitées, il importe, de toute urgence, de tenir des États généraux afin de déterminer quel type d'université nous voulons (et ne voulons pas).
C'est ce que le dernier Conseil fédéral de la FQPPU appelle de toutes ses forces; après le tournant des années 1960, le moment est venu de procéder à un acte de refondation de l'université québécoise. Ce sera une manière de nous dire que nous sommes encore libres; libres de nous arrêter, de dépasser l'immédiat et de faire des choix éclairés par la réflexion.
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Pierre Hébert
L'auteur est vice-président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université. Il écrit au nom du Comité exécutif de la FQPPU.

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Pierre Hébert, Professeur au département des lettres et communications de l'Université de Sherbrooke et secrétaire de la Fédération québécoise des professeurs d'université, l'auteur signe ce texte au nom du comité exécutif de la FQPPU





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