Le gouvernement conservateur a reconnu vendredi qu’il fixe des « objectifs par région », détaillant la valeur des prestations d’assurance-emploi qui doivent être coupées. Ottawa estime avoir ainsi des « centaines de millions » à récupérer auprès des fraudeurs. Pour l’opposition, cela confirme les pressions faites sur les enquêteurs pour qu’ils atteignent les quotas fixés.
Le dossier de l’assurance-emploi - et les révélations du Devoir concernant l’existence de quotas imposés aux enquêteurs aux fraudes - a monopolisé l’attention vendredi. Mais les pressions multiples pour un assouplissement de la réforme de l’assurance-emploi n’ont pas fait fléchir le premier ministre Harper.
Ce dernier a indiqué depuis Lévis qu’il n’entend pas modifier les paramètres du nouveau régime, tout en rappelant que celui-ci est de compétence exclusivement fédérale.
À Ottawa, le gouvernement conservateur a d’abord nié que les fonctionnaires-enquêteurs de Service Canada se font imposer des quotas de prestations à couper - 40 000 $ par enquêteur par mois, selon nos sources. L’enquêteur doit débusquer les fraudes potentielles et les prestations à récupérer ou à ne pas verser. Le dossier qu’il collige est ensuite approuvé par un autre agent qui a le pouvoir décisionnel effectif.
« Il n’y a pas de quotas, c’est complètement faux », a soutenu en Chambre le ministre des Affaires étrangères, John Baird. La ministre des Ressources humaines, Diane Finley, a elle aussi d’abord affirmé qu’il « n’y a pas de quotas pour les employés du ministère. Pas du tout. »
Mais tout est question de nuances. En point de presse, après la période de questions, Mme Finley a expliqué que ces quotas existent bel et bien… mais qu’ils ne sont pas individuels.
« Il n’y a pas de quota individuel pour les travailleurs [à Service Canada]. Ce sont des objectifs globaux, ou pour une région. Mais c’est pour identifier la fraude : c’est très important, parce que si on n’attrape pas les fraudeurs, ce sont les Canadiens qui respectent le système qui vont en souffrir. »
Mme Finley a mentionné que « le ministère a réussi à mettre un terme au versement de 530 millions en prestations inadmissibles l’an dernier. Cependant, le programme d’assurance-emploi a tout de même perdu des centaines de millions [encore à récupérer] », a-t-elle affirmé.
Un document obtenu par Le Devoir cette semaine montrait que la seule division Ouest et Territoires de Service Canada avait un objectif « d’économies » de prestations de 114,5 millions pour l’année fiscale en cours.
Jouer sur les mots
Mais quota régional ou personnel, l’opposition ne voit aucune différence. « On joue sur les mots et c’est ridicule », estime la députée néodémocrate Marjolaine Boutin-Sweet. « Ça veut dire la même chose ».
« Tout ce que ce gouvernement veut faire, c’est récupérer de l’argent », a ajouté sa collègue Chris Charlton. Or, rappelle-t-elle, cet argent appartient « aux travailleurs et aux employeurs qui ont payé pour les travailleurs qui perdent leurs emplois ».
Le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé, a fait valoir que des « objectifs par région ou par localité, à un moment donné, quand tu gères ça, il faut bien donner des objectifs par individu ». La ministre a d’ailleurs reconnu que le système en place permet de « s’assurer que nous avons des gens motivés qui peuvent savoir quand ils ont bien fait leur travail ».
« S’il faut absolument 40 000 $ par mois, est-ce que la ministre se rend compte qu’un enquêteur qui serait à court de son objectif à la fin du mois [va être plus sévère] ? », a demandé M. Paillé.
Pour la ministre Finley, les critiques du NPD montrent que ce parti « appuie encore une fois ce qu’on appelle en anglais les bad guys [méchants]. Les seules personnes qui seront perdantes, c’est l’opposition qui nous empêche de contrer la fraude ».
Les critiques contre le nouveau régime d’assurance-emploi excèdent cette question des quotas. Devant les mobilisations sur le terrain (au Québec et dans les Maritimes, surtout), devant aussi les demandes d’assouplissement du gouvernement québécois, Stephen Harper a indiqué vendredi qu’il n’entendait pas revenir sur les décisions prises.
De passage à Lévis, où il a rencontré la première ministre Pauline Marois, M. Harper a d’abord rappelé que l’assurance-emploi « est une compétence clairement fédérale, selon la Constitution canadienne. Nous avons l’intention de respecter cette compétence. »
Concernant les travailleurs saisonniers - les premiers concernés par le resserrement des règles -, M. Harper a indiqué que « l’assurance-emploi sera là » pour eux s’il n’y a pas d’emploi dans la région.
Mme Marois a expliqué après sa rencontre avec M. Harper que celui-ci a tenté de la convaincre que ses appréhensions n’étaient pas fondées et que la réforme adoptée à Ottawa ne pénaliserait pas les travailleurs saisonniers québécois.
Mais la première ministre a dit qu’elle demeurait malgré tout « très sceptique ». « Son interprétation de sa loi est un peu différente de celle que nous en faisons », a commenté Mme Marois. Elle entend demander qu’on lui fournisse des rapports sur l’impact réel de la réforme sur les travailleurs saisonniers québécois.
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Avec Marie Vastel et Isabelle Porter
Assurance-emploi - Des centaines de millions à récupérer, dit Ottawa
Ottawa confirme l’existence de cibles de réduction. Harper ferme la porte aux demandes de Québec
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