Entente Québec-Canada

L’évolution juridique du Canada – une négation de notre existence nationale

L'entente avec Ottawa sur la nomination des juges est en-deçà des demandes fédéralistes classiques

0943b4a36e15ba314a5143f25565cf56

Chronique de Gilbert Paquette

L’auteur est professeur, ex-député et ministre et membre fondateur du Mouvement Québec indépendant


Dans un article éclairant, préparé pour la revue Argument[1], le politologue Marc Chevrier analyse le nouveau protocole d’entente conclu à la mi-mai entre les gouvernements Trudeau et Legault pour la nomination d’un des trois postes de la Cour suprême en provenance du Québec.  Cette entente souligne la dépendance du Québec face aux « principes » imposés par la Constitution canadienne quant au multiculturalisme et à la suprématie de Dieu. Un autre système juridique, respectueux de nos valeurs, deviendra possible dans un Québec indépendant.



Loin des demandes fédéralistes traditionnelles du Québec.


Le protocole est d’abord nettement en deçà des demandes fédéralistes traditionnelles du Québec. L’Accord du lac Meech de 1987 prévoyait un changement, pourtant jugé trop modeste à l’époque, où Ottawa devrait nommer les trois juges du Québec, uniquement parmi les recommandations du gouvernement du Québec, sans diluer son influence par un comité consultatif où ses représentants seraient minoritaires. Le récent protocole d’entente, 33 ans plus tard, est une simple entente administrative qui dilue bien davantage la responsabilité du Québec.


Dans le nouveau processus, Ottawa conserve la primauté à toutes les étapes. Pour tenir compte du droit civil, on instaure un Comité consultatif pour le Québec (CCIQ) pour nommer un des trois juges provenant du Québec. L’État du Québec soumettra ses recommandations pour deux des huit postes du Comité. Nommés par le Premier ministre canadien, tous les membres auront le statut de conseiller spécial du Premier ministre canadien suivant la Loi sur l’emploi dans la fonction publique canadienne.



Du multiculturalisme au multijuridisme.


C’est Ottawa seul qui fixera les critères de sélection des juges par le CCIQ. Parmi ces critères, les membres du CCIQ devront défendre l’intégrité juridique du régime canadien et de ses valeurs, notamment incarner la diversité, et non pas d’abord les valeurs sociales du Québec. Le décret fédéral souligne que le CCIQ devra « appuyer le gouvernement du Canada dans ses efforts pour atteindre, à la Cour suprême du Canada, l’équilibre des genres et la représentativité de la diversité de la société canadienne dont font partie les peuples autochtones, les personnes handicapées et les membres des communautés minoritaires linguistiques, ethniques et autres (…) »[2]. Autrement dit, la Cour suprême doit devenir elle-même, autant que possible multiculturelle plutôt que biculturelle.


En clair, on voit se dessiner une tendance de plus en plus nette au remplacement du bijuridisme canadien (Common Law et droit civil québécois) par le multijuridisme faisant du droit civil québécois une tradition parmi d’autres traditions légales. Elle donne ainsi suite sur le plan juridique à la constitutionnalisation du multiculturalisme.



Le régime juridique unitaire canadien nie le Québec


La nomination des juges de la Cour suprême n’est pas une question anodine tant que le Québec demeure une province canadienne. Comme l’a reconnu elle-même la Cour suprême du Canada[3], le régime juridique canadien est unitaire plutôt que fédéral. Il est solidement implanté et il évolue dans une direction contraire à la reconnaissance du Québec comme nation.


La Loi constitutionnelle de 1982 a donné un pouvoir considérable à ces juges non élus, donnant préséance à leurs décisions sur toute autre loi au Canada, y compris celles que peut prendre l’État du Québec. Cela signifie que des questions vitales comme la réinsertion sociale des jeunes contrevenants, l’aide médicale à mourir, le droit des femmes à la libre disposition de leur corps ou les peines encourues lors d’offenses criminelles peuvent être décidées en fonction des valeurs canadiennes étrangères au Québec.


La laïcisation des institutions publiques est susceptible, elle aussi, de se heurter aux dispositions de la Constitution canadienne, comme on l’a bien vu dans le débat sur l’assermentation et le vote à visage découvert au cours de l’élection canadienne de 2015. La laïcité sera confrontée « à l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens » et à la reconnaissance de la « suprématie de Dieu », dispositions contenues dans la Charte canadienne des droits et libertés. Inutile de dire que lorsque la Loi sur la laïcité de l’État sera amenée devant la Cour suprême (et elle le sera), on peut prévoir que les juges, y compris ceux du Québec, auront un jugement conditionné par les nouveaux critères de multijurisme ayant encadré leur nomination.



Le système juridique du Québec indépendant


L’accession du Québec à l’indépendance est urgente; on ne le dira jamais assez. Elle nous apportera la capacité d’établir un système juridique républicain fondé sur le respect des valeurs québécoises. La Constitution de la République du Québec, élaborée et approuvée par le peuple québécois, remplacera la Constitution canadienne régissant actuellement le Québec. Elle prévoira la création d’une Cour suprême du Québec dont les juges seront nommés par l’État québécois selon un processus transparent. Cette cour sera chargée de juger toutes les causes en regard de la Constitution et des lois du Québec, notamment quant à l’égalité entre les femmes et les hommes et quant à la laïcité de l’État québécois.


Le rapatriement au Québec de la partie du système de justice canadien s’appliquant au Québec, en réduira l’ampleur et la complexité pour une plus grande efficacité et une meilleure compréhension par la population. Un nouveau code criminel québécois mieux arrimé au droit civil québécois intégrera des valeurs faisant consensus au Québec, notamment quant à la réinsertion sociale des contrevenants, à la décriminalisation  de l’aide médicale à mourir, au droit pour les femmes à disposer librement de leur corps.


L’intégration dans la Constitution de la République du Québec de la Charte des droits et libertés du Québec, plutôt que la Charte canadienne de 1982, fera disparaître la référence au multiculturalisme, ainsi que les entraves à la Charte du français et à la laïcité de l’État et des services publics, pour faire place à un modèle d’intégration fondé sur la convergence culturelle et de nouvelles relations avec les premières nations du Québec. [4]



[1] Marc Chevrier, Revue argument, 2019, http://www.revueargument.ca/article/2019-05-30/724-protocole-dentente-sur-la-nomination-des-juges-quebecois-a-la-cour-supreme.html 


[2] Décret 2016-0693, Conseil privé du Dominion du Canada, en ligne https://decrets.canada.ca/attachment.php?attach=32437&lang=fr .  


[3] Cité par Marc Chevrier :Voir l’affaire Hunt c. T & N plc, [1993] 4 R.C.S. 289. Voir aussi Ontario (Procureur général) c. Pembina Exploration Canada Ltd, [1989] 1 R.C.S 206, p. 215.  


[4] Gilbert Paquette, Un pays en tête, Éditions du renouveau québécois, 2017, pp 142-149


Squared

Gilbert Paquette68 articles

  • 99 657

Ex-ministre du Parti Québécois
_ Président des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)

Gilbert Paquette est un chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur le téléapprentissage (CIRTA-LICEF), qu’il a fondé en 1992. Élu député de Rosemont à l’Assemblée nationale du Québec le 15 novembre 1976, réélu en 1981, Gilbert Paquette a occupé les fonctions de ministre de la Science et de la Technologie du Québec dans le gouvernement de René Lévesque. Il démissionne de son poste en compagnie de six autres ministres, le 26 novembre 1984, pour protester contre la stratégie du « beau risque » proposée par le premier ministre. Il quitte le caucus péquiste et complète son mandat comme député indépendant. Le 18 août 2005, Gilbert Paquette se porte candidat à la direction du Parti québécois. Il abandonne la course le 10 novembre, quelques jours à peine avant le vote et demande à ses partisans d’appuyer Pauline Marois. Il est actuellement président du Conseil d’administration des intellectuels pour la souveraineté (IPSO).