La Caisse de dépôt entichée de l’industrie pétrolière albertaine

Soyons clairs : ce sont les Desmarais et Power Corporation qui ont besoin de la Caisse de dépôt et des milliards de dollars qu’elle gère. Pas le contraire !

L'affaire Desmarais

Robin Philpot, auteur de Derrière l’État Desmarais : Power (Les Intouchables)
La promiscuité de Michael Sabia, président de la Caisse de dépôt, et de Jean Charest avec la famille Desmarais de Power Corporation a heureusement soulevé tout un débat. On s’indigne devant cet évident conflit d’intérêts où l’homme chargé de gérer notre bas de laine accepte des cadeaux de puissants intérêts privés et, par conséquent, leur devient redevable. Pour saisir la gravité de ce conflit, toutefois, il faut pousser l’analyse plus loin.
Soyons clairs : ce sont les Desmarais et Power Corporation qui ont besoin de la Caisse de dépôt et des milliards de dollars qu’elle gère. Pas le contraire !
Depuis que Power a abandonné le Québec en 1989 en faveur de pâtures plus vertes, c’est entre autres sur l’industrie pétrolière et gazière qu’elle compte pour une partie importante de ses profits. L’entreprise de prédilection est Total, 4e pétrolière au monde, que Power contrôle par le truchement du Groupe Bruxelles Lambert. Or Total figures parmi ces grandes pétrolières qui sont engagées actuellement dans une lutte à finir pour exploiter et exporter le pétrole provenant des sables bitumineux de l’Alberta. Une lutte à finir ? Oui, parce l’opposition à cette industrie est très vive, au Canada comme aux Etats-Unis ; parce qu’il s’agit d’une industrie terriblement polluante qui contribue au réchauffement planétaire; et finalement parce que l’exploitation des sables bitumineux ainsi que l’exportation du pétrole qui en découle nécessitent des investissements énormes, de sorte que un sérieux doute persiste quant à sa rentabilité à long terme.
C’est là qu’un grand investisseur institutionnel de l’envergure de la Caisse de dépôt devient extrêmement utile. Les intérêts des Desmarais et les autres prennent de la valeur dans la mesure où ils peuvent livrer d’énormes investissements à l’industrie pétrolière canadienne, une industrie qui marche à l’unisson avec le gouvernement de Stephen Harper et que celui-ci a identifiée récemment comme LA priorité de l’économie canadienne.
Qu’en est-il donc de la Caisse de dépôt. À en juger par l’augmentation récente de ses investissements dans l’industrie pétrolière albertaine, on pourrait penser que c’est Stephen Harper même qui décide des orientations de la Caisse – si ce n’est pas la famille Desmarais. En effet, de tout son portefeuille de placements dans des sociétés ouvertes, ce sont les actions de Suncor qui représentent le plus gros investissement dans une seule entreprise (derniers chiffres disponibles), soit 704 millions $. C’est pas moins de cinq fois plus qu’en 2007 et dix fois plus qu’en 2003.
Même scénario pour les autres entreprises pétrolières albertaines : MEG Energy, 221 millions$ en 2010 contre 0$ en 2007 ; Nexen Inc., 196 millions$ en 2010, contre 68 millions$ en 2007 ; Canadian Natural Resources Inc., 564 millions$ en 2010, contre 410 millions$ en 2007 et 88 millions en 2003 ; Enbridge, 578 millions$, contre 29 millions$ en 2007. Et ça continue avec, Cenovus, Talisman, Royal Dutch Shell, Progress Energy et bien sûr Total S.a …
En somme, sous la direction de Michael Sabia la Caisse a doublé, triplé ou quadruplé ses placements dans les entreprises qui exploitent les sables bitumineux. Mais il y plus. La Caisse de dépôt investit tout particulièrement dans les entreprises bailleurs de fonds du projet d’oléoduc Northern Gateway de l’Alberta vers Kitimat en Colombie-Britannique. Sans cet oléoduc controversé par lequel transiterait le pétrole brut avant d’être exporté vers l’Asie, l’exploitation des sables bitumineux pourrait connaître une fin abrupte. Le maître d’œuvre de ce projet est Enbridge tandis que les bailleurs de fond sont Total S.A., Suncor, Nexen et Cenofus, tous devenus des chouchous de la Caisse de dépôt sous Michael Sabia.
En s’alliant si étroitement à l’industrie pétrolière albertaine, la Caisse de dépôt sert à merveille les intérêts des Desmarais et des pétrolières albertaines, mais elle dessert gravement les intérêts du Québec.
Premier danger, le rendement. Il n’y a rien qui garantisse que les sables bitumineux seront rentables à moyen et à long terme. Déjà, les pétrolières s’arrachent les cheveux en voyant la valse hésitation des Etats-Unis dans le projet d’oléoduc Keystone, ce qui fait baisser la valeur du pétrole. Par ailleurs, en 2005, la grande Jane Jacobs avait confié que selon elle les sables bitumineux allaient heurter un mur. « La loi des rendements décroissants travaille contre cette industrie, » disait-elle. Bref, l’énorme coût de production fait en sorte que tôt ou tard il serait plus intéressant d’investir dans d’autres sources d’énergie pour obtenir un rendement semblable.
Deuxième danger. En livrant d’énormes montants d’argent à l’industrie pétrolière, la Caisse contribue à doper le dollar canadien, ce qui entraine une baisse des exportations du Québec, de grandes pertes d’emploi et la fermeture d’usines (ex., Mabe, Electrolux). Tant que la valeur du dollar canadien dépend du pétrole, le Québec perdra sur toute la ligne.
Troisième danger, et non la moindre. Le Canada s’est retiré du traité de Kyoto pour plaire à l’industrie pétrolière de l’Ouest canadien et, en particulier, à celle des sables bitumineux. Si d’autres pays décident que des pénalités doivent être appliquées aux exportations du Canada parce que ce pays, en refusant de se conformer à Kyoto, accorde un avantage discriminatoire à ses propres industries – l’OMC reconnaît ce droit depuis 2009 – le Québec risque d’en faire les frais. Nos exportations seront frappées de nouveau, ce qui entrainera autant de pertes d’emploi et d’autres fermetures d’usines.
Les Desmarais ne font jamais rien pour rien. L’histoire démontre qu’ils travaillent sur le long terme. Aussi, un séjour familial chez les Desmarais à Sagard n’est jamais innocent. Seuls les « innocents » le croiraient.


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    11 février 2012

    Mettons votre: "En effet, de tout son portefeuille de placements dans des sociétés ouvertes, ce sont les actions de Suncor qui représentent le plus gros investissement dans une seule entreprise (derniers chiffres disponibles), soit 704 millions $. C’est pas moins de cinq fois plus qu’en 2007 et dix fois plus qu’en 2003." en perspective.
    à: http://www.total.com/fr/dossiers/les-sables-bitumineux/actualites/actu-22mars2011-201928.html , voici ce que l'on retrouve : "Total E&P Canada Ltd («Total E&P Canada»), filiale de Total SA, et Suncor Energy Inc. («Suncor») ont annoncé aujourd’hui, qu’après avoir reçu toutes les approbations requises et avoir rempli toutes les autres conditions, elles étaient parvenues à conclure leur alliance stratégique".
    Qui tire les ficelles, celui qui en bénificie.

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    10 février 2012

    Complément d'info :
    Le 5 octobre 2011, Sabia annonce un changement de cap de la Caisse de dépôt : Retour au Québec et ses ressources ! Un changement passé inaperçue dans les médias :
    http://www.vigile.net/La-Caisse-Financer-la-depossession
    ....
    Et le futur de Total passe par l'Alberta et le pétrole non- conventionnel (dixit , son président):
    "Total thinks conventional oil production is approaching its practical limit. That's why Canada and Venezuela figure so large in the company's future. They hold the world's biggest reserves of heavy crude (known as “oil sands” in Canada and “extra heavy oil” in Venezuela). As the easy-to-pump conventional reserves dry up, the thick goo from the frozen north and tropical south will have to fill the gap to forestall a precipitous drop in world production.
    (...)
    “We believe that, because of plateau oil, the oil sands are necessary to supply demand growth,” said Yves-Louis Darricarrère, Total's exploration and development president.
    The company plans to spend as much as $20-billion (U.S.) over the neTotal thinks conventional oil production is approaching its practical limit. That's why Canada and Venezuela figure so large in the company's future. They hold the world's biggest reserves of heavy crude (known as “oil sands” in Canada and “extra heavy oil” in Venezuela).
    Total CEO Christophe de Margerie
    (...)
    http://v1.theglobeandmail.com/servlet/story/RTGAM.20090515.wcover0515/BNStory/energy/
    ....
    JCPomerleau