Dans Le Devoir du 5 janvier 2011, [Robert Lacroix, Claude Montmarquette et Alain Caillé->33827], tous d'anciens de l'Université de Montréal, reviennent sur la question d'un meilleur financement des universités québécoises, en mettant cette fois à l'avant-plan le sous-financement des activités de recherche qui pénalise surtout des institutions comme leur alma mater, l'Université de Montréal.
Le remède qu'ils proposent pose toutefois problème. Les auteurs estiment que la solution réside dans la hausse rapide des droits de scolarité permettant d'atteindre en quelques années la moyenne canadienne. Nous estimons au contraire que si le gouvernement du Québec s'engageait dans cette voie, on assisterait à un désengagement massif des étudiants qui envisagent de fréquenter une université québécoise. En effet, plusieurs chercheurs et administrateurs universitaires canadiens se rendent maintenant compte de l'erreur qui consiste à fonctionner dans un régime où les étudiants ont à débourser des droits de scolarité de plus en plus élevés.
Dans leur plus récent livre La Tour de papier. L'université, mais à quel prix?, James E. Côté et Anton L. Allahar soulignent les conséquences néfastes de droits élevés. Selon leurs observations, les gouvernements qui ont avalisé de telles hausses se désengagent alors de leurs responsabilités du financement de l'éducation supérieure, les étudiants veulent un retour immédiat sur leur investissement, en forçant une hausse marquée des notes qui leur sont accordées, et les universités se transforment en usines à diplômes. Pourquoi voudrions-nous de ce scénario au Québec?
Effet pervers d'une hausse
Une hausse significative des droits de scolarité entraînera des effets pervers. Depuis dix ans, la moyenne des notes accordées aux étudiants a été haussée dans presque toutes les universités au Canada. Cette hausse est survenue en parfaite corrélation avec l'augmentation vertigineuse des droits de scolarité. Plus les étudiants paient cher leurs études, plus ils font pression pour obtenir de bonnes notes.
Autre effet paradoxal: toute hausse des droits de scolarité est à mettre en corrélation avec le désengagement financier de l'État. Les universités risquent donc de n'y rien gagner. Enfin, on risque d'assister à la transformation de l'Université en une usine à diplômes. Les universités sont financées en grande partie selon le nombre d'étudiants qu'elles accueillent et qu'elles parviennent à diplômer. La production des diplômes devient alors un indice de productivité. Ceux qui critiquent le tournant entrepreneurial de l'Université ne remettent pas souvent en cause l'objectif d'une performance productiviste, et ce, bien qu'elle soit pourtant une manifestation éclatante de cette vision entrepreneuriale.
Ce corporatisme est très souvent un point aveugle dans nos réflexions sur l'université. Et lorsque les objectifs productivistes prennent le pas sur la qualité de l'enseignement ainsi que sur la rigueur dans l'attribution des notes, et que les dirigeants universitaires et gouvernementaux n'accordent pas suffisamment d'importance à la formation fondamentale, l'Université se dérobe à la tâche de préparer les étudiants à jouer un rôle critique dans leurs sphères respectives.
Une anomalie sur le continent?
Il n'y a pas au Québec un enthousiasme aussi frénétique des parents en faveur de l'idée que leurs enfants fréquentent l'université, contrairement à ce qui se passe au Canada et aux États-Unis. On peut même dire que nous vivons à ce titre un problème inverse. Le problème du décrochage scolaire et du peu d'intérêt pour les sciences et les technologies, vécu aussi au Canada, mais de façon plus marquée au Québec, est un indice probant du peu d'attrait que représente l'université pour la population en général.
Là ne s'arrêtent pas les différences entre le Québec et le reste de l'Amérique du Nord. Contrairement à ce qui se passe sur le reste du continent, les étudiants québécois n'accèdent pas directement à l'université à la fin de leurs études secondaires. Les cégeps jouent en ce sens un rôle important de filtre. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les étudiants québécois ne sont pas plus nombreux à s'inscrire aux études universitaires, malgré des droits de scolarité moins élevés qu'ailleurs au Canada.
De façon plus frappante encore, on a assisté au désengagement financier des gouvernements et à une hausse significative des droits de scolarité dans les autres provinces du Canada. Au Québec, le gouvernement est davantage impliqué financièrement dans les budgets de fonctionnement des universités et les droits de scolarité sont moins élevés. L'endettement des étudiants est moindre et la course aux crédits, bien que réelle, ne prend pas une importance aussi grande. On ne craint pas autant au Québec de produire des diplômés sans emploi. Au contraire, on craint qu'il n'y ait pas assez de diplômés pour faire face aux demandes d'emploi des entreprises.
Dans la moyenne de l'OCDE
Le regard critique qui peut être porté sur la société canadienne jette donc un nouvel éclairage sur la situation particulière du Québec. On présente souvent le modèle québécois comme une anomalie par rapport au reste du continent. Mais il faut savoir que les universités, au Canada et aux États-Unis, ont des droits de scolarité parmi les plus élevés des pays de l'OCDE.
En bref, le Québec se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE et il ressemble davantage aux pays européens. C'est seulement quand on le compare au reste du continent nord-américain qu'il semble faire bande à part. Il faut alors peut-être dénoncer les droits de scolarité élevés ainsi que le désengagement de l'État dans l'éducation supérieure observé partout au Canada et aux États-Unis, au lieu de s'en prendre à la politique de droits de scolarité peu élevés qui caractérise le modèle québécois.
Un seul remède?
Le milieu universitaire québécois a eu raison de demander le rétablissement des transferts fédéraux en matière d'éducation supérieure à la hauteur de ceux qui étaient en vigueur en 1994-1995. Ces sources supplémentaires de revenu permettraient de résoudre à long terme le problème du financement universitaire. MM. Lacroix, Montmarquette et Caillé passent sous silence le désengagement du gouvernement fédéral dans les transferts aux provinces en matière d'éducation supérieure. Ils ne choisissent qu'un seul remède qui aura comme conséquence pour les étudiants de faire face non seulement à une dette publique élevée, mais aussi à une dette personnelle importante.
Il existe d'autres façons de faire, en plus de continuer d'exiger de la part du gouvernement fédéral le rétablissement des transferts fédéraux pour l'éducation supérieure à la hauteur de la proportion accordée en 1994-1995. Voici quelques exemples:
* imposer une taxe à l'expertise universitaire pour les grandes sociétés dont le développement repose sur des compétences universitaires;
* hausser les redevances liées à l'exploration et l'exploitation minière et gazière;
* récupérer les sommes perdues à cause de l'évasion fiscale (paradis fiscaux, comptes secrets dans des banques suisses);
* introduire de nouveaux paliers d'imposition pour les plus riches de notre société qui ont pu, grâce à des études supérieures universitaires, accéder à une profession lucrative.
De cette façon, l'équité et l'accessibilité seront préservées: le financement de toutes nos universités sera bonifié sans la contrepartie négative d'une décroissance attendue de leur fréquentation par les prochaines générations d'étudiants.
***
Louis Dumont, Guy Rocher et Michel Seymour - Professeurs à l'Université de Montréal
Droits de scolarité
Le modèle québécois n'a rien d'une anomalie
Université - démocratisation, gouvernance et financement
Michel Seymour25 articles
Michel Seymour est né en 1954 à Montréal. Très tôt, dès le secondaire, il commence à s’intéresser à la philosophie, discipline qu’il étudie à l’université. Il obtient son doctorat en 1986, fait ensuite des études post-doctorales à l’université Oxford et à ...
Cliquer ici pour plus d'information
Michel Seymour est né en 1954 à Montréal. Très tôt, dès le secondaire, il commence à s’intéresser à la philosophie, discipline qu’il étudie à l’université. Il obtient son doctorat en 1986, fait ensuite des études post-doctorales à l’université Oxford et à UCLA. Il est embauché à l’université de Montréal en 1990. Michel Seymour est un intellectuel engagé de façon ouverte et publique. Contrairement à tant d’intellectuels qui disent avec fierté "n’avoir jamais appartenu à aucun parti politique", Seymour a milité dans des organisations clairement identifiées à une cause. Il a été l’un des membres fondateurs du regroupement des Intellectuels pour la souveraineté, qu’il a dirigé de 1996 à 1999. Pour le Bloc québécois, il a co-présidé un chantier sur le partenariat et a présidé la commission de la citoyenneté. Il est toujours membre du Bloc, mais n’y détient pour l’instant aucune fonction particulière.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé