En souhaitant que tous les québécois soient bilingues -- comprendre : anglais-français -- en sortant du secondaire ou du cégep, Pauline Marois étonne. En fait, elle consterne.
Passons sur l'à-propos d'une telle déclaration au moment précis où on commence enfin à débattre un peu du recul du français à Montréal, et tâchons de distinguer plurilinguisme, et promotion du bilinguisme anglais-français au Québec; si le premier est éminemment utile, le second est la manifestation par excellence d'un complexe de colonisé qui a la vie dure.
Redisons-le clairement : bien évidemment, maîtriser une ou plusieurs langues en plus de sa langue maternelle est une grande richesse, un atout inestimable.
Cela dit, qu'en est-il au Québec ? Les Québécois, faut-il le rappeler à Mme Marois et à d'autres, sont parmi les peuples les plus bilingues de la planète. Nous nageons ici dans l'anglais, nous en sommes littéralement ensevelis, plus que quiconque sur tout autre territoire non-anglophone au monde. Une immense proportion des produits de toute nature que nous consommons et des commerces que nous fréquentons quotidiennement portent des noms anglais, qui sont souvent des expressions significatives et non pas seulement des noms ou des mots uniques : Payless Shoe Store, Second Cup, Toys 'R Us, Raisin Bran, Corn Flakes, la liste est infinie; Pour une marque de commerce française, il y en a cinquante mille en anglais.
La musique que nous écoutons, malgré des quotas radiophoniques qui ne sont respectés que parce que les diffuseurs font jouer de la musique francophone tant qu'ils peuvent aux heures de faible écoute, est très majoritairement anglophone.
Notre langue parlée est truffée d'anglais; nous faisons ici, fréquemment, des phrases avec une syntaxe relativement française mais une majorité de mots anglais : " Check en dessous du hood, la strap de la fan est slack ! ".
Nous sommes des millions, assis plusieurs heures par semaine, devant nos télés câblées nous offrant des centaines de canaux anglophones et une poignée en français.
Et que dire d'internet ? S'y brancher, c'est ouvrir la porte à une autre marée intarrissable de langue anglaise, du contenu lui-même de l'information qu'on y trouve, aux noms, expressions, et marques de commerce qu'on y côtoie continuellement, tout autant que dans le langage informatique et la mécanique même de l'ordinateur.
Aussi, des centaines de milliers de Québécois, des millions même, circulent entre ici et la Floride, Plattsburgh, New York, Ottawa, Toronto, l'ouest canadien, et s'y débrouillent assez bien merci, certainement pas parce que ces endroits sont tapissés de français !
On peut bien se gargariser du fait qu'en vertu du sacro-saint commerce international -- qui ne se ferait qu'en englais, ce qui est totalement faux -- il faut bien maîtriser l'anglais, cela demeure une nécessité pour une infime minorité de Québécois, et je ne suis pas trop inquiet pour eux; le Québec est un terreau fertile pour apprendre à commercer en anglais.
En effet, si le Québécois moyen, comme n'importe qui partout ailleurs sur la planète, fonctionne au quotidien dans une seule langue, et il n'y a aucun mal à cela -- sauf au coeur de Montréal, où le français est aussi inutile que l'anglais nécessaire, le premier étant redevenu la langue du militant obstiné voulant faire de l'esclandre, pendant que nos bons décideurs dormaient au gaz à Québec --, il reste que, même au fin fond du rang le plus reculé de la région la plus périphérique, on possède plus souvent qu'autrement assez de mots et d'expressions anglaises pour se débrouiller en cas de nécessité, et apprendre rapidement si on se destine à une carrière qui le requiert.
À ce chapitre, il importe de prendre avec une mine de sel les affirmations incessantes de moult commentateurs médiatiques à l'effet que les anglo-québécois seraient plus bilingues que les francophones. Cela est une énormité dont je me demande bien où est la source statistique réellement fiable et vérifiable. Il faut bien voir que les francophones ont tendance à sous-estimer leur maîtrise de l'anglais, alors que souvent, on considère bilingue un anglophone baragouinant un peu de français. Ainsi, encore aujourd'hui, il est fréquent que quelques francophones jasent entre eux en anglais parce qu'ils sont accompagnés d'un anglophone; ce n'est pas juste un complexe, c'est aussi souvent parce que, somme toute, ils sont moins mauvais en anglais que lui en français !
Notons aussi que bien des francophones passent encore systématiquement à l'anglais dès que leur interlocuteur semble mal-à-l'aise en français, même s'il n'est pas plus anglophone qu'eux.
Bref, dans ce contexte, est-il responsable d'en rajouter, en laissant entendre aux francophones qu'ils sont désavantagés s'ils ne parlent pas assez bien la langue au profit de laquelle leur nation s'assimile depuis des générations ?
À mon sens, les vues de Mme Marois et des autres promoteurs de ce bilinguisme rétrograde et nocif se fondent sur une mauvaise compréhension de la dynamique dans laquelle nous nous trouvons. Elles témoignent d'une mentalité d'assiégé en vertu de laquelle on a l'impression que l'anglais est la langue de l'univers tout entier. Et on oublie ou ignore que le français est souvent considéré comme la deuxième langue la plus puissante au monde, et la seule, outre l'anglais, ayant un statut supra-national, étant parlée ou connue par des centaines de millions de personnes sur cinq continents. Oui, l'anglais est puissant et répandu, mais il est erronné de croire qu'il faille absolument le maîtriser pour interpréter et comprendre le monde, et pour y agir.
Les Français, les Espagnols ou les Mexicains connaissent-ils l'anglais aussi bien que les Québécois ? Bien sûr que non. Et nous, ici, qui en sommes submergés, en déclin démographique, et qui peinons à parler et écrire correctement notre propre langue, devrions prendre des cours d'immersion en anglais par-dessus le marché ?
Pour ma part, je préférerais de beaucoup qu'on fasse oeuvre utile en aiguillant plutôt nos enfants vers, par exemple, l'espagnol -- parlé par environ quatre cents millions de personnes, dont une forte communauté aux États-Unis, plus nombreuse que la population canadienne ! -- ou même, qui sait, le mandarin -- plus d'un milliard de locuteurs, la langue la plus parlée au monde --. Voilà des langues de pays avec lesquels nous commerçons beaucoup, justement, et auxquelles les Québécois n'ont pas accès aussi facilement que l'anglais, loin s'en faut.
Autre argument à la mode chez nos amis bilinguistes, on nous dit souvent que de nombreux parents souhaitent un accroissement de l'apprentissage de l'anglais dans nos écoles -- Cela est-il seulement possible, sans mettre un temps fou sur cette seule matière ? N'est-ce pas à l'usage, surtout, que l'on maîtrise vraiment une langue ? --. Encore une fois, je ne sais pas à quel point cela est vrai. Mais, pour peu qu'on évite d'entrer dans la psychologie du colonisé qui éprouve un besoin irrépressible de se fondre dans la culture du colonisateur, il n'y a qu'une seule justification consciente logique à ce désir : on pense que le plein épanouissement personnel, sur le marché du travail, passe par la maîtrise de l'anglais. Si tel est le cas, il ne faut pas angliciser les Québécois, mais bien franciser les milieux de travail !
Et si cela est impossible ou difficile, parce que le Québec n'est encore et toujours qu'un territoire canadien occupé en partie par un groupe linguistique francophone, dont la volonté d'imposer sa langue aux autres canadiens sur ledit territoire est problématique dans le cadre du système canadien, qu'on se rende à l'évidence : il faut choisir entre l'indépendance ou l'assimilation plus ou moins douce qui a cours depuis des siècles.
N.Payne
Montréal
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4 commentaires
David Poulin-Litvak Répondre
9 février 2008Je partage entierement votre conclusion M. Payne. Independance ou assimiliation, ou, de maniere plus rhetorique : Independance ou mort ! C’est peut-etre la la cle d’un discours independantiste, car le Quebec, est au carrefour du destin ; comme le dirait peut-etre M. Desroches, il n’a reellement qu’un choix : le saut independantiste ou la mort dans la cage canadienne. Mettre l’accent sur cette assimilation maintenant plus manifeste me semble une strategie rhetorique puissante, permettant peut-etre de faire du tai chi politique, en reprenant l’effort d’assimilation contre les neo-coloniaux. Je me demande s’il n’y aurait pas la une cle circonstantielle de la reconfiguration de l’independantisme quebecois.
(Desole, pas d’accents sur ce clavier.)
Archives de Vigile Répondre
9 février 2008Pauline Marois est comme un avocat de la défense qui plutôt que de prendre l'intérêt de son client, soutiendrait les arguments du Procureur. Les québécois n'ont pas besoin d'un chef qui tire sur les siens... Quelle déception!
René P.
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
9 février 2008En effet: Pauline Marois étonne. En fait, elle consterne
Je dirais même plus: Pauline Marois S'EFFONDRE!
Elle a eu toutes ses chances. Elle vient de tuer ce parti. Par maladresse? À moins que... VENGEANCE ENVERS LANDRY?
N'y aura plus d'autre chef...
Archives de Vigile Répondre
9 février 2008M. Payne écrit : «tâchons de distinguer plurilinguisme, et promotion du bilinguisme anglais-français au Québec»
Mme Marois n'a jamais fait la promotion du bilinguisme au Québec. Elle souhaite simplement que les Québécois qui sortent de l'école soient bilingues dans un Québec francophone...point, ce qui est fort différent.
C'est bien beau le plurilinguisme et l'espagnol aussi mais la langue anglaise est celle qui nous entoure et qui est devenue ue sorte d'espéranto mondial à cause des nombreuses conquêtes britaniques, de la force économique, technologique et culturelle de nos voisins, les États-Unis et d'une plus grande facilité à la maîtriser correctement.
On aimerait mieux que ce soit la langue française qui soit dans cette position mais, ce n'est malheureusement pas le cas. On ne peut pas refaire l'histoire.
S'il est vrai que ce ne sont pas tous les Québécois qui vont avoir besoin de la langue anglaise pour le travail, il est aussi vrai que de pouvoir bien se débrouiller dans cette langue facilite nos déplacements à l'extérieur du Québec dans cette mer anglophone et de pouvoir avoir accès aux nombreux canaux de télé de langue anglaise qui nous sont disponibles.
Autrement, faudrait faire comme nos curés et bonnes religieuses catholiques qui nous défendaient de fraterniser avec les anglais protestant, de peur de perdre notre foi catholique. On boycotte l'anglais pour s'en préserver.